Reconnaissance de l’identité ou l’expression de genre à titre de motif de distinction au Québec
C’est en 2016 que le législateur a ajouté «l’identité ou l’expression de genre» dans l’énumération des motifs de distinction, d’exclusion ou de préférence protégés par l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne:
Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
[Nos soulignements.]
L’article 16 de la charte stipule quant à lui que:
Nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classifications d’emploi.
[Nos soulignements.]
Cas d’application récent: l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (E.B.) c. 9302-6573 Québec inc. (Bar Lucky 7)
La plaignante, qui s’identifie comme une femme trans, a soumis sa candidature pour un emploi de serveuse dans un bar. Quelques heures après avoir terminé une formation qui a été jugée satisfaisante, elle a rencontré le gérant du bar, qui lui a demandé si elle était trans. La plaignante a répondu que oui. Le gérant lui a alors dit qu’il ne pouvait pas l’engager en raison de risques pour sa sécurité ou de la réaction de la clientèle.
Bouleversée par cet événement, la plaignante a porté plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). Saisi de ce recours, le Tribunal devait déterminer si la plaignante, en tant que femme trans, avait été victime de discrimination lors du processus d’embauche auquel elle avait participé.
Dans sa décision, le Tribunal fait une revue de la doctrine et de la jurisprudence qui l’amène à conclure que «les mots "identité ou expression [de] genre" contenus à l’article 10 de la Charte incluent notamment le fait d’être une personne trans» (paragr. 66).
Les défendeurs (le gérant et l’entreprise exploitant le bar) n’ont pas participé à l’instance. En se fondant sur le témoignage de la plaignante, le Tribunal a conclu qu’il ne faisait aucun doute que la décision de ne pas l’embaucher était fondée sur son identité de genre.
De par leur absence, les défendeurs n’ont fourni aucun motif pour justifier cette discrimination. Le Tribunal s’est donc penché sur les motifs que le gérant aurait donnés le jour des événements. Quant au «risque de violence [que la plaignante] encourait de la part de clients s’ils découvraient qu’elle est une femme trans» (paragr. 89), le Tribunal a estimé que les craintes des défendeurs n’étaient «que de simples allégations ou spéculations» (paragr. 90) et qu’elles n’étaient pas fondées, et ce, «même si les femmes trans peuvent être susceptibles de vivre de la violence» (paragr. 91).
Le Tribunal a également souligné que, en vertu de l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, les défendeurs ont l’obligation d’assurer la sécurité de tous les salariés, «notamment à l’égard [des] clients "vieux jeux"» (paragr. 94). Ainsi, même si l’existence d’un risque de violence avait été prouvée, cela n’aurait pas eu pour effet de soustraire les défendeurs à leur obligation d’assurer la sécurité de leurs salariés.
Le Tribunal a ensuite rappelé que la jurisprudence considère que «les désirs ou les préférences de la clientèle ne peuvent pas justifier la discrimination» (paragr. 100). Ainsi, la réaction de la clientèle invoquée pour justifier le refus d’embaucher la plaignante n’est d’aucun secours aux défendeurs. En effet, «[l]e fait que la clientèle ait des préjugés à l’égard des personnes trans ou qu’elle soit même violente ne peut justifier [le] refus d’embauche» (paragr. 101).
Ayant conclu que la plaignante avait subi de la discrimination, le Tribunal lui accorde 10 000 $ en compensation du préjudice moral dont elle a été victime. Il a également condamné les défendeurs à des dommages punitifs de 2 000 $.
Dans sa décision, le Tribunal fait référence à une décision rendue en 2023 par le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) en matière de harcèlement discriminatoire qui avait également attiré notre attention.
