Quand pouvons-nous publier une photographie prise d’une personne sans son consentement? Voici le sujet du présent billet, à la lumière de l’arrêt Gazette (The) c. Goulet.

 Goulet travaille au poste d'accueil de l'Établissement de détention de Montréal à titre d'agent des services correctionnels. Une photographie prise en 2007 qui permettait de le reconnaître accompagnait un article publié dans l'édition du 25 janvier 2008 du journal The Gazette. Cet article concernait l'opposition des citoyens du voisinage à un projet d'agrandissement du bâtiment abritant la prison. En première instance, Goulet a réclamé 50 000 $ en dommages-intérêts au motif que la photographie avait été prise à son insu et publiée sans son consentement. Le juge a conclu que The Gazette et Publications Canwest inc. avaient porté atteinte au droit à la vie privée de Goulet, dont le droit à l’image est une composante. Elles ont été condamnées à lui verser 5 000 $ à titre de dommages moraux ainsi que 5 000 $ en dommages exemplaires, décision qu'elles ont contestée.

 La Cour d’appel a conclu qu’un gardien des services correctionnels en uniforme, dans l’exercice de ses fonctions, à l’entrée publique d’un établissement de détention, pouvait prétendre à une expectative de droit de vie privée. De plus, la pondération entre le droit au respect de la vie privée et l'intérêt du public à être informé dépend de la nature de l'information véhiculée, mais aussi de la situation des intéressés. Or, la photographie de Goulet n’était aucunement pertinente aux fins du contenu de l’article publié dans le journal. Quant au caractère public du lieu où la photographie a été prise, les juges ont conclu qu’il était sans conséquence lorsqu’il sert simplement à encadrer la personne qui constitue l’objet véritable de la photographie.

 Toutefois, la condamnation au paiement de dommages exemplaires a été infirmée, car The Gazette et Publications Canwest ne voulaient pas les inconvénients subis par Goulet, dont elles ne connaissaient pas la sensibilité à la préservation de son anonymat. Enfin, les juges ont confirmé la condamnation au paiement de dommages-intérêts, mais ils ont conclu que celle-ci était prononcée uniquement contre Publications Canwest étant donné que The Gazette n'avait pas d'existence juridique distincte de cette dernière.

 Cette décision est intéressante, car elle applique les principes énoncés dans l’arrêt Aubry c. Éditions Vice-Versa inc. (C.S. Can., 1998-04-09), SOQUIJ AZ-98111049, J.E. 98-878, [1998] 1 R.C.S. 591, en matière de droit à la vie privée et à l’image. À une époque où il se publie beaucoup de photographies par l'entremise des réseaux sociaux, il est important de connaître l’étendue de ces droits fondamentaux.