La légalisation du cannabis à usage récréatif occupe une grande place dans l’espace médiatique. La consommation, la commercialisation et tout ce qui concerne le pot « jouissif » nous interpellent. On discute des multiples conséquences de la légalisation, mais on s’interroge peut-être moins souvent au sujet de l’incidence qu’elle peut avoir sur l’accès au cannabis à des fins médicales et sur les comportements d’automédication.

Des conséquences imprévues

Le bulletin de veille de l’Institut national de santé publique du Québec consacré au thème « Cannabis et santé » affiche un lien vers la manchette suivante : « Un consommateur de cannabis thérapeutique sur quatre déclare qu’il est maintenant plus difficile d’obtenir du cannabis depuis la légalisation du cannabis récréatif ».

Cette nouvelle  rapporte les résultats d’un récent sondage commandité conjointement par l’organisme Canadiens pour l’accès équitable à la marijuana médicale (CAEMM), la Société de l’arthrite et l’Association des pharmaciens du Canada (APhC). Ce sondage avait pour but de « parvenir à une meilleure compréhension de l’expérience vécue par les consommateurs de cannabis thérapeutique depuis la légalisation du cannabis récréatif ».

Le texte de la nouvelle met en lumière certaines « conséquences imprévues » en matière d’accès au cannabis à des fins thérapeutiques :

« L’approvisionnement réduit, le coût du cannabis ou une combinaison des deux a […] mené 64 % des consommateurs de cannabis thérapeutique à réduire leur dose ou à étirer leur cannabis

[…] depuis la légalisation, les consommateurs de cannabis récréatif ont maintenant moins de difficulté à acheter du cannabis que les patients qui ont recours à la filière cannabis à des fins médicales établie depuis longtemps. […] de nombreux patients se tournent maintenant vers les magasins de cannabis récréatif ou le marché illégal pour se procurer leur cannabis, et obtiennent des conseils en matière de santé de sources informelles. » (Caractères gras ajoutés.)

On peut également y lire ceci en ce qui a trait aux faits saillants du sondage :

« Un noyau de consommateurs (38 %) dépend fortement du cannabis, l’utilisant pour traiter principalement, comme maladie ou symptôme, la douleur physique, l’insomnie, l’anxiété, le stress et l’arthrite. »

« La majorité des consommateurs de cannabis thérapeutique sondés (61 %) consomment du cannabis sans document médical, ce qui peut avoir des effets néfastes. »

« Bien que 60 % des consommateurs de cannabis thérapeutique déclarent consommer du cannabis en combinaison avec d’autres médicaments, une vaste majorité de patients (76 %) ne s’attend pas à ce que cela entraîne des effets secondaires. »

« 15 % des consommateurs de cannabis thérapeutique ont déjà subi des effets secondaires par suite de la consommation de cannabis avec d’autres médicaments ou connaissent quelqu’un qui en a subi. » (Caractères gras ajoutés.)

L’automédication dans un contexte de lésion professionnelle

Une personne qui conserve des douleurs chroniques à la suite d’un accident du travail qui a été reconnu par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail pourrait être tentée de s’approvisionner auprès de la Société québécoise du cannabis afin de se soulager plutôt que de se tourner vers le régime canadien d’accès au cannabis à des fins médicales. Si elle devient malade ou subit des effets secondaires néfastes en raison de cette consommation, pourrait-elle être indemnisée en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ?

Selon l’article 31 de cette loi, si les soins qu’un travailleur reçoit pour sa lésion professionnelle entraînent une maladie, celle-ci pourrait elle-même faire l’objet d’une indemnisation en vertu de la loi :

« 31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion :

1° des soins qu’un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l’omission de tels soins […] »

Dans Cormier, le Tribunal administratif du travail (TAT) a décidé d’un élément important : afin que cet article s’applique, les soins doivent avoir été prescrits par un médecin.

Dans cette affaire, le travailleur avait pris l’initiative de consommer du fentanyl – que son père lui avait procuré — pour soigner une entorse lombaire qui résultait d’un accident du travail. Il est décédé en raison de la prise de ce médicament, qui s’est retrouvé dans son sang dans une concentration 3 fois supérieure à la dose thérapeutique.

L’avocat de la succession prétendait que les « soins » mentionnés à l’article 31 ne devaient pas nécessairement être « prescrits ». Le TAT a retenu que, même si la loi doit être interprétée de façon large et libérale, « cela ne va pas jusqu’à indemniser des travailleurs qui décident de leurs propres soins et médicaments, sans autorisation et sans prescription médicale » (paragr. 40).

Dans le contexte d’une requête en révision de cette décision, le TAT a considéré que l’interprétation retenue par le premier juge administratif n’avait pas pour effet d’ajouter une exigence au texte de l’article 31. L’affaire est allée en contrôle judiciaire relativement à une autre question.

Conclusion

Le fait que des personnes souffrant de certaines maladies ou présentant divers symptômes se tournent vers le cannabis en vente libre afin de se traiter ou d’obtenir un soulagement est préoccupant. La facilité d’accès à cette substance, combinée à la difficulté d’obtenir rapidement les services d’un médecin traitant, risque-t-elle d’encourager l’automédication ?

Sur le site Internet de la Société d’arthrite se trouve la mise en garde suivante relativement à l’automédication :

« S’automédicamenter avec du cannabis récréatif n’est PAS un substitut sécuritaire du cannabis médicinal obtenu d’un vendeur autorisé et sous la supervision de votre fournisseur de soins de santé. »

Non, la Société québécoise du cannabis n’est pas une extension du système de santé.

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