De nombreuses manifestations sont organisées chaque année pour permettre aux gens de se réunir et de faire entendre leurs revendications. Bien que ces rassemblements se déroulent habituellement de façon pacifique, il arrive parfois que les esprits s’échauffent et que les policiers doivent intervenir. Dans le présent billet, il sera question de la responsabilité civile de ces derniers.
Principes généraux
Comme les policiers ne bénéficient d’aucune immunité particulière dans l’exercice de leurs fonctions, il appartient à celui qui soutient avoir subi des dommages en raison de la faute du policier de prouver, par prépondérance des probabilités, les 3 éléments générateurs de responsabilité civile : la faute du policier, les dommages subis et le lien de causalité entre les 2 (art. 1457 du Code civil du Québec).
Tel qu’il est énoncé dans Singh c. Montréal (Ville de), c’est en comparant la conduite du policier au modèle du policier normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances, que l’on doit rechercher si, oui ou non, il a commis une faute. Dans le cas d’une arrestation, les policiers doivent avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise. Toutefois, il faudra porter attention à cette affaire puisqu’elle fait actuellement l’objet d’un appel (2015-09-23 (C.A.), 500-09-025602-1520).
Droits fondamentaux
La Charte des droits et libertés de la personne ainsi que la Charte canadienne des droits et libertés garantissent toutes 2 le droit à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. Or, ces libertés fondamentales permettent à des citoyens de «s’associer» et de se réunir pacifiquement pour manifester, c’est-à-dire exprimer «ses pensées, ses opinions, ses croyances, en fait, toutes les expressions du cœur ou de l'esprit, aussi impopulaires, déplaisantes ou contestataires soient elles» (Bérubé c. Ville de Québec, paragr. 32). Par contre, ces droits garantis par les chartes ne protègent pas les activités expressives et associatives violentes. (Bérubé, paragr. 31, 32 et 39).
Actes commis par les policiers
Lors d'une manifestation survenue le 7 mars 2012, les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont utilisé des grenades de type Rubber Ball Blast Grenade (RBBG). L'objectif de lancer celles-ci était de déstabiliser les manifestants pendant quelques instants.
Comme le fabricant ne prévoit aucune directive ou recommandation quant à la hauteur des lancers, il appartient au corps de police de prévoir de telles directives. Or, il n'en existait aucune au SPVM au moment des événements. L'utilisation des RBBG dans un tel contexte d'imprécision constituait alors une faute.
De plus, le seul avis de dispersion n'avisait pas les manifestants de ce qui se préparait, soit l'intention des forces de l'ordre d'utiliser des grenades contenant des irritants chimiques et une charge explosive. Le risque d'être blessé par l'utilisation d'une grenade de type RBBG n'était pas connu des manifestants présents. Si cela avait été le cas, le SPVM aurait pu soutenir que ceux qui étaient demeurés sur place avaient accepté les risques énoncés et faisaient ce choix en connaissance de cause.
Dans une situation conflictuelle comme une manifestation, il est essentiel que les forces de l'ordre puissent s'adresser à la foule pour faire part du caractère illégal de la manifestation et pour aviser des moyens qu'elles entendent utiliser si ceux-ci représentent un danger pour les manifestants. Ici, l'omission d'aviser les manifestants des risques liés à l'utilisation des RBBG constituait une faute.
Dans ces circonstances, la Ville de Montréal a été condamnée à verser la somme de 175 000 $ au demandeur, lequel a perdu l’usage de l'oeil droit à la suite de l'utilisation d'une telle grenade.
Dans Deraspe c. Ville de Québec, la demanderesse, qui participait à une manifestation, a été frappée violemment par-derrière par un policier alors qu’elle se déplaçait dans la rue. Son visage a lourdement heurté la chaussée et elle a subi une coupure au front. À ce moment, cette dernière ne constituait pas une menace à l'ordre public justifiant qu'elle soit frappée dans le dos, alors qu’elle était prise de court et vulnérable.
