Février 2017. Une vive tension règne sur le campus de l’Université Laval. Cette dernière est en processus de négociation avec le syndicat en vue du renouvellement de la convention collective du personnel non enseignant.

Le Journal de Québec publie un article dans lequel il mentionne que la menace de grève du syndicat fait des mécontents parmi les syndiqués. L’article cite les propos d’une salariée qui affirme que le recours à ce moyen de pression est prématuré; elle réclame une nouvelle assemblée d’information pour les membres.

Le syndicat ne tarde pas à réagir. Dès le lendemain, son président publie dans le journal syndical Info-négo un texte dénonçant les propos de la salariée. Il accuse l’employeur de s’être lancé dans une campagne de désinformation par l’entremise de cette dernière, une technicienne syndiquée affectée au service des ressources humaines.

Dans son message, il souligne que la salariée a été trésorière du syndicat à l’époque où celui-ci avait été éclaboussé par un scandale financier ayant forcé sa mise sous tutelle. Il ajoute qu’elle a ensuite obtenu une promotion et qu’elle a tenté de faire exclure son nouveau poste de l’unité de négociation.

La salariée intente des procédures judiciaires en dommages-intérêts contre le syndicat et son président. Elle leur reproche d’avoir tenu des propos diffamatoires à son endroit, lesquels ont porté atteinte à sa réputation.

Le syndicat et son président déposent une demande reconventionnelle en dommages-intérêts. Ils allèguent que la salariée les a diffamés dans des courriels qu’elle a fait circuler pendant le conflit de travail alors qu’elle commentait la conduite des négociations.

La salariée réplique en réclamant que cette demande reconventionnelle soit déclarée abusive et que les honoraires extrajudiciaires qu’elle a payés lui soient remboursés.

L’affaire est entendue devant la Cour du Québec, qui rend son jugement le 18 novembre 2019.

Le juge circonscrit 4 questions en litige :

  1. Les propos reprochés dans le journal syndical sont-ils diffamatoires à l’endroit de la salariée?
  2. Le cas échéant, quels sont les dommages subis?
  3. La salariée a-t-elle tenu des propos diffamatoires à l’endroit du syndicat et de son président?
  4. La demande reconventionnelle est-elle abusive?

La diffamation

Le juge rappelle d’abord les principes applicables en matière de responsabilité civile et, plus particulièrement, de diffamation. Il souligne que l’appréciation de la faute alléguée doit tenir compte de 2 valeurs fondamentales qui s’opposent, soit la liberté d’expression et le droit à la réputation.

Il constate que la salariée a exprimé son opinion dans le contexte d’un débat d’intérêt public, s’exposant ainsi à la critique. Il estime cependant que les propos diffusés dans le journal syndical ne se limitent pas à une critique; ils constituent un amalgame de sous-entendus et de faussetés visant à miner la crédibilité de la salariée.

Le juge conclut notamment que les auteurs de l’article ont tenu des propos diffamatoires à l’endroit de la salariée en sous-entendant qu’elle était au cœur d’un scandale financier alors qu’ils savaient pertinemment que les faits ayant mené à la tutelle du syndicat s’étaient produits avant sa nomination à titre de trésorière et qu’elle n’était aucunement liée à ce scandale. Il ajoute que l’article présente faussement la salariée comme une personne indigne de confiance ou de considération puisqu’elle agit pour les intérêts de l’employeur.

Selon le juge, l’article est un écrit diffamatoire. Il fait état d’une réponse démesurée et pernicieuse aux commentaires faits par la salariée dans le Journal de Québec.

L’atteinte à la réputation

Le juge souligne que l’atteinte à la réputation touche une fibre fondamentale de l’identité de la personne et qu’elle doit être dénoncée. Il relève l’humiliation et le mépris subis par la salariée en raison de la faute des défendeurs, précisant que le texte diffamatoire a été diffusé à l’ensemble des membres du syndicat. Il constate que la fin du conflit de travail à l’Université n’a pas mis un terme à l’isolement de la salariée, qui a finalement décidé de prendre une retraite anticipée. Il lui accorde 12 000 $ (sur les 18 000 $ réclamés) à titre de dommages moraux.

Le juge détermine que la conduite des défendeurs justifie l’attribution de dommages punitifs. Il conclut à une atteinte grave et intentionnelle à la réputation de la salariée. Il souligne qu’il s’agit d’une récidive pour le président, qui avait déjà été blâmé dans un autre dossier pour un comportement similaire. Il condamne solidairement les défendeurs au paiement de la somme réclamée à titre de dommages punitifs, soit 10 000 $.

La demande reconventionnelle

Le juge retient que la salariée n’a pas tenu de propos diffamatoires en remettant publiquement en question la stratégie syndicale, dont celle de recourir à la grève. Il conclut également que les défendeurs ne peuvent prétendre avoir été victimes de diffamation en raison de messages dans lesquels la salariée a remis en cause la conduite d’un tiers, soit le délégué de la centrale syndicale. Il précise néanmoins que les écrits de la salariée ne constituaient aucunement des attaques personnelles ou à l’intégrité professionnelle du délégué.

Le juge estime que la cause d’action des défendeurs est si fragile qu’elle en devient abusive par sa témérité. Il conclut que leur conduite va au-delà d’une mauvaise évaluation de leurs droits. À son avis, les défendeurs ont déposé une demande sans faute ni préjudice et ils doivent en subir les conséquences. Il les condamne à payer la moitié des honoraires extrajudiciaires réclamés par la salariée.   

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