Dans le cadre de la Semaine de sensibilisation aux maladies mentales, je vous présente quelques cas récents de réclamations pour des lésions professionnelles de nature psychologique, toutes reliées aux droits de la direction.

Que sont les droits de la direction ?

Les droits de la direction de l'employeur découlent, entre autres choses, du lien de subordination du salarié (art. 2085 et 2088 du Code civil du Québec), selon lequel ce dernier s'engage à exécuter sa prestation de travail conformément aux directives et exigences de l'employeur.

Ainsi, ce droit confère à l'employeur le pouvoir de diriger et de contrôler les activités de son entreprise. Il s'agit d'un pouvoir de nature discrétionnaire et, à ce titre, la doctrine et la jurisprudence lui reconnaissent une liberté d'action assez large qui comprend le droit à l'erreur, à la condition que celle-ci ne soit pas abusive ou déraisonnable. L'employeur se doit cependant d'agir équitablement, de manière conséquente et proportionnée.

Quelques cas jurisprudentiels récents

Béliveau c. Château Bromont inc.: Réclamation acceptée

Le trouble de l'adaptation au stress d'une directrice des ressources humaines, à qui l’on avait demandé d'implanter un système de gestion du temps, a été reconnu à titre de lésion professionnelle de nature psychologique.

Le Tribunal a conclu que les événements imprévus et soudains vécus par la travailleuse, notamment les nombreuses rencontres annulées ou oubliées de son gestionnaire, son isolement, la réception d'un courriel contenant une photographie d'une poupée vaudou, sa suspension sans solde et l'abolition de son poste quelques semaines plus tard, avaient découlé de l’exercice abusif des droits de direction et qu'il ne s'agissait pas que de simples conflits entre des personnes.

Il a également conclu que ces événements pouvaient être qualifiés de manifestations de harcèlement psychologique survenues par le fait ou à l’occasion de son travail.

Centre de services scolaire de Montréal et Jean : Réclamation refusée

Le trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse d'un enseignant en mathématiques n'a pas été reconnu à titre de lésion professionnelle de nature psychologique.

Bien qu'il ait été reconnu qu'un élève lui avait manqué de respect, le Tribunal a conclu qu'il n'était ni abusif ni déraisonnable d’exiger son retour en classe après une suspension de 5 jours et son exclusion du cours de mathématiques depuis près de 2 mois. Il appartenait à la direction et non au travailleur d'établir la sanction appropriée. Ce faisant, l'employeur n'a pas abusé de ses droits de direction dans la gestion de cette situation.

Arseneault et Commission scolaire de la Jonquière : Réclamation acceptée

Le trouble de l'adaptation diagnostiqué chez une enseignante de français au niveau secondaire a été reconnu à titre de lésion professionnelle de nature psychologique.

Le Tribunal a reconnu que les événements s'étant déroulés à la suite d'une rencontre d'évaluation, qui s'était avérée pour la première fois fortement défavorable, avaient débordé le cadre normal du travail, alors que la directrice avait eu un comportement inapproprié, notamment en ne lui laissant pas l’occasion de s’expliquer et en exigeant, 2 jours plus tard, qu'elle quitte l'établissement.

Arrondissement Plateau-Mont-Royal--Ville de Montréal et El Haouat : Réclamation acceptée

Le trouble de l’adaptation avec symptômes anxio-dépressifs d'un préposé aux travaux et à la propreté a été reconnu à titre de lésion professionnelle de nature psychologique.

Selon le Tribunal, des faits graves, précis et concordants permettaient d'inférer que le travailleur avait été victime d'un exercice déraisonnable des droits de la direction par son nouveau contremaître, notamment la différence de traitement sur le plan disciplinaire entre le travailleur et ses collègues depuis l'entrée en fonction du nouveau contremaître, des consignes nébuleuses, des avis d'infraction reposant sur des faits dont le nouveau contremaître n'avait pas eu personnellement connaissance et des démarches ciblées de l'employeur pour sanctionner le travailleur. Un tel contexte dépasse le conflit de personnalités.

Michaud et Centre de services scolaire des Monts-et-Marées: Réclamation refusée

Le trouble de l’adaptation d'une enseignante dans un centre d’éducation des adultes, qui avait appris qu'elle faisait l'objet d’une enquête en raison d’une plainte pour harcèlement psychologique, n'a pas été reconnu à titre de lésion professionnelle de nature psychologique.

Selon le Tribunal, le caractère traumatisant des faits allégués, qui sont notamment en lien avec l'attitude d'une collègue, du directeur et de l'employeur, a uniquement découlé de la perception de la travailleuse.

En effet, l’employeur a exercé convenablement son droit de direction dans les circonstances et compte tenu du comportement de la travailleuse. Il a procédé à l’enquête qui s’imposait et a imposé des mesures en conséquence du résultat en retirant son poste à la travailleuse, mais en lui offrant de travailler à titre de remplaçante dans d’autres écoles.

En outre, aucun élément de preuve n'a démontré que l'employeur avait agi de mauvaise foi ni de façon abusive, déraisonnable ou discriminatoire dans l’exercice de son droit de direction.

Conclusion

Par conséquent, il faut généralement exclure du champ d’une lésion professionnelle de nature psychologique les problèmes normaux de relations du travail, tels que les conflits interpersonnels ou administratifs, même s’ils peuvent influencer négativement l’état de santé d’un travailleur.

Il demeure toutefois que le nombre de lésions psychologiques ne fait qu'augmenter avec les années et que cela coûte cher, autant aux travailleurs qu'aux employeurs. La prise en charge des risques psychosociaux dans le milieu de travail par l'employeur est donc importante. À cet égard, la CNESST propose diverses ressources spécialisées en santé psychologique.