Si tous s’entendent pour dire qu’une partie a l’obligation de répondre à une mise en demeure de se constituer un nouveau procureur aux termes de l’article 192 du Code de procédure civile (C.P.C.), il y a un certain flou jurisprudentiel quant aux conséquences découlant de l’omission d’aviser l’autre partie de ses intentions.
Article 192
Voyons tout d’abord ce que dit cet article :
« 192. Avant le délibéré, si l’avocat d’une partie se retire, meurt ou devient inhabile à exercer sa profession, la partie doit être mise en demeure de désigner un nouvel avocat pour la représenter ou d’indiquer aux autres parties son intention d’agir seule. Elle doit répondre à cette mise en demeure dans les 10 jours de sa notification. Aucun acte de procédure ne peut être fait ni aucun jugement rendu pendant ce temps.
Si la partie ne désigne pas un nouvel avocat, l’instance se poursuit comme si elle n’était pas représentée. Si cette partie ne respecte pas le protocole de l’instance ou les règles de la représentation, toute autre partie peut demander l’inscription pour jugement si elle est demanderesse ou le rejet de la demande si elle est défenderesse.
La partie représentée par avocat est réputée informée de l’inhabilité ou de la mort de l’avocat d’une autre partie ou de sa nomination à une charge ou fonction publique incompatible avec l’exercice de sa profession sans qu’il soit nécessaire de la lui notifier. »
[Soulignement ajouté.]
Commentaires de la ministre
Selon les Commentaires de la ministre de la Justice, « cet article reprend les règles antérieures sur la constitution d’un nouveau procureur » (Québec, Ministère de la Justice, Commentaires de la ministre de la Justice: le Code de procédure civile, chapitre C-25.01, Montréal, SOQUIJ/Wilson & Lafleur, 2015, p. 167). Selon les règles antérieures, codifiées à l’article 251 de l’ancien Code de procédure civile, une partie pouvait inscrire sa cause par défaut lorsqu’une partie ne donnait pas suite à la mise en demeure de se constituer un nouveau procureur. Est-ce encore le cas ?
Conflit jurisprudentiel
Selon le libellé de l’article 192 alinéa 2 C.P.C., l’inscription pour jugement ou le rejet de la demande n’est possible que si la partie en défaut « ne respecte pas le protocole de l’instance ou les règles de la représentation ». Or, une jurisprudence contradictoire existe quant au sens à donner aux « règles de la représentation ».
Premier courant
Dans Zhao, une décision de février 2018, le greffier spécial, constatant un certain flottement jurisprudentiel et se fondant notamment sur les principes directeurs de la procédure, a estimé que l’omission de répondre à la mise en demeure constituait de facto une violation des « règles de la représentation ». Le greffier spécial avait jeté les bases de cette opinion dans Kafka.
Quelques semaines plus tard (avril 2018), cette approche a reçu l’approbation de la Cour supérieure dans Deravedisyan-Adam, où la Cour a estimé que « le Tribunal est d’avis que c’est à la partie qui n’a pas respecté son obligation de répondre à la mise en demeure dans les délais de faire les efforts requis pour être relevée du défaut et que la partie qui, elle, a respecté toutes les procédures, ne doit pas souffrir davantage de délai ni de coût additionnel pour obtenir son jugement » (paragr. 14).
Second courant
Cependant, au mois de novembre 2017, la Cour supérieure, dans Leclerc avait pourtant retenu, dans un obiter, que les « règles de la représentation » renvoyaient aux articles 86 et ss. C.P.C. en matière de représentation devant les tribunaux.
Et, au mois de janvier 2018, la Cour du Québec était également parvenue à cette conclusion dans Philogène :
« [12] Par contre, l’alinéa 2 de 192 C.p.c ne prévoit pas de sanction particulière lorsque la partie qui a reçu la mise en demeure ne se conforme pas à l’obligation qui lui est imposée par l’alinéa 1. Au contraire, elle est alors tout simplement présumée ne pas être représentée par avocat. Les sanctions qui étaient prévues à l’article 251 de l’ancien C.p.c, soit le jugement par défaut ou le rejet de la demande, ne sont désormais possibles que dans deux situations, le défaut de respecter le protocole de l’instance ou les règles de la représentation. L’article 192 C.p.c. est clair. »
Dans cette affaire, puisque le dossier était en état, la juge n’a retenu aucune violation du protocole de l’instance. De plus, comme la partie défaillante n’avait pas à être représentée par avocat (étant une personne physique), les règles de la représentation n’étaient pas violées non plus. Bref, pour paraphraser la juge, les conditions donnant ouverture à la sanction du rejet de la demande n’étaient pas remplies.
