Les communautés autochtones font face à plusieurs défis et à des enjeux cruciaux, lesquels sont notamment liés au territoire, à leur gouvernance, à leur accès à la santé, à la protection de leur identité culturelle, à leurs langues, à la sécurisation des femmes, à la problématique de leur surreprésentation dans le système judiciaire et carcéral ou de celle de leurs enfants en matière de protection de la jeunesse, au logement ou encore à l'itinérance, et à l'égard desquels des réponses doivent être apportées et des actions entreprises en tenant compte de leurs réalités, qui sont multiples.
Dans ce contexte, il demeure pertinent de se poser la question: «Quelle justice pour les Premières Nations, les Inuit et les Métis?». Elle est d'autant plus d'actualité que le 30 septembre prochain aura lieu la 4e Journée nationale de la vérité et de la réconciliation et que «sans vérité, justice et guérison, il ne peut y avoir de véritable réconciliation.», selon la page 13 de l'introduction du sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR).
Dans le rapport de la CVR, il est également mentionné que:
«Toute stratégie visant à réduire la victimisation des Autochtones et la criminalité chez ces derniers doit également reconnaître les droits de ces peuples d’élaborer leurs propres systèmes de justice dans le cadre d’un engagement plus important à l’égard de l’autodétermination et de l’autonomie gouvernementale des Autochtones.» (p. 191)
Il y a en effet lieu de distinguer les systèmes de justice et le droit autochtone du droit applicable aux autochtones, comme cela a été notamment souligné dans le cadre de la Commission d'enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics:
«La CVR recommande la protection et la revitalisation du droit autochtone par de multiples avenues, afin de redynamiser ces traditions attaquées et mises à l’écart par des siècles de colonisation.» (p. 1)
Cependant, des solutions ont d'ores et déjà été proposées et mises en place par notre système de justice pénale pour tenir compte du statut autochtone, et ce, à la suite des arrêts Gladue et Ipeelee.
Les arrêts Gladue et Ipeelee: facteurs systémiques et sanctions substitutives
Il y a 25 ans déjà, la Cour suprême du Canada s'est prononcée, dans l'arrêt R. c. Gladue, sur l’article 718.2 e) du Code criminel (C.Cr.), lequel édicte que, en matière de détermination de la peine, le tribunal doit tenir compte de certains principes, dont: «l’examen, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, de toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité».
La Cour suprême a relevé que: «Il ne faut pas s’en surprendre, mais le recours excessif à l’emprisonnement dans le cas des autochtones n’est que la pointe de l’iceberg en ce qui concerne la marginalisation des autochtones au sein du système de justice pénale au Canada. Les autochtones sont surreprésentés dans virtuellement tous les aspects du système.»
(Nos soulignements, paragr. 61.)
Tout en précisant que, pour jouer son rôle réparateur, le juge qui prononce la peine doit «accorder une attention particulière aux circonstances dans lesquelles se trouvent les délinquants autochtones» (paragr. 66), dont notamment:
(A) les facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui peuvent être une des raisons pour lesquelles le délinquant autochtone se retrouve devant les tribunaux;
(B) les types de procédures de détermination de la peine et de sanctions qui, dans les circonstances, peuvent être appropriées à l’égard du délinquant en raison de son héritage ou attaches autochtones.
(Nos soulignements, paragr. 66.)
Puis, en 2012, le Cour suprême s'est de nouveau penchée sur l'article 718.2 e) C.Cr. dans l’arrêt R. c. Ipeelee. Elle a mentionné:
Plus d’une décennie s’est écoulée depuis le prononcé de l’arrêt Gladue. Comme le montrent les statistiques, l’al. 718.2e) du Code criminel n’a pas eu d’effet perceptible sur le problème de surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale. Certes, les principes énoncés dans Gladue n’ont jamais été envisagés comme une panacée. La doctrine et la jurisprudence semblent toutefois indiquer que cet échec pourrait découler dans une certaine mesure de problèmes fondamentaux d’interprétation et d’application tant de l’al. 718.2e) que de notre décision dans l’affaire Gladue. Nous tenterons donc maintenant de résoudre ces problèmes d’interprétation, de clarifier certaines ambiguïtés et de fournir des directives additionnelles aux tribunaux pour qu’ils puissent mettre en œuvre, avec un regain de vigueur, cette disposition relative à la détermination de la peine. (paragr. 63)
Après avoir fait état des critiques formulées tant à l'encontre de la disposition elle-même que de l'arrêt Gladue, la Cour suprême a notamment tenu à préciser que:
L’alinéa 718.2e) n’autorise pas une réduction de peine fondée sur la race. Cette disposition n’invite pas les tribunaux à remédier au problème de surreprésentation des Autochtones dans les prisons par une réduction artificielle des taux d’incarcération. Les juges chargés d’infliger la peine doivent plutôt accorder une attention particulière aux circonstances dans lesquelles se trouvent les délinquants autochtones pour fixer une peine véritablement adaptée et appropriée au contexte d’un cas donné. Il s’agissait, et il s’agit toujours, de leur obligation fondamentale. […] Dans l’arrêt Gladue, la Cour […] a reconnu que les tribunaux canadiens n’avaient jusqu’alors pas tenu compte des circonstances particulières propres aux délinquants autochtones, malgré leur pertinence dans l’imposition de la peine.
