La vie nous réserve parfois quelques surprises. Si certaines peuvent être agréables, d’autres provoquent  au contraire une certaine incompréhension, voire un sentiment d’injustice. L’histoire qui suit illustre bien que les apparences peuvent être trompeuses. Ainsi, dans l’affaire Gauthier et Axco Aménagements inc., le Tribunal administratif du travail a dû remettre les pendules à l’heure en matière d’embauche.

Les faits

Une offre d’emploi

En 2016, M. Gauthier répond à une annonce parue dans un journal qui offre des emplois pour le nettoyage du pont Pierre-Laporte, à Québec. Il prend contact avec le responsable du projet, également contremaître, et il obtient un rendez-vous le lendemain à l’établissement de l’employeur. Lors de cette rencontre, après quelques échanges, le contremaître lui dit : «C’est sûr que je te prends.» Bien que le nettoyage du pont implique un travail en hauteur, le contremaître ne questionne pas M. Gauthier pour savoir si cela lui pose problème. Il ne lui demande pas de se présenter à une deuxième entrevue et il n’est pas non plus question d’une période d’essai. Le contremaître lui annonce plutôt qu’il commence à travailler dès le lundi suivant. Après avoir rempli un document sur lequel il inscrit certaines informations, dont son numéro d’assurance sociale, le contremaître indique à M. Gauthier quel équipement il devra porter pour effectuer son travail. Tout de suite après l’entrevue, ce dernier se rend dans un commerce afin d’acheter des bottes de travail. Le dimanche soir, tel que convenu, le contremaître communique avec M. Gauthier pour lui indiquer l’heure à laquelle il devra se présenter au travail. Tout semble aller pour le mieux.

Une première journée de travail

Lorsqu’il arrive sur les lieux du travail, M. Gauthier doit attendre avec le contremaître dans son camion 2 autres personnes devant elles aussi travailler au nettoyage du pont. Il en profite pour lui demander quel sera son salaire pendant la durée du contrat, lequel est prévu pour une trentaine de jours. Le contremaître lui mentionne qu’il gagnera de 16 $ à 17 $ l’heure. Les 2 autres travailleurs n’étant toujours pas arrivés, le contremaître conduit M. Gauthier sur le pont, lui remet de l’équipement et lui donne les indications nécessaires à la réalisation des travaux. Ceux-ci nécessitent, entre autres choses, l’utilisation d’un souffleur à gaz pour nettoyer certaines parties de la structure du pont. M. Gauthier se met donc à la tâche selon les instructions reçues.   

L’accident

Après un certain temps, M. Gauthier commence à éprouver des problèmes respiratoires en raison de la poussière produite par les travaux. Il décide d’aller chercher sa pompe lui permettant de contrôler l’asthme bronchique dont il souffre, laquelle se trouve dans sa boîte à lunch. Il se bute cependant à une porte fermée dont seul le contremaître possède la clé. N’ayant pas en sa possession de radio émettrice ni de téléphone cellulaire lui permettant de communiquer avec le contremaître, M. Gauthier commence à paniquer. Il sait à quoi ressemble une crise d’asthme non contrôlée.

Deux options s’offrent alors à lui : franchir toute la longueur du pont (environ 1 km) pour rejoindre ses collègues qui travaillent à l’autre extrémité de la structure afin qu’ils préviennent le contremaître ou descendre le long du treillis métallique de la cage anti-suicide pour avoir accès à sa boîte à lunch. M. Gauthier choisit la deuxième solution, car elle lui permettra de s’administrer plus rapidement son médicament. Après avoir descendu une bonne partie du treillis, il saute d’une hauteur d’environ 4 à 6 pieds. Dès qu’il touche le sol, il ressent immédiatement une douleur à la jambe gauche. Après l’incident, le contremaître communique avec un ami de M. Gauthier, qui le conduit à l’hôpital, où des examens radiologiques révéleront la présence d’une fracture. De retour chez l’employeur pour lui transmettre les rapports médicaux, la secrétaire refuse de recevoir ses documents puisqu’elle considère qu’il ne travaille pas pour l’entreprise. M. Gauthier soumet par la suite une réclamation à la CNESST, laquelle sera refusée au motif qu’il n’est pas un travailleur au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, n’ayant pas conclu de contrat de travail avec l’employeur. Insatisfait de cette décision, M. Gauthier la conteste devant le Tribunal administratif du travail. Quant à l’employeur, il nie avoir embauché M. Gauthier.

La décision

Devant le Tribunal, l’employeur prétend essentiellement que M. Gauthier ne peut avoir été embauché par l’entreprise puisque le processus habituel de sélection des candidats, lequel comprend une deuxième entrevue et la remise de documents personnalisés, n’a pas été suivi dans son cas. Il nie également qu’une rémunération ait été convenue. Le juge administratif, après avoir examiné les faits, n’est pas du même avis :

[105]   Le Tribunal est convaincu que le réclamant n’a pas fourni bénévolement sa prestation de travail.

[…]

[107]   De l’avis du Tribunal, tous ces indices graves, précis et concordants illustrent bien que le réclamant ne se présentait pas au pont Pierre Laporte le lundi matin, à l’heure convenue, pour passer une seconde entrevue, mais bien pour y travailler pour le compte de l’employeur qui lui demandait d’effectuer des travaux de nettoyage. […]

[…]

[109]   Dans les circonstances, que le contremaître n’ait pas suivi les directives habituelles de l’employeur pour procéder à la sélection du réclamant ne peut, a posteriori, lui causer préjudice et surtout vicier le contrat conclu. En toute bonne foi, le réclamant a donné son consentement à travailler, à une personne en autorité de l’employeur, au surplus, responsable des travaux sur le pont, là même où fut effectué le travail.

[110]   Ainsi, de ce qui précède, le tribunal conclut que le réclamant a répondu affirmativement à l’offre d’emploi formelle de l’employeur et qu’il s’était engagé, le 2 mai 2017, à fournir une prestation de travail sous son contrôle et sa direction, moyennent une rémunération de 16 à 17 dollars l’heure.

[Les caractères gras sont du soussigné.]

Selon le juge administratif, il existait donc, au moment où l’accident est survenu, un contrat de travail entre l’employeur et M. Gauthier. Par ailleurs, le juge va également conclure que ce dernier a fourni une prestation de travail sous l’autorité, la direction et le contrôle du contremaître de l’employeur en se basant sur les faits suivants :

  • Avant le début de son quart de travail, le contremaître remet à M. Gauthier un casque de sécurité conforme et des lunettes de protection;
  • Il lui fournit les outils pour accomplir les travaux (pelle, balai et souffleur);
  • Il lui donne les indications nécessaires à l’exécution du travail en lui précisant les endroits qui devront être nettoyés;
  • Il lui donne de nouvelles instructions lorsque M. Gauthier éprouve un problème dans l’exécution de sa tâche.

La conclusion

Le juge conclut donc que M. Gauthier est bel et bien un travailleur au sens de la loi et qu’il peut bénéficier des prestations qui y sont prévues. Dans le second volet de sa décision, lequel ne fait pas l’objet du présent billet, le juge va déterminer que la fracture subie par M. Gauthier lors de sa chute est une lésion professionnelle. Il ne retient pas l’argument de l’employeur, selon lequel cette blessure était le fruit de la négligence grossière et volontaire de M. Gauthier à la suite de sa décision de descendre le mur de treillis afin de récupérer sa pompe.