[1] L’article 32 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles1 prévoit que :

32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.

Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.

Quelles sont les mesures visées par cet article ?

[2] Le travailleur peut-il utiliser ce recours pour se plaindre des situations suivantes ?

  • Refus de l’employeur de le rémunérer pour les 14 premiers jours de la lésion professionnelle parce qu’il n’y a pas eu de travail en raison d’une grève, d’une fermeture d’usine ou d’une autre situation similaire (art. 60) ;
  • Refus de payer les heures supplémentaires à un travailleur en assignation temporaire (art. 180 ) ;
  • Refus d’accumuler les heures d’absence aux fins des banques de maladie et de congé ou de verser une somme forfaitaire pour les périodes d’absence à la suite de l’adoption d’une nouvelle échelle salariale (art. 242) ;
  • Refus de payer les journées de vacances lors du retour au travail (art. 235).

[3] L’employeur soulève souvent un moyen préliminaire relatif à la compétence de la CLP dans de tels cas -- en invoquant les jugements de la Cour d’appel dans Marin c. Société canadienne de métaux Reynolds ltée2 et Purolator Courrier ltée c. Hamelin3 au soutien de ses prétentions --, soit le fait que l'article 32 n'est pas un recours ouvert au travailleur pour obtenir ce qu'il réclame.

[4] Dans la décision Crown Cork & Seal Canada Inc. et Deschamps4 , la CLP se prononce ainsi à propos de ces jugements :

[...] la Cour d'appel n'a pas clairement tranché la question de savoir si l'article 32 constitue un recours pour le travailleur qui réclame un droit en vertu de l'article 180 LATMP puisque, dans aucun [des ] trois jugements [NDLR : la CLP a aussi fait référence à l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique5 , dans laquelle la Cour d'appel a mentionné que l'article 32 ne confère pas le pouvoir de décider si un travailleur a droit à une prestation en application de la loi ni de déterminer l'étendue de cette prestation], il ne s'agissait de la question en litige. La Cour a cependant opiné, dans un obiter, que l'article 32 ne paraissait pas conçu pour couvrir une divergence d'interprétation de la loi et elle semble restreindre l'application de cet article aux mesures disciplinaires au sens des relations de travail. Or, la jurisprudence unanime de la CALP et de la CLP, même après les jugements de la Cour d'appel, considère qu'une transgression à une disposition de la loi, notamment à l'article 180, peut être considérée comme une mesure prohibée par l'article 32. [L]orsque la CSST est saisie d'une plainte en vertu de l'article 32, l'article 257 LATMP lui donne spécifiquement un pouvoir d'ordonnance visant l'employeur. Or, ce pouvoir d'ordonnance est essentiel à la mise en oeuvre d'une disposition comme l'article 180.

[...] Finalement, même si on concluait que l'article 32 n'est pas le recours approprié et que la disposition générale de l'article 349 est suffisante pour permettre à un travailleur d'invoquer l'application de l'article 180, la CLP, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés à l'article 377 LATMP, est compétente pour se saisir du litige. Il s'agit d'une question de forme qui ne doit pas l'emporter sur le fond. L'autre solution serait de retourner le dossier à la CSST pour qu'elle se prononce en vertu de l'article 349 ou d'une autre disposition. Or, la CLP ne croit pas que cela serve l'intérêt ni de la justice ni des parties.

[5] Par la suite, la CLP a eu l’occasion de rendre plusieurs décisions en ce sens6 , notamment dans Giroux et Aliments Lester ltée7 , où la commissaire conclut aussi que, lorsque l'employeur choisit de recourir à l'assignation temporaire, ce n'est plus la convention collective qui s'applique et que la fiction créée par le législateur permet de considérer la rémunération qui a été versée à un collègue pour établir le salaire et les avantages auxquels le travailleur a droit en vertu de l'article 180.

Choix du travailleur

[6] Comme l’indique l’article 32 LATMP, pour saisir valablement la CLP, le travailleur doit avoir fait, préalablement, « son choix » : procédure de griefs ou plainte à la CSST.

[7] De plus, il est important de noter que, même si le travailleur s’est désisté de son grief, le fait que le syndicat -- qui a aussi déposé un grief -- ne se soit pas désisté constitue une fin de non-recevoir, comme il a été décidé dans Beaudry et Brasserie Molson (Québec)8 .

