Si un syndicat peut obtenir une accréditation afin de représenter les salariés compris dans une unité de négociation, cette accréditation peut également être révoquée à certaines périodes et selon certaines conditions, lesquelles sont prévues à l'article 41 du Code du travail. Ainsi, le Tribunal administratif du travail (TAT) peut révoquer l'accréditation d'une association qui a cessé d'exister ou qui ne groupe plus la majorité absolue des salariés qui font partie de l'unité de négociation pour laquelle elle a été accréditée.
Toutefois, l'accréditation étant d'ordre public et le TAT en étant le gardien, une demande de révocation n'est pas un automatisme. Dans certains cas, la demande peut ne pas être fondée ou relever d'une manœuvre pour tout simplement se débarrasser d'un syndicat. Dans une décision récente, Lavoie-Gagnon c. Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, section locale 501, le TAT s'est penché sur une demande de révocation pour le moins inusitée. Je vous propose un bref survol des faits pertinents et la conclusion à laquelle le TAT en est arrivé.
Une entreprise avec un effectif réduit
L’employeur exploite une entreprise offrant des tours de calèche, de traîneau et de tramway hippomobile. En 2018, environ 20 à 25 cochers-guides ou palefreniers travaillent pour l’entreprise et sont représentés par un syndicat. En juillet 2018, alors que les parties négocient une nouvelle convention collective, une grève est déclenchée. Elle durera plus de 1 an et se terminera par la signature d’une nouvelle convention collective, en août 2019. L’employeur reprend alors ses activités, mais de façon réduite. À partir de janvier 2020, il n’utilise que 2 salariés sur la vingtaine visés par l’unité de négociation. Au mois de mars 2020 survient la pandémie de la COVID-19 et les activités cessent totalement. En avril 2023, l’employeur fait parvenir aux salariés, dont la très grande majorité est en mise à pied depuis mars 2020, un avis de fin d’emploi et de perte d’ancienneté en application des dispositions de la convention collective. À l’été 2023, quelques tours de calèche et de tramway sont de nouveau effectués. Une nouvelle salariée travaille de juin à septembre à titre d’aide-tramway pour assister l’adjoint du propriétaire. Cette nouvelle salariée, qui est la conjointe du propriétaire de l'entreprise et agit comme demanderesse dans le dossier de révocation, effectue quelques remplacements à titre d’aide-tramway en juillet. Elle reprend cette fonction en décembre 2023 et en janvier 2024.
À la mi-février 2024, le syndicat interpelle l’employeur pour savoir s’il a repris ses activités et si des salariés sont à son service. Le propriétaire répond avoir embauché sa conjointe le 1er février 2024 comme cochère-guide et que les cotisations prélevées sur son salaire seront versées au syndicat sous peu. Le 1er mars 2024, affirmant ne pas vouloir payer de cotisation syndicale, la nouvelle salariée appelle au TAT afin d’obtenir de l’information pour faire annuler l’accréditation. La journée même, elle dépose une demande de révocation. Devant le TAT, le syndicat conteste cette demande. Il prétend que les circonstances de son dépôt et l’embauche de la nouvelle salariée à titre de cochère-guide démontrent l’utilisation par l’employeur d’une manœuvre visant à révoquer l’accréditation de façon contraire à la liberté d’association.
La décision
Le TAT constate d'abord que le syndicat existe toujours, bien que les activités de l’entreprise aient cessé durant une certaine période et qu’elles soient actuellement modestes. Concernant le caractère représentatif du syndicat, le TAT qualifie la situation de particulière puisque, au moment de la demande en révocation, aucun des salariés syndiqués travaillant antérieurement pour l’entreprise n’a été rappelé au travail et une salariée y travaille, soit la conjointe du propriétaire. Selon le TAT, bien que la relation qui l’unit avec ce dernier puisse, à première vue, la placer en situation de conflit d’intérêts avec les autres salariés, cela ne lui fait pas perdre pour autant son statut de salariée ni ne l’exclut de l’unité de négociation en l’absence d’autres motifs. Ensuite, le TAT vérifie s’il existe une réelle volonté des salariés de voir l’accréditation révoquée. Pour l'employeur, c'est là où le bât blesse, car le TAT va conclure que ce dernier s'est immiscé dans le processus de révocation.
Premièrement, l’employeur s’est assuré en avril 2023 que le lien d’emploi de l’ensemble des salariés ayant participé au conflit de travail était rompu. Deuxièmement, il a embauché sa conjointe comme aide-tramway et l'a fait travailler quelques heures en juillet et en décembre 2023, de même qu’en janvier 2024. Troisièmement, il l'a désignée comme cochère-guide, le 1er février 2024, soit la veille de l’ouverture de la période pour demander la révocation de l’accréditation. Pourtant, le TAT constate qu'elle n’avait pas encore réussi l’examen ni décroché le permis pour agir comme cochère-guide. Il note qu'elle ne l’obtiendra que plus tard, soit 7 semaines après le 1er février. Quatrièmement, l'employeur a prélevé des cotisations syndicales sur son salaire de cochère-guide, alors qu’aucune cotisation n’était retenue sur son salaire d’aide-tramway. Le TAT souligne que, avec cette nouvelle désignation, sa conjointe pourra participer au processus de révocation à venir. Cinquièmement, la conjointe du propriétaire semble travailler activement durant la période ouverte pour demander la révocation, et très peu une fois la demande déposée. De tous ces éléments le TAT va tirer la conclusion qui s'impose:
[40] Au moment où la révocation est demandée, [la demanderesse] n’est pas cochère-guide ni palefrenière. On peut donc se questionner sur une réelle volonté des salariés de l’unité de négociation de voir l’accréditation révoquée, alors que la seule salariée à l’emploi s’étant exprimée est la conjointe du propriétaire avec qui il n’est pas clair qu’ils aient une communauté d’intérêts. La conjointe devient ainsi l’outil parfait pour le propriétaire afin de se départir du syndicat.
[Nos soulignements.]
Le TAT va donc rejeter la demande de révocation en soulignant que faire droit à cette demande dans de telles circonstances permettrait à un employeur de profiter d’une situation qu’il a lui-même créée et qu'une telle façon d'agir ne respecte pas l'économie du code.
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