En plus de l’avoir elle-même harcelée, l’Université du Québec à Montréal a abandonné à son sort une correctrice aux prises avec un groupe d’étudiants insatisfaits des notes qu’elle leur avait attribuées.

Voilà ce que conclut en substance un arbitre de griefs dans une décision récente, qui s’est soldée par une condamnation de l’Université à payer 4 000 $ à titre de dommages moraux pour harcèlement psychologique.

L’intérêt présenté par cette décision n’est pas tant l’analyse que fait l’arbitre de la conduite de l’employeur, mais bien son appréciation du caractère vexatoire des multiples éléments invoqués par le syndicat.

Dérapage annoncé

En effet, la correctrice reprochait à certains étudiants des propos sexistes, racistes, discriminatoires ou harcelants formulés en personne ainsi que dans des courriels ou des réponses données lors de travaux et d’examens.

Or, le cours portait sur le féminisme noir, l’approche était fondée sur l’analyse de stéréotypes racistes, nombre des étudiants étaient néophytes et la correctrice était une femme racisée.

En d’autres termes, les tâches professionnelles de la correctrice impliquaient d’être exposée «à répétition» à des dissertations, plus ou moins habiles, sur un sujet explosif et comportant de nombreux aspects qui la touchaient personnellement.

Le risque d’être blessée par certains propos paraît évident.

Devant un groupe d’étudiants frustrés ou inquiets et sous la gouverne d’un employeur passif, le dérapage était presque annoncé.

Il restait à l’arbitre à faire la part des choses, à cerner ce qui, dans un amalgame d’incidents de toutes sortes, au sens de la Loi sur les normes du travail, constituait une véritable conduite malveillante, destinée à blesser et à humilier.

Réaction naturelle

Selon lui, certains éléments invoqués constituaient l’expression d’une réaction naturelle à la réception de résultats décevants, et non une conduite vexatoire:

[207]  On ne peut mettre en doute le malaise et même la contrariété ressentis par la plaignante devant ce qu’elle perçoit du climat de la salle et en raison du commentaire qui a été fait concernant l’incohérence des résultats du premier examen.

[208]  Cependant, examinées du point de vue de la personne raisonnable, et surtout prises dans le contexte, les réactions négatives des étudiants, voire intempestives pour certains d’eux, constituent un effet prévisible et même compréhensible compte tenu des résultats qui leur sont annoncés ce jour-là. […]

Manque de civilité

Il a également écarté du lot les entorses à la civilité:

[214] En soi, le Tribunal estime que la démarche de l’étudiant ne peut, à elle seule, être assimilée à un comportement harcelant. Le ton employé dans le courriel est certes discutable. Outre le tutoiement et le ton familier utilisé, il n’y a cependant pas de propos humiliants et blessants visant Mme Étémé. […]

Droit de critiquer

Il en a été de même pour l’expression de critiques à l’égard de l’exercice de correction:

[218] […] La critique des outils, des normes et du mode de correction constitue aussi une pratique qui, dans un cadre universitaire, est normale et n’a pas à être qualifiée d’humiliante ou blessante.

Objet du cours, inexpérience et liberté  universitaire

Sans jamais mettre en doute la sincérité de la plaignante, l’arbitre a également rejeté la caractérisation que le syndicat faisait du contenu de certains travaux ou de certaines réponses d’examen, que la plaignante estimait blessantes et truffées de d’affirmations «épousant les stéréotypes coloniaux».

À cet égard, l’arbitre a souligné la nature de l’exercice qui était demandé aux étudiants, leur manque de familiarité avec le sujet et la latitude relative que leur accordait la liberté universitaire dans l’expression de leurs idées:

[241] Il est donc peu étonnant que les étudiants […] fassent des affirmations qui, prises hors contexte, peuvent être perçues comme étant racistes.

[…]

[244] Le Tribunal a remarqué une évidente difficulté de certains étudiants à élaborer sur des concepts somme toute assez savants. Certaines copies révèlent aussi une grande maladresse dans l’expression des réponses et il faut convenir que certaines affirmations, que la plaignante qualifie de «projections personnelles», peuvent être la résultante d’un préjugé de l’étudiante ou de l’étudiant concerné.

[245] Il ne faut cependant pas confondre propos racistes ou misogynes avec maladresse, méconnaissance de la matière, voire paresse intellectuelle. […]

[…]

[248] Il faut par ailleurs reconnaître une certaine latitude aux étudiants dans l’expression de leurs opinions dans le cadre de la liberté académique qui, si elle est d’abord l’apanage de ceux qui enseignent, s’étend aussi à ceux qui s’instruisent.

Xénophobie et intention malveillante

Cela étant dit, l’arbitre a estimé que l’un des élèves avait franchi à 2 reprises la limite permise par la loi dans ses interactions avec la correctrice.

D’abord, en soulignant, lors d’une rencontre individuelle, que celle-ci provenait de l’étranger et en affirmant que le mode de correction n’était pas le même «ici»:

[225] Plus particulièrement, à la lumière des événements qui suivront, le qualificatif d’étrangère qu’emploie l’étudiant est clairement un propos dénigrant, au surplus fondé sur un jugement xénophobe.

Ensuite, en insérant dans ses réponses d’examens des affirmations blessantes et humiliantes, dont certaines étaient directement adressées à la correctrice:

[287] Sous le couvert d’une démonstration qui se voulait savante, l’étudiant a fait une association délibérée des femmes noires avec la race canine qui est une assertion violente à sa face même. Il est raisonnable de comprendre que Mme Étémé ait été vexée par ces propos dont l’hostilité est manifeste.

[288] Au surplus, le comportement est aggravé par la personnalisation qu’il fait de son propos. En effet, sa suggestion voulant que l’implication de Mme  Étémé dans des études universitaires et ses tâches de correctrices soient animées par l’opportunité de pouvoir, si elle devient professeure titulaire, faire profiter les jeunes féministes noires de contrats et de bourses n’est rien de moins qu’odieux.

En somme, cet étudiant avait instrumentalisé le sujet du cours et s’en était servi comme d’une arme pour blesser et humilier.

Conclusion

Saisi d’un sujet hautement sensible et appelé à qualifier des faits en litige (propos racistes ou sexistes) qui se fondaient à certains égards dans le contexte (dissertation sur le racisme), l’arbitre a livré un exercice d’appréciation convaincant et nuancé.