La notion d'accident «à l'occasion du travail» n'est pas définie dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. La jurisprudence a toutefois élaboré certains critères afin de déterminer si l'activité exercée par le travailleur au moment de l'accident ayant entraîné la lésion a une connexité avec le travail. Le Tribunal accorde généralement un poids particulier aux critères du lien de subordination, de la finalité de l'activité exercée et de la connexité-utilité de celle-ci en lien avec l'accomplissement du travail. Aucun de ces critères n'est en soi décisif, chaque cas devant être analysé dans sa globalité.
Depuis janvier 2025, plusieurs décisions en cette matière ont été rendues par le Tribunal administratif du travail. Certaines d'entre elles comportent des faits particuliers et feront l'objet du présent billet.
Pendant la pause
Le travailleur, un cuisinier, prenait sa pause sur la terrasse située dans le stationnement de l'employeur. Après avoir fumé sa cigarette, ses clés et son briquet sont tombés dans un drain situé sous la caisse de lait sur laquelle il était assis. Alors que le travailleur tentait de les récupérer, son collègue a laissé échapper le couvercle du drain sur son pied.
Le Tribunal a conclu que le travailleur n'avait pas subi d'accident «à l'occasion du travail». Bien que la pause santé, qui permet à un travailleur de se reposer ou de se nourrir, puisse être considérée comme comportant un degré de connexité ou d'utilité avec le travail, celle-ci a été interrompue en l'espèce lorsque le travailleur a pris la décision personnelle de récupérer ses clés et son briquet dans le drain où ils étaient tombés.
Le chien
À la fin de son quart de travail, une secrétaire s'apprêtait à armer le système d'alarme lorsqu'elle a perdu l'équilibre en se penchant pour prendre son chien, un chihuahua.
Le Tribunal a conclu que la travailleuse avait subi un accident «à l'occasion du travail». Il a retenu que l'activité avait une finalité accessoire à son travail, soit rassembler ses effets personnels afin de quitter le travail.
Le Tribunal souligne au paragraphe 38 de sa décision que «[l]e fait que la travailleuse se soit penchée pour prendre son chien ne rompt pas le lien avec le travail. Il aurait pu s’agir d’une boîte à lunch, d’un livre, d’un sac de sport, d’une paire de chaussures ou de tout autre objet devant être rapporté par la travailleuse à la fin de sa journée, la conclusion demeure la même. Dans le présent cas, il s’agit d’un chien. Un chien qu’elle est en outre autorisée à amener sur les lieux du travail. Ajoutons ici que ledit chien n’a joué aucun rôle dans la perte d’équilibre de la travailleuse et n’est donc pas à l’origine du fait accidentel».
Arrivée prématurée au travail
Le travailleur, un préposé à l'entretien ménager, a fait une chute à proximité de son lieu de travail 2 heures avant le début de son quart de travail.
Le Tribunal a conclu que le travailleur avait subi un accident «à l'occasion du travail». Même si l'employeur détenait une politique mentionnant que les travailleurs ne pouvaient arriver sur les lieux du travail plus de 30 minutes avant de début du quart de travail, il tolérait que le travailleur arrive plus tôt. De plus, le Tribunal a retenu que les contraintes liées à l'horaire allégé du transport en commun le dimanche ainsi que le fait que le travailleur présentait un handicap intellectuel lui causant de l'anxiété expliquait la présence de ce dernier sur les lieux de travail 2 heures avant le début de son quart.
Le téléphone cellulaire
La travailleuse, une réceptionniste, s'est cogné la tête sur un bureau alors qu'elle branchait son téléphone cellulaire personnel sur la tour reliée à l'ordinateur de l'employeur.
Le Tribunal a conclu que la travailleuse n'avait pas subi d'accident «à l'occasion du travail». Il a notamment retenu que l'activité exercée pendant les heures de travail n'était d'aucune utilité pour l'employeur. Aussi, elle contrevenait à la politique interne interdisant de brancher son téléphone cellulaire sur la «tour» connectée à l'ordinateur du bureau.
Le congédiement
Le travailleur, un agent de prévention en santé et sécurité au travail, a fait une chute dans le stationnement de l'employeur plusieurs heures après avoir été congédié.
