Un processus d’enquête interne peut devenir du harcèlement psychologique au sens de la Loi sur les normes du travail s’il est déterminé que son déclenchement ou son déroulement relève d’un abus d’autorité. L’affaire Syndicat du personnel enseignant du campus de Saint-Lawrence et Cégep Champlain - St. Lawrence en est un bon exemple. Dans les mots de l’arbitre:

[157]         Le fait de faire appel à une firme externe ne permet pas à l’employeur d’agir n’importe comment. Il ne peut pas procéder à une chasse aux sorcières comme en l’espèce. Il est responsable de s’assurer que les droits de tous soient respectés – y compris ceux des présumés harceleurs –, et ce, même lorsque c’est un cadre qui se plaint. L’employeur doit veiller à l’intégrité du processus à l’égard de tous et en tout temps.

[158]         L’employeur doit s’assurer qu’une enquête est justifiée et basée sur des faits sérieux, ce qui n’est pas le cas dans le présent dossier.

Contexte

Il s’agit de 3 griefs déposés par une enseignante dans un cégep afin de dénoncer le harcèlement psychologique, les abus et les fautes commis à son endroit par l’employeur dans le déclenchement et la gestion d’une enquête interne.

La plaignante, qui était activement impliquée dans les activités du cégep, siégeait comme représentante des enseignants au sein du comité d’établissement.

Alors que 2 enquêtes avaient été déclenchées (dont l’une par le ministère de l’Enseignement supérieur) en matière de gouvernance et de climat organisationnel, l’employeur a informé la plaignante qu’elle faisait l’objet d’une plainte pour harcèlement psychologique et pour «mobbing» de la part du comité de direction.

C’est ainsi que débutait pour elle un cauchemar qui allait durer plus de 1 an, au cours duquel, notamment: i) on l’a tenue dans l’ombre pendant des mois relativement aux allégations portées contre elle et aux auteurs de celles-ci; ii) elle s’est retrouvée isolée aux termes d’un protocole de communication visant à protéger l’intégrité de l’enquête; et iii) elle a été forcée de formuler des demandes d’accès à l’information pour obtenir certains documents.

L’arbitre a accueilli chacun des griefs. Selon lui, l’employeur a failli sur toute la ligne.

Utilisation du processus d’enquête à des fins détournées

La preuve a démontré que le processus d’enquête avait été lancé contre la plaignante en l’absence d’une plainte officielle ou d’allégations sérieuses et avait franchi le seuil de la recevabilité sur la foi de suppositions.

Malgré le démenti du directeur général, l’arbitre a conclu que la plaignante avait été ciblée sur la foi de simples soupçons essentiellement parce qu’elle était une leader et que le directeur général, en laissant le processus d’enquête suivre son cours, souhaitait identifier les personnes qui remettaient en question certaines de ses opinions ou décisions.

Violation de la politique d’entreprise

La politique de l’employeur prévoyait que les personnes visées par une plainte bénéficient d’un traitement équitable qui respecte les règles en pareille matière. Pour l’arbitre, les règles élémentaires exigeaient que les personnes soient informées des comportements qui leur étaient reprochés. Or, il note que «la plaignante n’a été informée des allégations que deux mois après le début de l’enquête et après avoir participé à deux rencontres d’enquête sans savoir ce qui lui était reproché et sans savoir qui précisément l’accusaient de harcèlement psychologique » (paragr. 169), ce qui constituait une autre forme d’abus.

Allégations frivoles et plaignant unique

Non seulement ces allégations se sont fait attendre, mais elles se sont révélées en grande partie frivoles ou manifestement prescrites. De plus, après qu’on eut laissé entendre à la plaignante que la plainte provenait du comité de direction en entier, elle a finalement appris qu’il n’y avait qu’un seul plaignant, soit le directeur général.

Pour l’arbitre, ces allégations démontrent que l’employeur avait donné carte blanche à l’enquêteur externe afin d’identifier les personnes qui compliquent le travail du comité de direction, soit celles qui expriment des divergences d’opinions à l’égard de certaines de ses positions ou décisions.

Dans un tel contexte, l’arbitre a conclu que l’abus et le harcèlement commis par l’employeur s’étaient poursuivis tout au long de l’enquête. 

Multiplication inutiles des enquêtes

L’arbitre qualifie également l’enquête d’inutile, dans la mesure ou 2 autres enquêtes avaient été menées relativement aux mêmes problématiques et que l’employeur avait omis d’implanter les recommandations contenues au premier rapport.

Responsabilité de l’employeur

Comme l’arbitre retient l’employeur à titre d’auteur du harcèlement, celui-ci ne pouvait pas réussir à démontrer qu’il avait pris des moyens raisonnables pour prévenir ce harcèlement ni pour y mettre fin. L’arbitre retient également contre lui le fait de ne pas avoir mis en œuvre les recommandations du premier rapport d’enquête et d’avoir tardé à lever le protocole de communication (qui restreignait de manière importante la faculté de la plaignante d’interagir même avec des amies) après la conclusion de l’enquête.

Une enquête qui n’aurait jamais dû être

En conclusion, l’arbitre s’explique difficilement comment cette enquête a été autorisée ou s’est rendue aussi loin:

[182] Dès les premiers jours de son enquête, [l’enquêtrice] devait savoir que [le directeur] était le seul à avoir des reproches à l’encontre de [la plaignante]. D’ailleurs, une telle rectification aurait évité que [la plaignante] fasse la démonstration de ses bonnes relations avec les autres membres du comité de direction lors des deux rencontres d’enquête tenues en mai.

[183] Cette enquête n’aurait jamais dû aller de l’avant. Elle aurait au moins dû cesser alors que [l’enquêtrice] n’arrivait pas à obtenir les allégations à son soutien, ou encore lorsque [la directrice générale] a été avisée de la situation par le syndicat et [la plaignante].

Si les parties n’arrivent pas à s’entendre à cet égard, il sera intéressant de voir l’étendue de l’indemnisation que touchera la plaignante pour le traitement dont elle a été victime.

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