L’article 326 alinéa 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) énonce que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail subi par l’un de ses travailleurs. L’alinéa 2 du même article prévoit que la CSST peut également imputer le coût des prestations découlant d’un tel accident aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet, notamment, d’obérer injustement un employeur.
Dans les décisions récentes que j’ai recensées, l’employeur s’est adressé à la Commission des lésions professionnelles en faisant valoir que la lésion professionnelle subie par le travailleur était attribuable à sa propre négligence et qu’il était obéré injustement par l’imputation des coûts à son dossier.
Généralement, le tribunal exige la preuve d’une négligence grossière et volontaire de la part du travailleur pour acquiescer à la demande de l’employeur. À cet égard, dans Jardins du Haut St-Laurent (1990) enr. , le juge administratif Clément résume bien la situation :
«Le compromis historique fait entre le Patronat et les Syndicats permet aux travailleurs d’être indemnisés sans avoir à prouver la faute d’un employeur et sans égard à leur propre faute, en échange de quoi le travailleur renonce à son recours civil. C’est donc par simple application de la loi qu’un travailleur négligent qui subit une lésion professionnelle est quand même indemnisé et que l’employeur est imputé des coûts inhérents.
Faire droit à un transfert d’imputation en présence de la négligence d’un travailleur porterait atteinte à ce compromis social historique. Les employeurs ont accepté que les travailleurs soient indemnisés sans égard à la faute en échange de leur renonciation aux recours offerts devant les tribunaux de droit commun. Si la négligence d’un travailleur fait en sorte qu’il n’y a plus aucune conséquence financière pour l’employeur, cela reviendrait à souvent permettre que ce dernier conserve l’avantage du compromis social sans les inconvénients.»
Voici quelques exemples tirés de la jurisprudence.
Un monteur de ligne
Le travailleur, un monteur de ligne engagé pour l'installation d'un réseau de fibres optiques, a chuté d'un arbre auquel il tentait de grimper pour déprendre un câble et le faire retomber à l'endroit désiré.
L'employeur a allégué que le travailleur avait été négligent et qu'il avait contrevenu aux règles de sécurité qui lui avaient été enseignées lors de sa formation.
La juge administrative Lessard a rejeté la demande de l’employeur. Elle a considéré que le travailleur avait agi comme plusieurs autres travailleurs l'auraient fait en pareilles circonstances, les témoins entendus ayant convenu que les agissements sur le terrain ne peuvent pas toujours correspondre à ceux enseignés lors de la formation. (Expertech Bâtisseurs de réseaux inc.)
Un machiniste
Le travailleur a subi l'amputation de trois doigts après avoir introduit sa main dans la cage d'une machine servant à poinçonner des lanières métalliques, entourée d'une cage grillagée de couleur rouge.
Le travailleur utilisait cette machine depuis une semaine et, chaque jour, l'employeur lui avait répété qu'il ne fallait jamais entrer une main à l'intérieur de la cage, et que cela n'était pas nécessaire pour effectuer son travail.
Le juge administratif Clément a donné gain de cause à l’employeur. Il a jugé qu’il ne s’agissait pas d'une simple distraction, d'une erreur de jugement ou de négligence de la part du travailleur, mais d'un geste volontaire et intentionnel allant à l'encontre de toutes les règles élémentaires de prudence. (Portes et cadres Metalec)
Un manœuvre
Le travailleur, un manœuvre à la salubrité dans une usine d'abattage et de découpage de poulets, a subi une amputation du 5e doigt de la main droite lors du nettoyage des mailles d'une machine servant à découper.
Le travailleur a contrevenu à la procédure de sécurité de l’entreprise. En effet, il a lavé la machine à l'aide d'un boyau alors que celle-ci était en marche. Cependant, à l'étape finale, plutôt que de se rendre au panneau de contrôle pour sélectionner le bouton «Pas à pas», il a arrêté puis redémarré la machine en utilisant le bouton d'urgence et le bouton de démarrage. Probablement dans le but d’accomplir le travail plus rapidement, il avait mis au point sa propre méthode, vraisemblablement à l’insu de l’employeur.
