Il y a plus de 20 ans, la Cour suprême du Canda avait reconnu, dans RJR – MacDonald Inc., que le Parlement du Canada possédait le pouvoir de « décriminaliser » ce qui était autrefois jugé criminel.

Cela a permis au gouvernement fédéral de « décriminaliser » la consommation du cannabis en adoptant, le 17 octobre 2018, la Loi sur le cannabis. Cette loi a alors mis en place un cadre juridique fédéral relativement à la consommation de cette drogue devenue licite.

Poursuivant des objectifs de santé et de sécurité publiques, le Québec a ensuite adopté la Loi encadrant le cannabis et a mis en place diverses dispositions législatives visant également l’encadrement de cette industrie :

  • Interdiction de cultiver à domicile ;
  • Restriction relative aux produits dérivés ;
  • Augmentation de l’âge légal pour consommer ;
  • Interdiction de consommer dans la majorité des lieux publics.

Or, par ces moyens, est-ce que le Québec tente d’empiéter sur les compétences attribuées au Parlement fédéral ?

Quelle est la marge de manœuvre des provinces ?

Au Canada, chaque palier gouvernemental possède ses propres domaines de compétence. Ainsi, selon le partage des compétences établi dans la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement fédéral a le pouvoir exclusif de légiférer en matière de droit criminel.

Les provinces, quant à elles, sont investies notamment d’une compétence générale sur la santé, la protection de la jeunesse, la réglementation des produits licites transitant dans le commerce local et la réglementation de la production agricole sur leur territoire. Elles possèdent donc à cet effet compétence pour créer leurs propres infractions provinciales.

D’ailleurs, une loi provinciale valide peut fixer des normes plus sévères que les règles prescrites par une loi fédérale sans que l’on puisse conclure à conflit. La règle ? Les gouvernements doivent légiférer uniquement dans leurs propres champs de compétence. Or, c’est ici que les choses se corsent un peu.

Murray Hall

La loi canadienne permet aux citoyens de faire pousser jusqu’à 4 plants de cannabis à domicile. Réagissant à cette permissivité fédérale, le gouvernement du Québec a adopté diverses dispositions législatives qui interdisent plutôt la possession et la culture des plantes de cannabis à des fins personnelles.

Le cœur du litige reposait précisément sur cette interdiction provinciale; le demandeur prétendait que ces dispositions étaient exorbitantes des compétences des provinces et qu’elles devaient en conséquence être invalidées.

L’analyse de la Cour supérieure

Dans la mesure où une loi provinciale n’a pas pour objet de contrecarrer substantiellement l’intention du gouvernement fédéral, elle pourra établir une réglementation du cannabis plus sévère que ce que prévoira une éventuelle loi fédérale. Dans cette optique, la Cour a donc dû analyser le caractère véritable de la loi québécoise.

Il ressort de l’examen des débats parlementaires que l’objet de cette interdiction était d’éviter la banalisation de sa consommation, de contrôler son accessibilité et sa qualité ainsi que de légaliser progressivement ce produit.

Il est toutefois important de se rappeler que les dispositions visées par le recours ne viennent pas simplement restreindre ce qui a été autorisé par le Parlement fédéral mais posent plutôt une interdiction totale.

Or, cette situation laisse entendre que la province du Québec cherchait en réalité à pallier l’abrogation des anciennes dispositions en rendant de nouveau criminelles la culture personnelle et la possession de plantes de cannabis.

En l’espèce, il s’agit donc d’un cas flagrant dans lequel la loi provinciale interdit ce que la loi fédérale permet. Puisqu’il appartient uniquement au fédéral et non aux provinces d’établir si un comportement constitue ou non une infraction criminelle, les dispositions en cause ont été déclarées constitutionnellement invalides.

Le Québec, une approche paternaliste ?

Malgré les explications offertes par la Cour justifiant cette conclusion, le gouvernement du Québec a pris la décision de porter en appel ce jugement.

« On va aller jusqu’au bout pour que les tribunaux nous permettent de faire ce qu’on pense qui est bon pour les Québécois. »

François Legault, premier ministre du Québec

Cette invalidation constitutionnelle n’a d’ailleurs pas empêché, encore récemment, le gouvernement provincial d’adopter de nouvelles dispositions législatives resserrant davantage l’encadrement de la consommation du cannabis. En effet, le projet de loi no 2 (Loi resserrant l’encadrement du cannabis), adopté en octobre dernier, vise notamment à hausser l’âge légal de la consommation du cannabis à 21 ans. Cette nouvelle modification n’entrera en vigueur que le 1er janvier 2020.

Une nouvelle contestation constitutionnelle est-elle à prévoir ?

Il serait intéressant de se questionner sur le réel objectif du gouvernement provincial puisque ce changement législatif peut à certains égards contrevenir aux objectifs du gouvernement fédéral de protéger les jeunes et de retirer le commerce du cannabis des mains du crime organisé.

« Ça soulève quelques questions qu’un jeune de 18 ans puisse aller chercher cette semaine du cannabis de façon légale, mais que, dans quelques mois, il pourra peut-être seulement aller l’acheter chez les Hells. »

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

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