[8] Dans cette affaire, le travailleur avait fait une plainte concernant le calcul du boni de performance durant la période d’absence du travail. Le syndicat a aussi déposé un grief au service des relations industrielles de l'employeur pour tous les travailleurs qui pourraient être visés par cette question. Devant la CLP, les parties ont indiqué que ce grief ne sera pas plaidé devant l'arbitre et qu'une entente prévoit qu'elles seront liées par la décision que rendra la CLP. Selon elles, cette entente étant un peu comme un retrait ou un désistement du grief, il n'y a pas cumul des recours. Le représentant du travailleur a invoqué la recherche d’une paix industrielle ainsi que d’une économie de temps, d’énergie et d’argent pour justifier l’entente de ne procéder que devant la CLP et de considérer qu’il y a comme un désistement du grief syndical.

[9] Or, la CLP s’est déclarée sans compétence9 :

Le syndicat n'ayant pas produit de désistement de son grief, la personne ou l'organisme chargé de disposer du grief n'en a jamais été dessaisi. Qui plus est, il n'appartient pas à la CLP de disposer des griefs, et ce, même si les parties signent une entente à cet effet. L'alinéa 1 de l'article 100 C.tr. ne permet pas aux parties de choisir le forum devant lequel elles se présenteront pour trancher du grief. Le terme utilisé est «doit», ce terme est impératif et l'arbitrage est retenu comme étant l'unique recours pour régler les griefs d'une façon finale. De plus, la doctrine enseigne que l'arbitre a compétence en cette matière d'une façon principale et pour ainsi dire exclusive et que tout autre tribunal n'a pas compétence sur le fond même d'un grief. En conclusion, au moment où la CLP entend la cause, le grief syndical existe bel et bien et il a le même objet que la plainte soumise par le travailleur à la CSST. La loi étant d'ordre public, les parties doivent s'y conformer et ne peuvent d'aucune façon s'y soustraire, même par le biais d'une entente. Comme il est spécifiquement prévu à l'alinéa 2 de l'article 32 qu'un choix doit être fait entre recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective ou soumettre une plainte à la CSST et que les deux recours coexistent en l'espèce, la plainte du travailleur est irrecevable.

Obligation d’accommodement

[10] Dans Mueller Canada inc. c. Ouellette10 , la CLP avait été saisie d’une plainte où le travailleur contestait le congédiement qui lui avait été imposé en raison de son incapacité à exercer son emploi. Selon ce dernier, l’employeur a ainsi contrevenu à la Charte des droits et libertés de la personne11 (handicap) et devait remplir son obligation d’accommodement à son égard.

[11] La Cour d’appel a toutefois conclu que la CSST et la CLP n’avaient pas compétence pour se prononcer sur l’obligation d’accommodement12 :

« En vertu de l'article 32 LATMP, comme c'est le cas pour l'article 122 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) et l'article 15 du Code du travail (C.tr.), la compétence est limitée à la constatation de l'existence de l'un des motifs énumérés dans cette disposition attributive de compétence et à confirmer ou à annuler, par voie de conséquence, la mesure de congédiement: le congédiement est légal ou il ne l'est pas. Ainsi, dans le présent dossier, puisqu'il est admis que la présomption s'applique, la CLP devait examiner, dans les limites de sa compétence stricto sensu, en appliquant le fardeau de la preuve à l'employeur, si la cause invoquée constituait une «autre cause juste et suffisante» au sens de l'article 255 LATMP, c'est-à-dire une cause réelle autre que le fait que le travailleur a été victime d'une lésion professionnelle ou qu'il a exercé un droit que lui confère la loi. Il s'agit de la limite de la compétence conférée par ces dispositions, ainsi que l'a mentionné la Cour suprême dans Lafrance c. Commercial Photo Service Inc., [1980] 1 R.C.S. 536 (J.E. 80-214), où l'article 15 C.tr. était en cause, puisque les tribunaux ont retenu par analogie que la cause juste et suffisante mentionnée à l'article 255 LATMP est de même nature, soit la cause véritable du congédiement et non un prétexte. Même si la CSST et la CLP avaient qualifié d'illégale, et donc d'insuffisante, la cause invoquée, elles n'auraient pu, en vertu de l'article 257 LATMP, décréter autre chose que l'annulation du congédiement et la réintégration du travailleur. Elles n'auraient pas eu la compétence pour imposer, recommander ou suggérer quelque forme d'accommodement que ce soit. La situation est différente dans le contexte du recours prévu à l'article 124 L.N.T., où il relève de la compétence du commissaire, agissant comme un arbitre, de déterminer si la sanction imposée par l'employeur est justifiée ou excessive et, dans ce cas, d'y substituer celle qui lui paraît appropriée. Tel n'est pas le rôle de la CSST et de la CLP. »

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