Enfin, au mois de mai suivant, la Cour supérieure, dans Rupa, a donné son aval à cette approche quant à la question des « règles de la représentation », désavouant expressément Zhao à cet égard :
« [71] Quant aux règles de représentation auxquelles réfère l’alinéa 2 de l’article 192 C.p.c., le Tribunal estime que ces règles sont celles prévues aux articles 86 à 92 C.p.c. qui se trouvent sous le chapitre III intitulé “La représentation devant les tribunaux et certaines conditions pour agir” au Titre V du Livre 1. Ainsi, en soi, le défaut de la partie demanderesse de répondre à la mise en demeure ne constitue pas un manquement aux règles de représentation prévues au Code de procédure civile qui donnerait ouverture automatique à une demande en rejet en vertu de l’article 192 C.p.c. Sur ce point, le Tribunal s’écarte de l’affaire Zhao c. Exacte. […] »
Bref, selon ces précédents, l’inscription par défaut ou le rejet pourraient être demandés notamment contre la partie qui n’est plus représentée, alors que la loi l’y oblige, telles les personnes énumérées à l’article 87 C.P.C. (personnes morales, liquidateurs, syndics, curateur public, etc.).
Qui a tort, qui a raison ? D’un côté, nous avons les Commentaires de la ministre de la justice, le jugement du greffier spécial dans Zhao et celui de la Cour supérieure dans Deravedisyan-Adam; de l’autre, le jugement de la Cour du Québec dans Philogène et celui de la Cour supérieure dans Rupa (de même que l’obiter dans Kafka).
À l’heure actuelle, le second courant me semble avoir plus de poids, si l’on considère que ni Zhao ni Deravedisyan-Adam n’ont abordé l’argumentaire convaincant présenté dans Philogène (vraisemblablement parce que cette décision n’avait pas été portée à l’attention des décideurs), alors que la Cour supérieure, dans Rupa, a expressément écarté la longue thèse exposée dans Zhao.
De plus, le premier courant est fondé sur les principes directeurs de la procédure et est mû par le souhait d’éviter à la partie dont la mise en demeure est restée sans réponse des inconvénients sur le plan pratique et des coûts additionnels. Or, je ne suis pas sûr que ces motifs puissent justifier de s’écarter du texte d’une disposition claire et de faire fi des différences manifestes existant entre le libellé du Code de procédure civile et celui de l’ancien code.
En fait, on peut même se demander pourquoi le législateur aurait introduit les notions nouvelles du respect des règles de la représentation ou du protocole de l’instance si c’était pour parvenir au même résultat que sous l’ancien Code de procédure civile.
Pourquoi même distinguer entre les règles de la représentation et le protocole de l’instance si toute omission de répondre à la mise en demeure constitue une violation des premières et ouvre la porte à l’inscription par défaut ?
Inconvénients
Il est vrai qu’une partie pourrait être laissée dans l’incertitude quant à la suite du déroulement du dossier si le défaut survient alors que le dossier est en état, comme c’était le cas dans Philogène.
Cependant, si l’omission par une partie de répondre à la mise en demeure cause à l’autre partie un préjudice, celle-ci pourrait notamment demander au tribunal d’adopter une mesure de gestion pour rétablir l’équilibre ou de l’indemniser des frais engagés inutilement aux termes des articles 341 et 342 C.P.C., lesquels sanctionnent notamment les manquements dans le déroulement de l’instance.
Enfin, l’omission de répondre à une mise en demeure de se constituer un procureur pourra équivaloir, selon les circonstances, à un abus de procédure pouvant mener au rejet de l’action, comme ce fut le cas dans Rupa Philogène, où l’action a été rejetée pour ce motif.
Conclusion
Malgré tout, la question ne semble pas définitivement fixée, vu l’existence de jugements contradictoires en Cour supérieure. Il faudra vraisemblablement attendre d’autres précédents, ou peut-être un jugement de la Cour d’appel, pour être véritablement fixé quant à l’issue du débat.
Au dernier paragraphe avant la conclusion, n’est-ce pas dans Rupa que le rejet a été accordé? (Et non Philogène)
Vous avez raison. Le texte est corrigé. Merci!