Les personnes vulnérables sont victimes d’exploitation autant par des inconnus que par des gens de leur entourage. Ce phénomène semble prendre de l’ampleur car, depuis le début de l’année, plusieurs arnaqueurs ont été condamnés par les tribunaux à indemniser leurs victimes, lesquelles étaient des personnes âgées ou handicapées. Dans le présent billet, il sera question de cette jurisprudence.

Droit applicable

La protection contre l’exploitation édictée à l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne s’applique aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Cet article vise toute forme d’exploitation: celle-ci peut donc être financière, physique, psychologique, sociale, morale et sexuelle. Par contre, pour conclure à une situation d’exploitation d’une personne âgée ou handicapée, le demandeur doit faire la démonstration, par prépondérance de preuve, des éléments suivants:

  1. une mise à profit;
  2. une position de force; et
  3. au détriment d’intérêts plus vulnérables.

Jurisprudence récente

Lessard (Calfeutrage Multi-Scellant)

La victime, qui était âgée 86 ans, n’avait pas de conjoint ni d’enfant et vivait de manière isolée. Sur le plan de la santé, elle souffrait depuis 2008 de démence de type mixte et présentait des traits schizotypiques. En fait, cette dame était incapable de porter un jugement le moindrement éclairé sur la nécessité et la valeur réelles des travaux de rénovation qui lui avaient été proposés par des entrepreneurs en construction.

Ces derniers ont fait de nombreuses actions visant à s’enrichir personnellement ou à leur bénéfice commun au détriment des intérêts de la victime. Cette mise à profit s’est concrétisée d’abord en convainquant cette dernière de leur confier la responsabilité de travaux pour lesquels ils n’avaient pas la compétence requise, puis en procédant à une surfacturation éhontée.

Le Tribunal des droits de la personne a conclu que les entrepreneurs en construction avaient porté atteinte au droit de cette femme contre l’exploitation des personnes âgées et à son droit à la sauvegarde de sa dignité sans discrimination fondée sur l’âge. Comme cette dernière est décédée en 2017, sa succession a eu le droit de recevoir 338 285 $ à titre de dommages matériels, 33 333 $ en dommages moraux et 5 500 $ en dommages punitifs.

Succession de Kalimbet Piela

Dans cette affaire digne d’un film d’horreur, une travailleuse sociale, son conjoint avocat et une femme qui prétendait être la nièce de la victime, laquelle était âgée de 89 ans, ont porté atteinte aux droits fondamentaux de cette dernière en falsifiant son mandat de protection, en pénétrant par effraction dans son logement et en attaquant sa personne pour lui retirer des documents et des biens, en déposant une procédure judiciaire afin qu’elle soit déclarée inapte, en prenant possession de tout son argent et en demandant qu’elle soit admise contre son gré dans une résidence pour personnes âgées.

La succession de cette dame, décédée en décembre 2016, s’est vu accorder 200 000 $ à titre de dommages moraux, 300 000 $ en dommages punitifs et 93 028 $ en remboursement d’honoraires extrajudiciaires.

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.S.)

La fille d’un homme âgé 86 ans, qui souffrait d’alcoolisme et avait des difficultés d’ordre cognitif, a été condamnée à rembourser les 55 680 $ qu’elle avait retirés des comptes bancaires de son père à son seul bénéfice. De plus, ce dernier a eu droit à 7 000 $ en dommages moraux et à 1 000 $ à titre de dommages punitifs.

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.G.)

Dans cette cause, au moment du décès de son époux, en 2012, la victime vivait seule. Comme elle n’avait jamais été responsable de la gestion des finances au sein de sa famille, ses finances étaient gérées par son fils unique et sa bru, lesquels détenaient des procurations à cet effet. En mars 2014, cette dame, âgée de 88 ans, a été hospitalisée alors qu’elle était confuse et anxieuse. Un diagnostic de démence mixte a été posé à son endroit. À compter d’octobre 2014, elle a été hébergée dans une ressource intermédiaire. Ses frais d’hébergement en résidence n’ayant pas été payés, elle a accumulé au fil des mois une dette qui, en octobre 2015, était évaluée à 21 782 $. Elle a aussi accumulé une dette auprès de sa pharmacie, ce qui a entraîné un risque qu’elle soit privée de ses médicaments. Bien que son fils et sa bru aient été informés de la situation, ils n’ont pris aucune mesure pour y remédier.

Or, en utilisant des sommes appartenant à cette femme afin de couvrir des factures dont le paiement leur incombait — alors que les frais d’hébergement et de médicaments n’étaient pas payés —, le fils et la bru de cette dernière ont agi dans leur seul intérêt et à son détriment. En détournant ainsi l’argent de cette personne âgée à leur profit, ceux-ci l’ont exploitée financièrement et ont porté atteinte à son droit à la sauvegarde de sa dignité sans discrimination fondée sur l’âge. Dans ces circonstances, le Tribunal des droits de la personne a accordé à cette dame 11 049 $ à titre de dommages matériels, moraux et punitifs.

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (C.A. et un autre)

De nombreuses décisions traitent de l’exploitation des personnes âgées, mais très peu abordent la question de l’exploitation des personnes handicapées. Dans cette affaire, un couple a profité de sa position de force à l’égard de 2 personnes handicapées pour détourner à leur bénéfice des sommes d’argent appartenant à celles-ci. Pendant près de 3 ans, le couple leur a aussi fait effectuer du travail non rémunéré à leur propre bénéfice.

La preuve a également révélé que l’homme a profité de sa position de force pour exiger des faveurs sexuelles. La jeune femme handicapée a ainsi été agressée sexuellement à plusieurs reprises, ce qui a porté atteinte à son intégrité physique, mais également à son intégrité psychologique. D’ailleurs, cette cause est importante, car elle reconnaît l’abus sexuel comme une forme d’exploitation interdite par l’article 48 de la charte. 

Les 2 victimes ont eu droit à plus de 91 000 $ à titre d’indemnité.

Protégeons les personnes vulnérables

Ces derniers mois, en raison de la pandémie de la COVID-19, il est beaucoup question du traitement réservé aux aînés dans les centres d’hébergement, mais la jurisprudence récente démontre qu’il faut également les protéger de toutes les formes d’exploitation dont elles sont trop souvent victimes.

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