Les décisions des tribunaux administratifs du Québec représentent plus de 60 % du volume de traitement et de diffusion de SOQUIJ. Pourtant, malgré son influence dans le quotidien des Québécois et des Québécoises, la justice administrative reste peu connue. En 2023, SOQUIJ a rencontré les différents décideurs administratifs pour mieux connaître et faire connaître leur travail.
La zone agricole du Québec tient sur moins de 4 % de l’ensemble du territoire de la province. Un organisme spécialisé veille à la protection de ce qui constitue le garde-manger des Québécois.
SOQUIJ s’est tournée vers Stéphane Labrie, président de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), et Élaine Grignon, l’une de ses vice-présidentes, afin de faire le point sur les responsabilités et les mécanismes de cet organisme.
Travailler pour le territoire et la collectivité
Au Québec, la CPTAQ est l’acteur numéro un en matière de protection du territoire agricole. Dans l’exercice de leurs fonctions, les commissaires s’appuient principalement sur la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA), qui précise les différents actes permis et interdits en zone agricole. La CPTAQ applique cette loi et ses règlements dans l’intérêt du public québécois, c’est-à-dire qu’elle évalue les demandes et les déclarations qui lui sont présentées selon leurs effets potentiels dans la collectivité.
«On s’est donné comme mission générale de pérenniser un territoire propice à l’exercice et au développement durable des activités agricoles.»
– Stéphane Labrie, président et commissaire
Bien qu’elle se distingue d’un tribunal, en ce sens qu’elle n’analyse pas de preuves ni ne tranche de litiges, la Commission occupe un rôle décisionnel majeur. Ses interventions influencent l’avenir du territoire et des entreprises agricoles existantes et futures. Devant chaque dossier, le ou la commissaire responsable doit tenir compte des spécificités du projet, mais aussi des particularités de la région. Ainsi, pour une demande identique en Montérégie et en Gaspésie, la décision de la CPTAQ pourrait différer, ce qui est une réalité peu commune dans la législation québécoise.
Tant dans l’analyse de demandes que pour la surveillance sur le terrain, une équipe pluridisciplinaire assure le bon déroulement des activités de la Commission. Elle rassemble en effet des juristes, mais également des professionnels issus du milieu agricole, par exemple des agronomes et des arpenteurs-géomètres. Grâce à cette pluralité d’expertises, les dossiers sont traités avec la plus grande rigueur ainsi qu’une vaste compréhension de la réalité des propriétaires de terres agricoles.
«Pour comprendre le monde agricole, c’est un atout d’avoir des professionnels ou des membres de la Commission qui ont été sur le terrain, qui comprennent la réalité des producteurs et du milieu.»
– Élaine Grignon, vice-présidente et commissaire
Une approche individualisée
Un citoyen, une entreprise ou un organisme telle une municipalité doit obligatoirement s’adresser à la CPTAQ avant d'effectuer l’un des actes suivants en zone agricole:
- Utilisation d’un lot à une fin autre qu’agricole (résidentielle, commerciale, etc.);
- Coupe d’érables dans une érablière ou utilisation à une fin autre qu’acéricole;
- Morcellement ou aliénation (vente ou don) d’un lot;
- Enlèvement de sol arable;
- Inclusion ou exclusion d’un lot;
- Acquisition d’une terre en tant que non-résident du Québec.
Avant de l’accepter ou de la refuser, la CPTAQ analyse chaque demande d’autorisation avec une approche individualisée, selon des critères prévus par la LPTAA et la Loi sur l’acquisition de terres agricoles par des non-résidents. La CPTAQ n’entend pas de preuve: elle reçoit des observations du demandeur et de personnes concernées par le dossier, elle effectue les vérifications nécessaires, puis elle prend une décision. C’est la responsabilité du demandeur de fournir une démonstration appuyée de faits, de documents et de témoignages (y compris sur les particularités régionales) pour justifier son projet.
Dans leur rôle décisionnel, les commissaires agissent également lors du dépôt à leur organisme d’une déclaration d’exercice d’un droit, par exemple une personne physique ou morale qui souhaite faire reconnaître un droit ou un droit acquis afin d’être dispensée de formuler une demande d’autorisation pour un acte interdit en zone agricole.
Peu importe le type de démarche, les gens peuvent choisir un ou une mandataire pour les représenter. De plus, dans les dernières années, la Commission a adopté et diffusé des règles de pratique claires pour soutenir le public et répondre à ses questions à chaque étape du processus.
Quelques dates clés
1978: Création de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ). La CPTAQ voit le jour dans la foulée de l’adoption de la Loi sur la protection du territoire agricole par le gouvernement provincial. Cette loivient alors interdire, sur un territoire donné, l’utilisation du sol à des fins autres que l’agriculture, le morcellement des terres, l’enlèvement de sol arable et la coupe d’érables dans une érablière.
1989: Constitutionnalité des limitations du droit de propriété en zone agricole. Dans les affaires Venne, Veilleux et Gauthier , les limitations prévues par la Loi sur la protection du territoire agricole sont reconnues conformes à la Constitution.
1996: Évolution de la Loi sur la protection du territoire agricole. Désormais appelée Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, elle permet une plus grande implication des municipalités régionales de comté (MRC) et des municipalités en matière de gestion de la fonction résidentielle en zone agricole. C’est à partir de ce moment-là que la CPTAQ peut rendre des décisions à portée collective.
2009: Confirmation du rôle unique de la CPTAQ. Dans une décision mettant en cause la municipalité de St-Pie, la Cour d’appel du Québec affirme que la Commission est l’unique organisme spécialisé en ce qui a trait à la protection du territoire agricole au Québec. Elle précise aussi que le traitement des demandes d’autorisation est du ressort de la CPTAQ, et non du Tribunal administratif du Québec.
2021: Élargissement de la mission de la CPTAQ. Avec l’adoption du projet de loi 103 par le gouvernement du Québec, le rôle de la Commission évolue. Lors du traitement de ses dossiers, elle prend désormais en considération le développement des entreprises agricoles et les particularités régionales, en plus de la protection du territoire agricole de façon globale.
2024: Dépôt d’un projet de loi visant à assurer la pérennité du territoire agricole. En décembre, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, a présenté à l’Assemblée nationale le projet de loi 86, Loi visant à assurer la pérennité du territoire agricole et sa vitalité.
Cette série de portraits des tribunaux administratifs du Québec est réalisée en collaboration avec le Regroupement des présidents des tribunaux administratifs du Québec et la Conférence des juges administratifs du Québec.