«Que faire lorsque, longtemps après l’expiration du droit au retour au travail prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, le salarié redevient capable d’exercer son emploi prélésionnel — ou allègue l’être redevenu — et souhaite être réintégré dans ce poste chez l’employeur avec lequel, malgré le passage des années, il a maintenu un lien d’emploi? Que faire lorsque l’employeur procède plutôt à un congédiement administratif?»

C’est la question que pose la Cour d’appel au début d’un arrêt d’une cinquantaine de pages qui a été rendu récemment dans Syndicat du préhospitalier (FSSS-CSN) c. Corporation d’Urgences-santé (motifs de la juge Bich) et dont je vous propose un bref sommaire.

Le salarié a subi une lésion professionnelle ayant entraîné des limitations fonctionnelles permanentes. La Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a estimé qu’il ne pouvait plus occuper son emploi prélésionnel de technicien ambulancier. Un emploi convenable lui a été déterminé. L’employeur a par la suite fermé son dossier conformément à la politique prévoyant une telle procédure lorsqu’un employé conserve des limitations fonctionnelles et qu’il n’a pu être réaffecté au sein de l’entreprise dans un délai de quatre ans suivant son accident du travail. Un grief a été déposé afin de contester cette mesure et de réclamer la réintégration du plaignant dans ses fonctions.

L’arbitre Fortier a accueilli l’objection préliminaire formulée par l’employeur. Elle a conclu que le litige relevait de la compétence exclusive de la CSST. La Cour supérieure a confirmé cette décision, estimant qu’elle ne comportait aucune erreur. Le syndicat a interjeté appel de ce jugement.

La juge Bich détermine que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique en ce qui concerne la compétence de l’arbitre de se saisir du grief contestant le congédiement administratif de même que sur la question des juridictions concurrentes. Quant à l’interprétation de la convention collective, elle retient la norme de la décision raisonnable.

Elle souligne ensuite que l’essence du litige est la rupture d’un lien d’emploi, et non la réintégration du salarié dans son emploi prélésionnel. Elle écrit : «Au stade préliminaire […] l’arbitre ne pouvait pas réduire l’objet de ce grief à l’un des remèdes demandés, occultant ainsi tout le débat sur la légalité même du congédiement administratif et escamotant l’examen des autres remèdes possibles, ainsi que le lui permet la clause […] de la convention» (paragr. 62).

La juge estime que l’affirmation de l’arbitre selon laquelle la convention collective ne comporte pas de disposition plus avantageuse que ce que prévoit la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) «ne relève pas d’une analyse textuelle et contextuelle visant à découvrir l’intention commune des cocontractants, ne fait pas partie des issues raisonnablement acceptables» (paragr. 75). À son avis, l’arbitre avait compétence pour vérifier la validité du congédiement.

La juge se prononce ensuite sur la déclaration du salarié selon laquelle, au moment de son congédiement, il ne souffrait plus de la hernie qui l’avait empêché d’exécuter ses fonctions de technicien ambulancier. Elle fait état de la possibilité pour un travailleur de demander en temps utile à la CSST de reconsidérer sa décision relativement à son incapacité de travail (art. 349 et 365 LATMP).

À son avis, rien dans l’environnement législatif en vigueur depuis le 1er janvier 2016 — soit le remplacement de la CSST par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail et celui de la Commission des lésions professionnelles par le Tribunal administratif du travail — ne permet de croire que l’enseignement jurisprudentiel (Hartl et Via Rail Canada inc. et Gauthier c. Pagé) en cette matière ne serait plus valable.

Enfin, la juge rappelle qu’il n’appartient pas au Tribunal d’arbitrage de se prononcer à ce sujet. Toutefois, l’arbitre a compétence pour statuer sur tout aspect d’un grief ne l’amenant pas à infirmer un constat fait par la CSST. Pour le reste, il peut appliquer les dispositions de la convention à la situation du travailleur accidenté.

La Cour accueille l’appel et renvoie le dossier à un autre arbitre pour qu’il tranche le grief.

Références

  • Syndicat du préhospitalier (FSSS-CSN) c. Corporation d’Urgences-santé (C.A., 2016-02-12), 2016 QCCA 266, SOQUIJ AZ-51254504. À la date de diffusion, la décision n’avait pas fait l’objet de pourvoi à la Cour suprême.
  • Syndicat du préhospitalier (FSSS-CSN) et Corporation d’Urgences-santé (Gary Robert Silver), (T.A., 2012-01-04), SOQUIJ AZ-50825396, 2012EXPT-476, D.T.E. 2012T-152.
  • Syndicat du préhospitalier (FSSS-CSN) c. Fortier (C.S., 2013-05-24), 2013 QCCS 2480, SOQUIJ AZ-50972855, 2013EXP-2355, 2013EXPT-1330, J.E. 2013-1272, D.T.E. 2013T-476.
  • Hartl et Via Rail Canada inc. (C.L.P., 2011-05-20), 2011 QCCLP 3528, SOQUIJ AZ-50755156, 2011EXPT-1080.
  • Gauthier c. Pagé (C.A., 1988-03-01), SOQUIJ AZ-88011397, J.E. 88-393, D.T.E. 88T-244, [1988] R.J.Q. 650.
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