Le juge administratif Vaillancourt a rejeté la demande de l’employeur. Il a jugé que l’employeur avait l’obligation non seulement de faire connaître les règles de sécurité, mais également de s’assurer qu’elles soient respectées. Il a ajouté que le travailleur avait été imprudent et avait manqué de jugement, mais que son comportement n’était pas assimilable à une négligence grossière et volontaire. (Olymel Flamingo)
Un aide-caissier
Le travailleur, un aide-caissier, s'est blessé à la cheville après avoir sauté au bas d'une étagère sur laquelle il était monté pour retirer un support d'annonce.
Le travailleur n'a pas utilisé l'échelle qui était disponible pour faire cette tâche même s'il savait où elle était entreposée, et il avait été avisé par l'employeur de l'utiliser pour effectuer ce genre de travail.
Le juge administratif Watkins a rejeté la demande de l’employeur. Il a considéré que rien ne permettait de conclure que la blessure n'était pas survenue dans le contexte des risques inhérents aux activités de l'employeur et que les circonstances de l’accident ne présentait pas un caractère extraordinaire, inusité, rare ou exceptionnel. (Provigo Distribution)
Un mécanicien
Le travailleur, un mécanicien, a subi de nombreuses blessures et un choc post-traumatique lorsque la manche de son manteau a été happée par la machine qu'il avait volontairement omis de cadenasser.
La juge administrative Arcand a accueilli la demande de l’employeur. Elle a considéré comme étant déterminant le fait que le travailleur avait fait l'objet d'une mesure disciplinaire quelques mois avant le fait accidentel pour avoir omis de cadenasser la machine. (Bérou international)
Un chauffeur de camion
Le travailleur, un chauffeur de camion pour une entreprise de transport en chemin forestier, a subi une contusion et une entorse à l'épaule alors qu'il circulait sur un chemin forestier enneigé sans avoir bouclé sa ceinture de sécurité et que son camion a basculé dans le fossé.
Le juge administratif Bérubé a refusé la demande de l’employeur. Il a considéré qu’une infraction au Code de la sécurité routière, notamment l'omission de boucler sa ceinture de sécurité, n'était pas assimilable à une négligence grossière et volontaire et ne constituait pas en soi une situation d'injustice. Il a ajouté qu’il s’agissait en l’occurrence d’un risque inhérent à l’ensemble des activités de l’employeur. (9114-1838 Québec inc.)
Références
- Jardins du Haut St-Laurent (1990) enr., (C.L.P., 2013-10-24), 2013 QCCLP 6225, SOQUIJ AZ-51013444
- Expertech Bâtisseur de réseaux inc., (C.L.P., 2013-10-17), 2013 QCCLP 6113, SOQUIJ AZ-51011131
- Portes & cadres Metalec et Commission de la santé et de la sécurité du travail, (C.L.P., 2013-03-27), 2013 QCCLP 2041, SOQUIJ AZ-50951202, EXPT 2013-751, [2012] C.L.P. 807
- Olymel Flamingo, (C.L.P., 2013-02-07), 2013 QCCLP 796, SOQUIJ AZ-50935709, EXPT 2013-479
- Provigo Distribution inc., (C.L.P., 2012-11-23), 2012 QCCLP 7544, SOQUIJ AZ-50916661, EXPT 2013-55
- Berou International inc., (C.L.P., 2012-05-04), 2012 QCCLP 3034, SOQUIJ AZ-50854655, EXPT 2012-1041
- 9114-1838 Québec inc., (C.L.P., 2012-06-12), 2012 QCCLP 3747, SOQUIJ AZ-50865730, EXPT 2012-1495
Il n’est cependant pas interdit de sanctionner disciplinairement un employé qui agit sans respecter les règles de sécurité.