Une affaire simple en apparence

Le principe général est clair: lorsque l’employeur fournit des avantages sociaux à des employés qui s’absentent du travail, il doit le faire d’une façon qui assure que l’application de ces avantages ne conduit pas à une discrimination fondée sur un motif prohibé (Association des juristes de l’État).

Le test applicable l’est également: une fois que le demandeur a établi prima facie les 3 éléments constitutifs de la discrimination (sommairement: une distinction fondée sur un motif prohibé compromettant l’exercice en pleine égalité d’un droit fondamental), il revient au défendeur de réfuter cette preuve prima facie ou d’offrir une justification à la discrimination.

En pratique, la question n’en demeure pas moins complexe. En effet, la jurisprudence privilégie une approche globale, tenant compte du contexte et des autres avantages faisant partie de la rémunération, plutôt qu’une analyse en vase clos d’un avantage donné.  

Quelques décisions récentes rendues sur le sujet le démontrent.

Première décision

Dans Syndicat des professionnels et professionnelles de l’éducation Laurentides-Lanaudière, les plaignantes soutenaient que les modalités du calcul des crédits de vacances pénalisaient indûment les salariés s’étant absentés du travail pour cause d’invalidité pendant une période de plus de 6 mois.

L’arbitre a rejeté les griefs. Elle s’est d’abord fondée sur l’absence d’obligation pour les employeurs de rémunérer les employés qui ne fournissent pas de services. Elle a ensuite estimé que la distinction en cause n’était pas en lien avec un motif prohibé (en l’occurrence, le handicap), mais qu’elle découlait plutôt de la durée de l’absence:

[24]     L’article 7-7.03 de l’Entente nationale prévoit différents motifs en vertu desquels le crédit de vacances peut être réduit. Le nombre de jours à partir duquel s’opérera cette réduction varie en fonction non seulement du type d’absence (congé de maternité, paternité, invalidité ou sans traitement), mais également en fonction de la durée de ces absences. Ainsi, un salarié peut s’absenter en invalidité pour une durée d’au plus six mois sans que ses crédits de vacances ne soient réduits. Cependant, le salarié en congé sans traitement peut s’absenter pour une période n’excédant pas soixante jours ouvrables. Au-delà de cette période, les crédits de vacances s’en trouvent réduits.

L’affaire fait l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire. Il sera d’ailleurs intéressant d’en connaître le sort, à la lumière de la décision de la Cour supérieure rendue 2 jours plus tard dans un dossier distinct.

Deuxième décision

En effet, dans Syndicat de professionnels et professionnelles du Collège de Maisonneuve, la Cour supérieure est venue casser la sentence d’un arbitre de griefs qui avait estimé que la méthode de calcul des crédits de vacances n’entraînait pas d’effet discriminatoire fondé sur le handicap.

Dans cette affaire, la convention établissait une réduction modulée de la durée des vacances pour tout cumul d’absence sans traitement supérieur à 60 jours, sauf pour les congés de maternité, de paternité ou d’adoption. Selon le syndicat, la convention aurait dû comprendre pareille exception pour les congés de cette durée pris en raison d’un handicap.

La juge a reproché à l’arbitre plusieurs erreurs, notamment son omission d’appliquer le cadre d’analyse qu’elle avait déterminé au préalable et le fait d’avoir lié le crédit de vacances à une prestation de travail alors que la plaignante cherchait à se comparer à un groupe qui recevait le crédit, prestation de travail ou non.

Sans trancher le débat sur le fond (l’affaire a été déférée à un autre arbitre), la Cour supérieure a donné une indication claire de sa perception du dossier:

[66]     Disons simplement qu’à la lumière du cadre d’analyse applicable et en l’absence d’explications ou d’éléments de preuve additionnels, la distinction apparente dans le présent dossier entre l’avantage consenti aux personnes en congé de maternité, congé parental ou congé d’adoption et celui qui est applicable aux personnes absentes en raison d’un handicap pour une période de plus de 60 jours semble mener vers une conclusion suivant laquelle le désavantage qui résulte de l’application de la norme contestée serait discriminatoire.  

Troisième décision

La troisième décision récente sur le sujet (Siemens Énergie Canada ltée) ne portait pas sur le calcul des vacances, mais sur l’attribution d’un boni de performance collectif.

Le syndicat contestait le fait que ce boni était calculé au prorata de la présence au travail du salarié durant l’année de référence, sans tenir compte des absences de 4 semaines et moins. Les plaignants, qui s’étaient absentés en raison de la prise d’un congé de maladie ou d’un congé parental, soutenaient être injustement pénalisés en raison d’un handicap ou de leur état civil.

L’arbitre leur a donné raison. Selon lui, si le but de partager les bénéfices de l’entreprise avec ceux qui ont contribué à son succès est légitime, les caractéristiques du programme, en apparence neutres, étaient illégales dans leurs effets :

[96]        […] Sans être arbitraire en soi, l’obligation de présence au travail pour le calcul de la part de chaque salarié fait inévitablement en sorte que les personnes de certaines catégories risquaient d’être pénalisées en raison de leur appartenance à ces groupes.

[97]        Cela ne veut pas dire que l’employeur est privé de la faculté d’établir des distinctions, exigences ou autres conditions dans l’application de son programme. Certaines sont neutres et seraient difficilement contestables telles l’exigence d’un lien d’emploi avec l’entreprise ou l’exclusion de personnes volontairement absentes du travail pour des raisons personnelles. Cependant, cette exclusion des périodes dépassant le seuil de quatre semaines ne pouvait que défavoriser nombre de personnes absentes en raison d’un handicap ou en raison de l’exercice de responsabilités liées à leur état civil ou leur situation familiale, par exemple.

Approche globale et fardeau de la preuve

Une note, en terminant, aux employeurs qui voudront tenter de justifier la discrimination sur la base d’une analyse de la compensation globale: il faudra plus que de simples allégations, comme le souligne la Cour supérieure dans Syndicat de professionnels et professionnelles du Collège de Maisonneuve:

[62]     Par ailleurs, l’affirmation de l’Arbitre suivant laquelle les modalités différentes négociées par les parties quant au crédit de vacances font partie intégrante de la compensation globale versée aux salariés absents est certes intéressante. Toutefois, comme il n’y a aucune preuve au dossier sur les motifs et le contexte de l’insertion de l’exception liée aux congés de maternité et autres congés parentaux, ni d’exercice comparatif des compensations globales versées aux salariés absents pour les différents motifs d’absence, ou d’autres explications des différences entre les régimes de compensation applicables, elle ne permet pas davantage d’asseoir de façon raisonnable la conclusion de l’Arbitre sur l’absence de discrimination.

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