Dans AMGQ inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, la Cour supérieure a conclu que le juge de première instance avait mal appliqué certaines règles de preuve et de procédure en matière pénale. Elle s’est notamment penchée sur la question de l’admissibilité en preuve du rapport d’infraction d’un inspecteur de la Commission de la construction du Québec (CCQ), et ce, à la lumière des dispositions de l’article 62 du Code de procédure pénale.

AMGQ inc. détient une licence d’entrepreneur en construction. Elle a été accusée d’avoir enfreint à plusieurs reprises la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction en utilisant, à titre d’employeur, les services d’une personne (Galica) non titulaire du certificat de compétence requis et en omettant de remplir les rapports nécessaires à cet égard.

AMGQ a fait valoir qu’elle n’était pas l’employeur de Galica. Afin d’établir les éléments constitutifs des infractions, dont le statut d’employeur, la preuve du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) reposait notamment sur le dépôt de constats d’infractions et de rapports d’infractions généraux rédigés par des enquêteurs et des inspecteurs de la CCQ. Invoquant la prohibition du ouï-dire, AMGQ s’est opposée à l’admissibilité en preuve de ces documents ou de parties de ceux-ci.

Le juge de première instance a rejeté les objections à la preuve formulées par AMGQ, estimant que les inspecteurs de la CCQ avaient une connaissance personnelle de ce que les employés rencontrés sur le chantier leur avaient dit. Il a par ailleurs conclu que la preuve circonstancielle démontrait hors de tout doute raisonnable que des infractions à la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction avaient été commises. Des verdicts de culpabilité ont été rendus dans 8 des 12 dossiers dont il était saisi.

En appel de ce jugement, AMGQ a soutenu que le juge n’aurait pas dû tenir compte des déclarations recueillies par les inspecteurs de la CCQ et consignées dans leurs rapports en raison de la règle de common law prohibant le ouï-dire. Elle a fait valoir que les déclarations en question provenaient de personnes à son service ou soupçonnées de l’être et que les inspecteurs n’avaient pas une connaissance personnelle des faits. Elle a allégué que ces déclarations constituaient la seule preuve de sa qualité d’employeur de Galica et que le juge devait l’acquitter puisque la poursuite n’avait pas prouvé cet élément essentiel des infractions.

De son côté, le DPCP a prétendu que l’article 62 du Code de procédure pénale permettait l’introduction des déclarations extrajudiciaires contenant du ouï-dire. Il a invoqué les dispositions de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction qui permettent aux inspecteurs de la CCQ d’enquêter sur toute matière relevant de la compétence de cette dernière et d’interroger certaines personnes. Le DPCP en a conclu que: «puisque la CCQ peut obtenir ces déclarations, elle peut les produire pour faire preuve de leur contenu» (paragr. 35).

La Cour supérieure a écarté cet argument du DPCP. Elle a écrit:  

[37] L’article 62 du C.p.p. établit qu’un constat d’infraction ou un rapport d’infraction peut tenir lieu du témoignage d’un agent de la paix ou d’une personne chargée de l’application d’une loi à la condition expresse que cette personne y atteste qu’elle a elle-même constaté les faits qui y sont mentionnés. Il s’agit là de l’incorporation de la règle de common law en matière de ouï-dire, laquelle exige la connaissance personnelle des faits par les témoins.

[38] Cette exigence du constat personnel des faits par le rédacteur que souligne l’article 62 C.p.p. s’applique, que l’auteur du document témoigne ou non à l’audience.

[…]

[43] Or, loin de créer «une exception d’origine législative à la règle du ouï‑dire de la common law», l’article 62 du C.p.p. vise précisément à en confirmer l’application lorsqu’il prévoit que le dépôt du constat dinfraction ou du rapport dinfraction ne permet que l’introduction des faits que constate personnellement l’agent de la paix ou la personne chargée de l’application d’une loi qui le rédige. Il n’autorise pas «un raccourci magique permettant à son auteur de ne pas respecter les exigences élémentaires des règles de preuve». (Notre soulignement.)

Au paragraphe 49 de sa décision, la Cour souligne que la volonté du législateur de rendre le ouï-dire admissible ne se trouve exprimée ni explicitement ni implicitement à l’article 62 du Code de procédure pénale. Cet article «prévoit exactement le contraire en exigeant que le témoin ait une connaissance personnelle des faits».

Appliquant la méthode moderne d’interprétation législative, la Cour conclut au paragraphe 50 qu’«il faut lire les termes de l’article 62 C.p.p. dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur».

Elle écrit:

[51] À cet égard, il faut tenir compte de l’article 61 C.p.p. qui introduit la section du Code portant sur les règles générales de preuve. Celui-ci constitue un renvoi aux règles traditionnelles de preuve en droit criminel canadien, tant au niveau de la loi fédérale que des règles de preuve de la common law. Les articles qui suivent, et particulièrement l’article 62, visent à simplifier l’administration de la preuve en permettant le dépôt de certains documents en lieu et place de leur rédacteur.

[52] Il s’agit donc de permettre l’admissibilité de substituts documentaires à la preuve testimoniale, mais seulement si la personne atteste qu’elle a «personnellement constaté les faits qui y sont mentionnés». Le sens ordinaire et grammatical des termes de l’article 62 s’avère «clair et sans équivoque» et il n’autorise pas la preuve par ouï dire.

[53] Il s’ensuit que le régime d’exception créé par l’article 62 C.p.p. vise la forme du témoignage et non les règles de preuve qui en régissent le fond.

[54] De plus, l’une des conséquences de l’interprétation proposée par le juge d’instance serait de permettre indirectement l’admissibilité d’une preuve par ouï-dire par un témoin à l’audience lorsque, suivant l’article 63 C.p.p., le défendeur requiert du poursuivant qu’il assigne la personne dont le constat ou le rapport d’infraction peut tenir lieu de témoignage.

[55] Il va de soi que cette interprétation doit être rejetée, car elle contredit les principes de base du droit de la preuve.

La Cour supérieure a conclu que le juge de première instance avait erré en droit en rejetant les objections à la preuve. Toutefois, elle a déterminé que, dans 6 des 8 dossiers, il existait une preuve circonstancielle suffisante pour établir qu’AMGQ était l’employeur de Galica sans égard aux déclarations litigieuses. Comme cette dernière avait admis que le DPCP avait prouvé hors de tout doute raisonnable les autres éléments essentiels des infractions, l’appel a été rejeté quant à ces 6 dossiers.

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