Le Tribunal des droits de la personne a récemment eu l'occasion de définir pour la première fois la notion de «profilage social». Dans l'affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Levasseur), la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) alléguait qu'une personne en situation d'itinérance avait été victime de harcèlement discriminatoire fondé sur sa condition sociale de la part des agents de stationnement et de police de la Ville de Montréal, qui lui avaient remis près de 230 constats d’infraction pour des infractions à la réglementation municipale ou au Code de la sécurité routière.
S'inspirant de la définition de «profilage racial» se trouvant dans l’arrêt Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), le Tribunal a retenu la définition suivante (paragr. 188):
Le profilage social désigne toute action prise par une ou des personnes en situation d’autorité à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose sur des facteurs d’appartenance réelle ou présumée, telle que la condition sociale, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d’exposer la personne à un examen ou à un traitement différent.
Le profilage social inclut aussi toute action de personnes en autorité qui appliquent une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait notamment de leur condition sociale réelle ou présumée.
Le profilage individuel et le profilage systémique
Selon le Tribunal, la définition de «profilage racial» adoptée dans l’arrêt Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation demeure donc pertinente, avec les adaptations nécessaires, concernant la condition sociale. Et tout comme la définition du profilage racial, celle du profilage social renvoie à des situations distinctes et différentes.
Le premier alinéa de cette définition vise le profilage individuel et fait référence à un traitement différencié préjudiciable qui repose sur des facteurs d’appartenance d’une ou de plusieurs personnes ciblées à un groupe caractérisé, notamment par sa condition sociale.
Le second alinéa aborde le profilage sous un angle plus systémique puisqu’il traite de l’application disproportionnée de mesures sur des segments de la population du fait notamment de leur condition sociale réelle ou présumée.
Que ce soit en vertu du premier ou du second alinéa, le profilage social, à l'instar de la description du profilage racial dans l'affaire R. c. Le, se rattache principalement à la motivation et se produit lorsque des facteurs d’appartenance réelle ou présumée, telle que la condition sociale, sont utilisés consciemment ou inconsciemment dans la sélection des suspects ou le traitement des individus.
La condition sociale comme motif de discrimination
Comme le rappelle la Cour d'appel dans l'arrêt Aluminerie de Bécancour inc., la condition sociale résulte de caractéristiques que l’on attribue généralement à une personne en raison de critères socioéconomiques, notamment de son revenu. Globalement, la jurisprudence québécoise a privilégié la protection de différentes catégories de personnes qui ont généralement (mais pas toujours) comme dénominateur commun d’avoir un faible revenu ou de vivre une situation économique précaire.
Voici quelques exemples de discrimination fondée sur un motif de condition sociale protégée par l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne:
- Le fait d'être étudiant (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudry et autres) c. Aluminerie de Bécancour inc.);
- Le fait d’être prestataire de l’assurance-emploi (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Marchand) c. Girard);
- Le fait de toucher une indemnité de la Société de l’assurance automobile du Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Fortier) c. Blanchette);
- Le statut de prestataire d’aide sociale (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Malenfant) c. Normandin).
La vulnérabilité et l’absence de ressources de toutes sortes qui caractérisent souvent la condition sociale ne sont généralement pas détectables en un seul coup d’œil. La preuve de profilage discriminatoire est donc difficile à faire en raison notamment du fait qu’elle repose souvent sur des préjugés ou des stéréotypes inconscients.
Comme le profilage social constitue une forme de discrimination prohibée par l’article 10 de la charte, les tribunaux doivent se montrer sensibles à l’ensemble des circonstances et du contexte permettant de déterminer si un motif prohibé, en l’occurrence la condition sociale, a consciemment ou inconsciemment joué un rôle dans une situation donnée.
Merci pour ce bel article et les exemples fournis de profilage social 🙂