Je ne peux passer sous silence le fait que, il y a 5 ans, jour pour jour, l'état d'urgence sanitaire était déclaré au Québec en raison de la pandémie de la COVID-19. Dans un billet daté du 26 mars 2020, alors que Tribunal ne s'était pas encore prononcé sur la survenance d'une lésion professionnelle en présence d'un diagnostic d'infection à la COVID-19, je faisais le parallèle avec la jurisprudence portant sur les travailleurs qui avaient été exposés à différents virus.
Depuis, le Tribunal s'est prononcé à maintes occasions sur l'infection à la COVID-19 et le sujet est toujours d'actualité devant celui-ci. L'infection à la COVID-19 a été reconnue plusieurs fois à titre de maladie professionnelle et d'accident du travail. La pandémie de la COVID-19 a également été à l'origine de lésions psychologiques et de lésions de nature musculo-squelettique. Il ne faudrait pas oublier non plus les cas de COVID-longue qui ont été reconnus en lien avec une lésion professionnelle ou à titre de récidive, rechute ou aggravation.
Tout récemment, le Tribunal a rendu une décision dans laquelle l'employeur en cause était la résidence Floralies Lachine inc., laquelle avait fait couler beaucoup d'encre pendant la pandémie. Il a reconnu que le trouble de l'adaptation diagnostiqué chez la travailleuse, qui avait occupé les postes de directrice des soins infirmiers et de directrice générale, constituait une lésion professionnelle. Celle-ci était reliée à la surcharge de travail vécue par la travailleuse et à l'enquête menée par le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux à son insu.
Dans une autre décision tout aussi récente, le Tribunal a conclu que la toux importante reliée à l'infection à la COVID-19, reconnue à titre de lésion professionnelle, avait entraîné l'aggravation de la condition personnelle lombaire de la travailleuse, en l'occurrence des hernies discales à plusieurs niveaux, de l'arthrose et une sténose foraminale L5-S1.
La Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail est entrée en vigueur le 6 octobre 2021. Avant son adoption, un travailleur ne pouvait bénéficier de la présomption de maladie professionnelle pour un diagnostic de nature psychologique.
Depuis le 6 octobre 2021, l'article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) renvoie au Règlement sur les maladies professionnelles, lequel comprend une section sur les «troubles mentaux». À cette section se trouve le diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT).
Pour pouvoir bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue au nouvel article 29 LATMP, le travailleur doit démontrer qu'il est atteint d'un TSPT et «avoir exercé un travail impliquant une exposition de manière répétée ou extrême à une blessure grave, à la de la violence sexuelle, à une menace de mort ou à la mort effective, laquelle n'est pas occasionnée par des causes naturelles» (ann. A, section VII du règlement).
Dans une décision récente, le Tribunal s'est prononcé pour une première fois sur l'application du nouvel article 29 LATMP. Il a conclu que la travailleuse ne pouvait bénéficier de la présomption de maladie professionnelle puisque les conditions d'applications n'avaient pas été démontrées. Le Tribunal a toutefois conclu que la travailleuse avait subi un accident du travail.
Les faits
La travailleuse occupe des fonctions de policière et d'agente sociocommunautaire et aux relations médias. En 2022, elle a produit une réclamation pour un diagnostic de TSPT chronique qu'elle attribuait à 3 événements vécus au cours de sa carrière. Plus particulièrement, en 2008, au début de celle-ci, elle a été exposée pour la première et seule fois à la mort d'un individu par pendaison. En 2015, la travailleuse a été appelée sur les lieux d'un accident d'automobile. Elle y a découvert une voiture en feu et un jeune homme recroquevillé à l'intérieur de l'automobile écrasée. Ce dernier a survécu. En 2019, la travailleuse s'est rendue sur les lieux d'un accident agricole. Dès son arrivée, elle a constaté le décès évident du travailleur, qui avait la tête écrasée et le cerveau apparent.
La Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail a refusé la réclamation de la travailleuse en l'absence de circonstances inhabituelles dépassant le cadre normal de l'emploi de policière.
La décision
Le diagnostic de TSPT ayant été posé postérieurement au 6 octobre 2021, le Tribunal administratif du travail (TAT) a appliqué les nouvelles dispositions législatives. En présence d'un diagnostic de TSPT et considérant la nature des événements invoqués en l'espèce, le Tribunal a retenu qu'il devait déterminer s'il y avait la preuve d'une exposition répétée ou extrême à une blessure grave ou à une mort effective.