Harcèlement discriminatoire fondé sur la Loi canadienne sur les droits de la personne
Le plaignant dans l’affaire Bilacest un homme transgenre qui a travaillé environ 3 mois comme camionneur avant de démissionner en raison du harcèlement dont il s’estimait victime. Il a déposé une plainte en vertu de l’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans laquelle il alléguait qu’une collègue et le propriétaire de l’entreprise l’appelaient par son morinom (le nom qui lui avait été attribué à la naissance) plutôt que par le nom qu’il avait choisi et le mégenraient en utilisant des pronoms féminins. Il reprochait également à ces derniers de lui avoir posé des questions inappropriées, notamment sur sa vie sexuelle et sur les toilettes qu’il utilisait.
À l’audience, le propriétaire de l’entreprise a reconnu que le plaignant lui avait demandé de l’appeler par le nom qu’il avait choisi, mais «qu’il refusait d’appeler qui que ce soit par un nom autre que leur nom légal sur le lieu de travail parce qu’il estimait que c’était peu professionnel et illégal de les appeler autrement» (paragr. 38).
Les intimés ont d’ailleurs mégenré le plaignant lors de l’audience, et ce, même après en avoir été avisés par l’avocat de ce dernier et le TCDP.
Après avoir analysé la preuve, le TCDP a conclu que «[l]e fait de mégenrer et morinommer un employé qui a demandé expressément et à de maintes reprises que son identité de genre soit respectée constitue un acte discriminatoire contraire à la [loi]» (paragr. 56). Pour lui, cette conduite était «suffisamment grave pour créer un milieu de travail négatif portant atteinte à la dignité [du plaignant]» (paragr. 50).
Au cours de son témoignage, le plaignant a également indiqué qu’il avait «expliqué aux intimés les dangers que pouvait entraîner la révélation publique de son statut de personne transgenre dans une petite ville» (paragr. 51).
L’employeur n’ayant pas pris les mesures nécessaires pour respecter les obligations énoncées à l’article 65 (2) de la loi, le TCDP l’a déclaré responsable des actes discriminatoires commis par son propriétaire et son employée à l’égard du plaignant.
Le plaignant s’est vu accorder 15 000 $ en compensation du préjudice moral qu’il avait subi. Son ancienne collègue a été condamnée à 3 000 $ de cette somme alors que l’employeur et son propriétaire ont été condamnés solidairement à payer 12 000 $ ainsi qu’une indemnité spéciale de nature punitive de 3 000 $.
En terminant, la décision du TCDP comprend un passage percutant que nous jugeons pertinent de reproduire en entier (paragr. 173):
[Le Tribunal] partage l’avis [du plaignant] selon lequel les employeurs doivent protéger les employés transgenres contre tout comportement discriminatoire sur le lieu de travail, y compris l’utilisation de certains mots, que ce soit de la part de la direction, d’autres employés ou de clients. Les personnes transgenres doivent s’attendre à être appelées par les noms qu’elles ont choisis et à être désignées par les pronoms qu’elles ont choisis. Pour les personnes transgenres, l’utilisation des bons pronoms n’est pas une question de préférence, mais bien une question de droit. Lorsque le nom et les pronoms choisis ne sont pas utilisés, les travailleurs transgenres doivent s’attendre à ce que leur employeur prenne des mesures pour remédier à la violation de la LCDP. Les employeurs devraient rapidement enquêter sur les allégations de violations des droits de la personne et y remédier sans tarder. Les employeurs ne doivent pas s’attendre à ce que les employés transgenres dissimulent leur identité trans lorsqu’ils sont au travail et ils ne doivent pas en faire une condition de travail.
[Nos soulignements.]
Ce que je ne comprends pas très bien, cause de non explication.
Si je dis me nommer x et demande à l’ employeur d’ utiliser ce nom, il faudrait aussi que sur mes papiers d’identité et au gouvernement je porte ce nom.
Car je comprends bien l’employeur qui applique le nom légal et non un nik-name.
Ne serais-ce que question comptable pour l’application du salaire. Et cela n’a pas été spécifié dans votre présentation.
Bien à vous