Un syndicat a un devoir de représentation à l’égard de chacun des membres de son unité de négociation (art. 47.2 et ss. du Code du travail). Il se trouve dans une situation délicate lorsqu’un salarié fait l’objet d’une dénonciation pour harcèlement psychologique de la part d’un collègue syndiqué. Cela est d’autant plus vrai lorsque le prétendu harceleur a été congédié par l’employeur en raison de la conduite alléguée.

Comment le syndicat peut-il éviter qu’un salarié ne soit indûment privé de son droit de contester son congédiement (ou une mesure moindre), alors que l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail prévoit que tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique?

Ces quelques exemples tirés de la jurisprudence apportent certaines réponses. 

Vallières c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (CPS et APTMQ)

Dans cette affaire, la Cour d’appel (les juges Brossard et Vézina, le juge Cournoyer étant dissident) a infirmé le jugement de la Cour supérieure. Elle a rétabli la «décision raisonnable» de la Commission des relations du travail (CRT), qui avait conclu que le syndicat avait manqué à son devoir de juste représentation en refusant de déposer un grief afin de contester la sanction disciplinaire imposée à une infirmière pour avoir exercé du harcèlement psychologique à l’endroit d’une collègue. Le syndicat avait alors estimé que la sanction imposée à l’infirmière était proportionnelle à sa faute.

Le juge Brossard conclut que le syndicat n’a pas effectué une enquête sérieuse et complète. Il constate que le syndicat a appuyé sa décision sur la preuve retenue par l’employeur contre l’infirmière. Il souligne l’absence d’analyse par les représentants syndicaux du bien-fondé de cette preuve patronale, ceux-ci s’étant contentés d’analyser le bien-fondé de la défense de l’infirmière. En agissant ainsi, le syndicat lui aurait erronément imposé le fardeau de la preuve.

Le juge Vézina reconnaît que l’objectif du syndicat de favoriser l’harmonie au travail n’est pas facile à atteindre parmi ses membres lorsque l’un d’eux exerce du harcèlement psychologique à l’endroit d’un autre membre. Il constate que les efforts du syndicat pour relever ce défi lui ont fait oublier son «rôle premier», qui est de défendre un membre de l’unité de négociation visé par une sanction patronale. Il précise que le syndicat, qui s’est érigé en arbitre, devait traiter équitablement l’infirmière. Or, la CRT a jugé que tel n’était pas le cas, et sa décision n’est pas déraisonnable.

Lelièvre et Syndicat national des employés de la Ville de Port-Cartier (CSN)

Un manœuvre au service des loisirs a été congédié à la suite du dépôt par une collègue d'un grief pour harcèlement psychologique. L'enquête patronale a confirmé que la salariée avait été victime de harcèlement de la part du manœuvre. Au terme de sa propre enquête, le syndicat en est venu à la même conclusion. Il a refusé de déposer un grief afin de contester le congédiement du manœuvre. Celui-ci a porté plainte contre le syndicat pour manquement à son devoir de juste représentation.

La CRT souligne qu’un syndicat doit faire preuve de vigilance, de transparence et d'un haut niveau d'objectivité lorsqu’il se trouve dans la situation délicate d'avoir à représenter deux salariés aux intérêts divergents. Ainsi, il ne devrait pas faire appel aux mêmes personnes pour, d’une part, assister la prétendue victime (rédaction du grief, enquête patronale) et, d’autre part, mener son enquête sur le bien-fondé de la sanction imposée au prétendu harceleur.

Dans ce dossier, la CRT a constaté qu’il y avait eu confusion des rôles, ce qui soulevait un doute quant à l’objectivité du comité d’enquête syndical. Elle a également conclu que le syndicat avait manqué à son devoir de représentation en omettant de rencontrer le manœuvre afin de l’informer des résultats de son enquête ainsi que de sa décision de ne pas le représenter.

Frangiosa et Syndicat des travailleuses et travailleurs du Marriott Château Champlain - CSN

Dans ce dossier, le Tribunal administratif du travail a conclu que le syndicat avait pris fait et cause pour la prétendue victime de harcèlement psychologique, abandonnant le plaignant à son sort. Il retient l’absence d’enquête sérieuse de la part du syndicat ainsi que le fait de ne pas avoir tenu compte des explications du plaignant.

Le Tribunal rappelle que le syndicat a le devoir d’évaluer la proportionnalité de la sanction eu égard à la faute, et ce, même lorsque des  gestes répréhensibles de harcèlement psychologique ont été commis. Il souligne le fait qu’un collègue du plaignant congédié pour les mêmes motifs a bénéficié de la procédure de grief, ce qui a donné lieu à une réduction de la sévérité de sa sanction. De l’avis du Tribunal, ce traitement préférentiel démontre que le syndicat a fait preuve de négligence grave en refusant de déposer un grief au nom du plaignant.

Références

  • Vallières c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (CPS et APTMQ), (C.A., 2011-03-30), 2011 QCCA 588, SOQUIJ AZ-50737307, 2011EXP-1218, 2011EXPT-718, J.E. 2011-654, D.T.E. 2011T-247, [2011] R.J.D.T. 389.
  • Lelièvre et Syndicat national des employés de la Ville de Port-Cartier (CSN), (C.R.T., 2009-07-02), 2009 QCCRT 0286, SOQUIJ AZ-50568903, D.T.E. 2009T-576, [2009] R.J.D.T. 1013. Requête en révision rejetée (C.R.T., 2009-11-19), 2009 QCCRT 0506, SOQUIJ AZ-50587382. Requête en révision judiciaire rejetée (C.S., 2010-03-11), 2010 QCCS 1164, SOQUIJ AZ-50621961. Requête pour permission d'appeler rejetée (C.A., 2010-09-13), 2010 QCCA 1614, SOQUIJ AZ-50670522. Fixation d'une indemnité (C.R.T., 2012-01-06 (décision rectifiée le 2012-01-06)), 2012 QCCRT 0006, SOQUIJ AZ-50821691, 2012EXPT-308. Fixation d'une indemnité (C.R.T., 2012-07-11), 2012 QCCRT 0332, SOQUIJ AZ-50875243.
  • Frangiosa et Syndicat des travailleuses et travailleurs du Marriott Château Champlain - CSN (T.A.T., 2016-11-07), 2016 QCTAT 6355, SOQUIJ AZ-51340057. À la date de diffusion, la décision n’avait pas fait l’objet de pourvoi en contrôle judiciaire.