L’utilisation par des employeurs de différents outils de surveillance des salariés a donné lieu à une abondante jurisprudence au cours des dernières années, surtout en milieu syndiqué. À ce sujet, je vous invite à consulter le billet étoffé de ma collègue Me France Rivard, qui présente une revue jurisprudentielle sur la surveillance électronique faite par l’employeur.

À celle-ci s’ajoute maintenant l’affaire Syndicat des travailleurs et travailleuses du CSSS de l’Énergie – CSN catégorie 2 – 3 et Centre de santé et de services sociaux de l’Énergie (CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec) (griefs syndicaux), dont je traite ici. Dans cette décision, l’arbitre de griefs a déclaré invalide une politique d’enregistrement systématique des conversations téléphoniques de certains services de l’établissement. 

La politique visait expressément le personnel de la centrale des rendez-vous et celui du service de la liste de rappel d’un centre de santé et de services sociaux. Le syndicat a fait valoir que la politique portait atteinte aux droits fondamentaux des salariés touchés et qu’elle était déraisonnable. Il a demandé son annulation pure et simple.

Dans un premier temps, l’arbitre Denis Nadeau a conclu que l’enregistrement de tous les appels faits ou reçus à partir les postes téléphoniques visés portait atteinte à la vie privée des salariés en cause. Il souligne que le fait que les conversations téléphoniques soient systématiquement enregistrées et sujettes à une écoute postérieure constitue une surveillance ayant pour effet de compromettre le degré d’autonomie et d’intimité allant de pair avec le respect de la dignité des salariés au travail. Il a conclu à une atteinte à leurs droits fondamentaux protégés par la Charte des droits et libertés de la personne et que, dès lors, il revenait à l’employeur de justifier la légalité de cette atteinte.

L’arbitre estime que l’employeur a prouvé l’existence d’un motif raisonnable quant à l’enregistrement des conversations téléphoniques à la centrale des rendez-vous. Il fait état de l’obligation légale (art. 3 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux) qu’a tout établissement de santé de traiter l’usager avec courtoisie, équité et compréhension, dans le respect de sa dignité, de son autonomie, de ses besoins et de sa sécurité. Ainsi, l’enregistrement permet de vérifier, surtout lorsqu’il y a plaintes d’usagers ou de salariés, la teneur des échanges ainsi que la nature des renseignements communiqués.

Toutefois, l’arbitre considère que l’utilisation de ces enregistrements aux fins de l’évaluation des salariés à l’essai est déraisonnable dans la mesure où l’employeur n’a pas prouvé que des moyens d’évaluation moins intrusifs n’existent pas.

Par ailleurs, il conclut que l’employeur n’a pas démontré de motifs raisonnables pouvant justifier l’enregistrement systématique des conversations du service de la liste de rappel, lesquelles se déroulent entre employés. Il souligne que cette mesure n’est pas liée à une quelconque obligation légale. Il estime en outre que l’employeur n’a pas prouvé que la politique permettrait de régler un problème réel et sérieux.

Enfin, l’arbitre signale certaines lacunes quant à la forme et au contenu de la politique, notamment son manque de précisions relativement aux postes téléphoniques visés, aux personnes qui ont le droit d’écouter les enregistrements ainsi qu’aux règles de conservation de ceux-ci. Il fait également état du manque de transparence de la politique concernant la finalité des utilisations possibles des enregistrements par la direction. Il mentionne que si l’employeur entend maintenir son système d’enregistrement des conversations téléphoniques pour les postes de la centrale des rendez- vous, il devra procéder à une révision en profondeur de son libellé et s’assurer d’une application rigoureuse des normes. 

Ayant conclu que la politique est contraire, en partie, à la charte, l’arbitre la déclare invalide dans sa totalité. Il ordonne à l’employeur de cesser l’utilisation du système d’enregistrement des appels téléphoniques.

Référence

Syndicat des travailleurs et travailleuses du CSSS de l’Énergie – CSN catégorie 2 – 3 et Centre de santé et de services sociaux de l’Énergie (CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec) (griefs syndicaux), (T.A., 2017-01-18), 2017 QCTA 33, SOQUIJ AZ-51358879. À la date de diffusion, la décision n’avait pas fait l’objet de pourvoi en contrôle judiciaire.

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