La travailleuse prétendait que, même s'il n'y avait eu que 3 événements sur une période de 10 ans, la récurrence des «flashbacks» et les incidents lui faisant revivre ceux-ci s'apparentaient à une exposition répétée.
Elle avançait aussi que l'on pouvait considérer comme extrême l'exposition vécue en raison de la présence de 2 décès et de 1 blessé grave, ces situations étant plutôt rares pour les policiers et agents sociocommunautaires et aux relations médias.
Ces arguments n'ont pas été retenus par le Tribunal.
L'exposition répétée
En ce qui concerne l'exposition répétée, le Tribunal a renvoyé au sens ordinaire ou usuel du terme «répété». Il a retenu que l'exposition devait se produire à maintes reprises et non pas seulement 3 fois en 10 ans.
De plus, il a été d'avis qu'une analogie pouvait être faite avec la notion de «répétitions de mouvements», soit une condition d'application de la présomption énoncée à l'article 29 LATMP pour certaines maladies professionnelles de nature physique, en l'occurrence les maladies musculo-squelettiques. À cet égard, la jurisprudence conclut que les «mouvements répétés» sont synonymes de sollicitation fréquente. Le Tribunal a donc conclu que l'exposition répétée à une blessure grave ou à une mort effective doit avoir lieu fréquemment pour pouvoir conclure à la présence d'une maladie professionnelle et bénéficier de la présomption. Or, ce n'était pas le cas pour la travailleuse.
En réponse à l'argument de la travailleuse relatif à ses cauchemars, le Tribunal a précisé que ceux-ci ne constituaient pas en soi une exposition, mais plutôt la conséquence d'une exposition.
L'exposition extrême
Quant à l'exposition extrême à une blessure grave ou à une mort effective, le Tribunal s'est fait peu loquace. Il s'est limité à retenir que la travailleuse était restée profondément marquée par certains détails des scènes d'incidents, tels que la trace de la corde au cou, les champs et les feux, mais qu'elle n'avait pas fait la démonstration prépondérante qu'une telle exposition était excessive pour elle.
Je me questionne sur la nature de la preuve que la travailleuse aurait dû apporter. En quoi consiste cette «exposition excessive pour elle»? Qu'est-ce qu'une exposition excessive? L'ajout du terme «pour elle» me laisse également perplexe. N'est-ce pas là une référence à des facteurs endogènes relevant de la perception subjective d'un travailleur? Ou est-ce qu'il pourrait s'agir de la nécessité d'une preuve de relation causale entre le diagnostic posé et les événements allégués, alors que le but de la présomption de maladie professionnelle est d'éviter au travailleur d'avoir à prouver ce lien de causalité? Aussi, comment concilier le fait que les événements ne sont pas retenus comme étant excessifs pour la travailleuse alors que le Tribunal reconnaît qu'elle a subi accident du travail. Pour conclure ainsi, il a retenu que les 3 événements pris isolément ou le cumul de ceux-ci, en plus des effets néfastes de chacun d'eux qui se sont répercutés à travers les années, constituaient un événement imprévu et soudain. Malheureusement, la décision n'apporte pas de réponses à ces questions.
L'accident du travail
En ce qui concerne la pendaison, le TAT a retenu que le fait pour la travailleuse de décrocher le corps rigide et d'être témoin de l'empreinte de la corde pour ensuite être laissée seule avec le défunt pendant une longue période sortait du cadre normal du travail puisque cette dernière, qui était au début de sa carrière, n'avait pas la formation pour gérer de telles émotions et images. Le continuum des conséquences, alors que la travailleuse revit des bribes de cet événement régulièrement depuis, a été retenu comme une situation singulière et particulière qualifiée d'événement imprévu et soudain.
Relativement à l'accident d'automobile, ce qui le rend particulier est le danger dans lequel s'est retrouvée la travailleuse puisque le véhicule brûlait autour d'elle, lui faisant craindre pour sa vie. C'est ce qui a amené le Tribunal à conclure à un événement imprévu et soudain. Encore là, la travailleuse revit ces événements depuis leur survenance.
En ce qui a trait à l'accident agricole, même si, en raison de son travail, la travailleuse est appelée sur des scènes de crimes ou d'accidents, le Tribunal a retenu que de faire face à un crâne écrasé est objectivement une situation imprévue et soudaine. Il a également retenu que la gravité de la blessure avait été traumatisante pour la travailleuse, qui a souvent vu et revu des images intrusives dans sa vie courante en plus d'en ressentir les effets physiques et psychiques.
C’est toujours avec intérêt que je lis vos articles, depuis la France. C’est instructif de voir le raisonnement des juges et l’évolution législative dans nos deux pays francophones.