L’installation de caméras de surveillance est devenue monnaie courante, que ce soit dans des établissements publics, dans les coins sombres d’une ruelle et même à l’extérieur de notre domicile. La présence de ces caméras s’appuie notamment sur des préoccupations de sécurité. Mais qu’en est-il de ces mêmes caméras sur les lieux de travail? Leur utilisation soulève plusieurs interrogations sur la vie privée et les droits des salariés.
La vidéosurveillance en milieu de travail
Le pouvoir de direction permet à l’employeur d’utiliser des caméras de surveillance. Cette utilisation doit toutefois être raisonnable et justifiée, notamment lorsque l’employeur démontre l’existence d’un problème sérieux de sécurité, tels le vol et des comportements inappropriés ou la persistance d’un problème actuel et continu, par exemple des manquements à des politiques internes.
La jurisprudence reconnaît toutefois qu’une vidéosurveillance constante et assidue du salarié dans l’exécution de son travail peut constituer une condition de travail déraisonnable portant atteinte à ses droits et libertés, contrevenant ainsi à l’article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne. Le droit au respect de sa vie privée, garanti notamment par l’article 5 de la charte, peut aussi entrer en jeu, malgré une expectative moindre à l’égard de ce droit à l’occasion d’une relation employeur-salarié.
Lazzer c. Magasin Baseball Town inc.
En 2022, le Tribunal administratif du travail a rendu une décision intéressante en accueillant une plainte pour harcèlement psychologique dans un contexte de vidéosurveillance. L’employeur, un magasin de sport, utilisait des caméras de surveillance. Bien que son objectif initial était alors justifié, soit la prévention du vol à l’étalage, il a cédé le pas à une utilisation régulière et systématique des caméras en tant qu’outil de gestion et de contrôle du travail. En effet, le propriétaire téléphonait constamment au magasin afin d’adresser des reproches aux employés ou pour savoir où se trouvait un employé qui n’apparaissait pas à la caméra.
De plus, bien que l’employeur ait démontré que le non-respect de sa politique d’interdiction du téléphone cellulaire au travail était un véritable problème, le moyen qu’il a utilisé pour y remédier était disproportionné, alors que la surveillance conduisait souvent à des discussions et à des interventions allant au-delà de la seule question des téléphones cellulaires.
Dans un tel contexte, le TAT a conclu que la vidéosurveillance exercée par l’employeur avait porté atteinte à la dignité et à l’intégrité des employés, qui se sentaient constamment épiés et sur le qui-vive.
13859380 Canada inc. (Crane Supply)
Plus récemment, la Commission d’accès à l’information s’est aussi positionnée sur l’utilisation de la vidéosurveillance et sur la collecte des renseignements personnels qui en découle.
Dans ce dossier, l’employeur avait notamment installé des caméras à l’intérieur des cabines des camions de livraison de ses chauffeurs. Le système installé enregistrait alors des images (sans son) des chauffeurs à partir du moment où le moteur démarrait et continuait à le faire jusqu’à 20 minutes après l’arrêt du véhicule. Ces enregistrements ne faisaient toutefois pas l’objet d’un contrôle actif en temps réel, mais uniquement lorsque des incidents étaient détectés.
Suivant son analyse, la Commission a considéré que les objectifs de l’entreprise, notamment protéger les personnes et les biens de la société ainsi que détecter et prévenir les infractions aux règlements de la route, étaient légitimes, réels et importants et que l’effet utile de cette collecte surpassait les préjudices qu’elle entraînait. Elle a toutefois conclu que l’entreprise n’avait pas démontré avoir suffisamment réduit l’atteinte à la vie privée de ses chauffeurs.
Par conséquent, la Commission a notamment ordonné à l’employeur de limiter la collecte des images de l’intérieur des cabines de ses véhicules à un nombre précis de secondes avant et après un incident et de cesser de collecter les images de l’intérieur des véhicules suivant l’arrêt du moteur.
Il s’agit d’une décision intéressante puisqu’elle soulève des principes essentiels pour les employeurs qui envisagent d’utiliser la vidéosurveillance dans leur milieu de travail. Ainsi, les mesures de surveillance des employés doivent être justifiées par des risques réels et documentés, et non par des préoccupations hypothétiques. Les employeurs sont également tenus d’envisager des solutions moins intrusives pour atteindre leurs objectifs, ce qui nécessite non seulement d’évaluer différents systèmes de contrôle, mais aussi d’analyser les paramètres de tout système choisi et de justifier chaque aspect de son utilisation, y compris le volume de renseignements recueillis.
Cela étant, l’utilisation de caméra de surveillance sur les lieux du travail est permise, mais cette vidéosurveillance doit respecter des conditions strictes afin de préserver l’équilibre entre les droits des travailleurs et les besoins légitimes des employeurs en matière de gestion et de sécurité.