Bien qu'elle se soit trouvée en situation d'illégalité à ce moment, cette situation n'autorisait pas le policier à user contre elle d’une force disproportionnée afin de l'amener à respecter un ordre de dispersion. En outre, le policier raisonnable, qui a notamment pour mission d'assurer la sécurité des personnes et la sauvegarde de leurs droits et libertés, se garde de porter indûment atteinte à leur intégrité physique, à moins de nécessité, ce qui n’était pas le cas en l'espèce. La responsabilité de la Ville de Québec a donc été engagée pour le geste illicite commis par l'un de ses policiers à l'endroit de la manifestante.
Par contre, dans Bérubé, le juge Brunelle a conclu que, dans le contexte d'une manifestation déclarée illégale, les nombreux avertissements préalables servis par le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) permettaient difficilement de soutenir que l'intervention de son unité de contrôle de foule était totalement imprévisible et constituait un piège pour les manifestants. Certes, la technique d'encerclement qui a été employée n'est pas exempte de critique, mais le demandeur n'en a pas ici subi de préjudice personnel puisqu'il a réussi à s'échapper avant que le cercle formé par les cordons de policiers ne se referme sur les autres manifestants. Dans ces circonstances, l'intervention du SPVQ à son endroit n'était pas disproportionnée à un point tel qu’elle compromettait, de façon déraisonnable, l'exercice légitime de ses libertés fondamentales.
Tout récemment, la juge Bergeron, de la Cour supérieure, a estimé que les policiers de la Sûreté du Québec n’avait pas commis de faute en utilisant des gaz irritants à la suite d’une montée d’agitation et d’agressivité de la foule de manifestants devant l’Assemblée nationale dans le contexte des revendications étudiantes contre la hausse des frais de scolarité universitaires.
Arrestation injustifiée
En 2014, la Ville de Québec a été condamnée à verser 4 000 $ en dommages moraux à un manifestant à la suite de son arrestation lors d'une marche étudiante à l’occasion du «Printemps érable».
Dans cette affaire, le juge Lavoie a conclu que la liberté d'expression du demandeur ainsi que son droit de ne pas être détenu arbitrairement avaient été enfreints par la Ville et son service de police. Selon le juge, le menottage du manifestant, la séance d'identification filmée à laquelle il a été assujetti, sa détention prolongée aux fins du contrôle de son identité et son déplacement dans un endroit éloigné du lieu de l'infraction présumée constituaient autant de moyens injustifiés dans les circonstances et indûment attentatoires à la liberté de mouvement d'un citoyen ayant choisi de manifester, à supposer même illégalement, sur la voie publique.
Enfin, dans le contexte d’un recours collectif autorisé le 6 novembre 2002, la Ville de Montréal a été condamnée par le juge Prévost, de la Cour supérieure, à payer 1 500 $ en dommages moraux et 1 000 $ en dommages punitifs à chacune des 78 personnes qui ont été injustement détenues à la suite d’une manifestation à la place Émilie-Gamelin en juillet 1996. Le juge a considéré que l'application des menottes, le transport de ces personnes au poste de police dans un fourgon cellulaire, la procédure d'écrou et leur captivité pendant quelques heures constituaient une détention et que celle-ci était inutile et injustifiée dans les circonstances. Il a toutefois tenu compte de la conduite de ces 78 personnes, qui, après avoir été chassées d'un parc public par les policiers, ont décidé d'y revenir alors qu'elles savaient qu'elles ne respectaient pas les heures de fermeture de nuit.
Cette décision a toutefois été infirmée en partie par la Cour d’appel, qui a statué que la Ville de Montréal n'était pas tenue de payer des dommages punitifs à ces manifestants puisqu’il n’avait pas été démontré que la volonté de causer les conséquences de l'atteinte illicite était la sienne ou lui était imputable.
On conviendra que, s’il peut devenir nécessaire que les forces de l’ordre interviennent dans le cadre d’une manifestation, l’usage de la force ne doit pas être disproportionné ni imprévisible.
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