(Nos soulignements, paragr. 75.)
En ce qui concerne la culpabilité du délinquant, la Cour suprême a mentionné que les facteurs systémiques et historiques pouvaient influer sur celle-ci, «dans la mesure où ils mettent en lumière son degré de culpabilité morale» (paragr. 73), en ces termes:
[…] de nombreux délinquants autochtones se trouvent placés dans des situations économique et sociale défavorables et confrontés à un manque de débouchés et des possibilités limitées de développement harmonieux […] leur situation difficile peut, en fait, atténuer leur culpabilité morale.»
(Nos soulignements, paragr. 73.)
Quant aux types de sanctions susceptibles d'être appropriées, soulignons que la Cour suprême a indiqué que:
Les principes énoncés dans l’arrêt Gladue obligent le juge, lorsqu’il détermine la peine, à éviter de présumer que tous les délinquants et toutes les collectivités partagent les mêmes valeurs, et à reconnaître que, compte tenu de la présence de conceptions du monde foncièrement différentes, l’imposition de sanctions différentes ou substitutives peut permettre d’atteindre plus efficacement les objectifs de détermination de la peine dans une collectivité donnée.
(Nos soulignements, paragr. 74.)
Rapport Gladue: présentation des facteurs historiques, systémiques et individuels ayant pu contribuer à la présence de l’accusé devant le tribunal et proposition de sanctions adaptées
À la suite de l'arrêt Gladue, les principes qui y ont été énoncés ont été mis en œuvre par l'entremise des «rapports Gladue» ou des «lettres Gladue», lesquels sont mentionnés dans plusieurs décisions.
Des informations sur le contenu ou la confection d'un rapport Gladue se trouvent sur le site Internet de l'un des partenaires de SOQUIJ, Les services parajudiciaires autochtones du Québec, un organisme qui, en collaboration avec le ministère de la Justice du Québec, est responsable de coordonner les demandes ordonnées par le tribunal pour la rédaction de rapports Gladue. Par ailleurs, sur le site Internet du ministère de la justice du Canada, on trouve un rapport contenant des informations exhaustives et pertinentes sur l'application de l'arrêt Gladue.
Illustrations jurisprudentielles
La décision rendue dans Blacksmith c. R. illustre l'importance et l'utilité d'un rapport Gladue. Dans cette affaire, la Cour d'appel du Québec a retenu que la juge de première instance avait omis de faire le lien entre les facteurs historiques ou systémiques et le degré de culpabilité morale de l'appelant, qui avait déchargé une arme à feu dans un geste de désespoir. Une peine d'emprisonnement avec sursis de 18 mois a été substituée à la peine de 5 ans d'emprisonnement.
La Cour a relaté les conditions particulièrement difficiles dans lesquelles l'appelant avait évolué dès sa naissance et a noté qu'il avait «amorcé un processus de guérison en participant à un programme à l’intérieur des murs de la prison d’Amos, pour mater la violence. Il a également participé à des sessions de l’organisme Alcooliques Anonymes, à des Cercles de partage et à des rencontres avec les Aînés pendant sa détention provisoire.» (paragr. 33)
Par ailleurs, on ne peut passer sous silence l'ajout d'articles au Code criminel suivant lesquels, si la victime est une femme autochtone, le juge doit privilégier les objectifs de dissuasion et de dénonciation (art. 718.04 C.Cr.) ainsi que tenir compte de la vulnérabilité accrue de celle-ci (art. 718.201 C.Cr.) dans un contexte de violence conjugale. On trouve une illustration de l'application de ces articles dans une décision rendue en 2020, R. c. L.P, dans laquelle la Cour d'appel y a précisé que:
In cases of sexual violence against Indigenous women, the Gladue factors affecting the offender have to be weighed against the necessity to give appropriate consideration to the historical and systemic circumstances of Indigenous women victims of sexual violence in the domestic context, the whole to meaningfully achieve the fundamental purposes of sentencing and the protection of the public. (paragr. 123)
Tribunaux Gladue, cercles et justice communautaire
Il y a également lieu de souligner, en guise de conclusion, que, dans certaines provinces, des tribunaux Gladue ont été mis en place, notamment en Ontario. Ces tribunaux intègrent des pratiques culturelles autochtones et des concepts de justice autochtones. De plus, la séance pourrait commencer par une cérémonie de purification ou par le chant ou encore la prière d'un aîné ou d'un gardien du savoir. Par ailleurs, il existe aussi des cercles de guérison ou cercles de conciliation ou de détermination de la peine, ainsi que la possibilité de faire appel à la justice réparatrice et à d'autres mesures de rechange. Enfin, il existe plusieurs autres initiatives, par exemple le Programme d’accompagnement justice pour les autochtones, offert à la Cour municipale de Montréal.
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