Le Tribunal a conclu que le travailleur avait subi un accident «à l'occasion du travail». Il a retenu que les activités exercées par le travailleur avant de quitter le bureau avaient bénéficié à l'employeur et n'avaient pas fait en sorte de briser le lien de connexité avec le travail. Le travailleur avait notamment répondu à des questions de collègues relatives au travail et fait le ménage de son ordinateur.
L'activité sociale
La travailleuse, une opératrice, s'est blessée en dansant lors d'une activité organisée par le comité social.
Le Tribunal a conclu que la travailleuse avait subi un accident «à l'occasion du travail». Il a retenu que le fait pour l'employeur d'allouer un budget pour la tenue de l'activité et d'accorder un temps libre afin de favoriser la participation des travailleurs contribuait à établir un caractère d'utilité et de connexité avec le travail.
L'altercation
Le travailleur se cherchait une place de stationnement sur l'une des voies d'accès de son lieu de travail. Son véhicule a été heurté à l'arrière par un autre véhicule Au terme d'une altercation avec l'autre conductrice, celle-ci l'a poussé et il s'est blessé en tombant au sol.
Le Tribunal a conclu que le travailleur n'avait pas subi d'accident «à l'occasion du travail». Il a retenu:
[44] En toute honnêteté, le Tribunal ne parvient pas à trouver le lien de connexité qui lui permettrait de conclure que tous ces gestes soient en lien, de près ou de loin, avec son travail. Ce lien de connexité, qui était déjà passablement, sinon complètement, effrité dès que le travailleur a commencé à se bousculer avec son opposante, a été définitivement rompu à compter du moment où il s’est imposé par la force afin de la contraindre à demeurer sur place, malgré ses protestations. Au moment précis où il s’est emparé de ses clés pour l’empêcher de s’éloigner.
[45] En effet, le Tribunal ne parvient pas à s’expliquer en quoi ce geste, par ailleurs fort malavisé, peut-il bien être d’une quelconque utilité pour l’employeur. Peu importe l’angle sous lequel on aborde la question, le travailleur défendait des intérêts purement personnels, reliés aux dommages causés à sa voiture, au moyen de gestes inacceptables et intimidants.
En télétravail
La travailleuse, une superviseure de jour, exerçait ses tâches principalement en télétravail depuis son domicile et sur la route. Elle s'est blessée alors qu'elle se trouvait chez ses parents, en soirée, et qu'elle avait imprimé des documents pour le travail.
Le Tribunal a conclu que la travailleuse n'avait pas subi d'accident «à l'occasion du travail». Il a principalement retenu que les circonstances de l'accident découlaient de la décision personnelle de cette dernière de profiter de sa visite chez ses parents pour imprimer des documents qu'elle n'était pas tenue d'imprimer.
La pause-repas
La travailleuse, une réceptionniste, s'est blessée durant la pause-repas alors qu'elle revenait à son poste de travail avec son repas qu'elle avait réchauffé dans la cuisine que l'employeur met à la disposition de ses travailleurs.
Le Tribunal a conclu que la travailleuse n'avait pas subi d'accident «à l'occasion du travail». Il a retenu que, en se déplaçant vers son bureau afin de manger seule et effectuer des appels téléphoniques personnels, la travailleuse exerçait une activité personnelle.
Les altercations multiples
Après la fin de son quart de travail, le travailleur, un charpentier-menuisier, a eu une altercation avec un automobiliste dans le stationnement souterrain du chantier où il était affecté. Ce stationnement n'appartenait pas à l'employeur, mais les coûts d'utilisation étaient remboursés par ce dernier. Par la suite, alors que le véhicule du travailleur était à l'arrêt sur la route, soit à plus de 200 mètres du chantier, il a été agressé physiquement par l'automobiliste avec lequel il venait d'avoir une altercation.
Le Tribunal a conclu que le travailleur n'avait pas subi d'accident «à l'occasion du travail» ayant entraîné une lésion de nature psychologique. Il a retenu que l'échange d'insultes dans le stationnement était survenu dans une situation n'ayant aucune connexité avec le travail. De plus, les notes cliniques de la consultation médicale concomitante de l'événement mentionnaient que la raison du conflit verbal était anodine au départ.
Le Tribunal a donc décidé que c'était l’agression physique survenue sur la route qui avait été anxiogène. Or, celle-ci a eu lieu hors du stationnement, à un endroit non contigu ou adjacent au chantier de l'employeur. Le travailleur était à ce moment dans sa sphère personnelle.