La syndicalisation de salariés de grandes multinationales donne souvent lieu à des luttes acharnées. Au Québec, celles qui ont été menées chez Couche-Tard et Walmart en sont de bons exemples. Le combat s'est maintenant déplacé chez Amazon.

Saisi d'une plainte pour entrave aux activités du syndicat, le Tribunal administratif du travail a dû rappeler à Amazon les restrictions que le Code du travail impose à la liberté d'expression de l'employeur lors d'une campagne de syndicalisation.

Il a en outre condamné l'entreprise à verser au syndicat 10 000 $ en dommages-intérêts et 20 000 $ en dommages punitifs.

Les règles applicables

Les balises qu'un employeur doit respecter ont été établies dans l'affaire Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 194 c. Disque Améric inc.

Essentiellement, les propos que l'employeur décide de tenir lors d'une campagne de syndicalisation doivent être exempts de menaces, de promesses ou de leurres.

L'employeur doit également s'abstenir de faire appel aux émotions de ses interlocuteurs ou d'utiliser son autorité d'employeur comme levier pour véhiculer ses opinions antisyndicales.

Enfin, les salariés doivent être libres d'écouter ou non ses propos.

Au terme de son analyse, le TAT a conclu qu'Amazon avait contrevenu à 3 de ces critères.

Des salariés et un syndicat au statut précaire

Le juge administratif a d'abord souligné l'importance de bien comprendre le contexte afin de prendre la juste mesure de l'incidence de la conduite d'Amazon sur la campagne de syndicalisation.

Notamment, le syndicat était en cours de constitution et tentait d'obtenir l'adhésion des salariés pour une seconde fois, ce qui le plaçait dans une position particulièrement vulnérable.

De plus, le profil des travailleurs posait des difficultés additionnelles: la majorité d'entre eux étant des immigrants au statut précaire, ils se montraient plus craintifs et inquiets des répercussions que pourrait avoir leur adhésion sur leur emploi et leur statut dans leur pays d'adoption.

Appel aux émotions

Les messages en cause étaient les suivants:

«Une carte syndicale est un document juridique.»

«Les syndicats ne peuvent pas garantir les changements en milieu de travail.»

«Vous n’avez pas à fournir vos renseignements personnels.»

«Les syndicats vous facturent des cotisations.»

«Joining a union is a personal choice – it should not be taken lightly.»

«You have the right to decide whether or not to sign a card.»

De plus, ils étaient coiffés des titres «Protégez votre signature» ou «Les faits sur les syndicats» et se terminaient toujours par la phrase suivante: «Parlez à vos dirigeants pour en savoir plus.»

De l'avis du TAT, ces messages en apparence plutôt neutres prennent une autre signification lorsque les salariés auxquels ils s’adressent sont, comme c'était le cas en l'espèce, susceptibles d'être préoccupés par la précarité de leur emploi et de leur statut d’immigrant ou de résident.

Pour le TAT, ils visaient surtout à susciter de l’inquiétude et de l’aversion envers le syndicat.

Des salariés captifs

De plus, ces messages étaient diffusés partout dans les lieux fréquentés par les salariés. Ils étaient en projection continue sur les écrans du service des ressources humaines. Ils avaient également été imprimés et insérés dans des «écrans verticaux» placés dans les aires de repos, sur chacune des tables de la cafétéria et dans les salles de toilettes.

Dans un tel contexte, de l'avis du TAT, il était impossible pour les salariés d'en faire abstraction ou de ne pas en prendre connaissance.

Une équipe de gestion expressément formée pour sauter dans l'arène

Enfin, le TAT a estimé qu'Amazon avait indûment eu recours à son autorité en invitant les salariés à parler à leurs gestionnaires «pour en savoir plus».

En effet, ces gestionnaires se sont vu offrir une formation particulière afin de faire face au risque de syndicalisation. La documentation qui leur a été remise à cette occasion les informait que la syndicalisation était incompatible avec la culture d'entreprise d'Amazon et leur suggérait des réponses à donner aux salariés, la plupart desquelles remettait en question l'utilité des syndicats.

Une stratégie globale

Bref, selon le TAT, l'invitation de l'employeur s'inscrivait dans une stratégie globale visant à court-circuiter toute velléité syndicale:

[55]        En somme, sous prétexte de répondre aux questions de façon neutre, l’objectif d'Amazon est de contrecarrer le processus de syndicalisation. Ses messages s’inscrivent dans une stratégie globale, adaptée au type de main-d’œuvre qu’il emploie. Ils visent à semer le doute et à inciter les salariés à en discuter avec leurs gestionnaires qui vont leur présenter d’autres arguments pour les dissuader d’adhérer au syndicat.

Dans un tel contexte, il était difficile pour le TAT de ne pas joindre à ses autres conclusions une condamnation à des dommages punitifs pour atteinte intentionnelle à la liberté d'association.