Depuis le début de l’année, plus de 330 décisions traitant du droit municipal ont été rendues par les tribunaux judiciaires et spécialisés. Dans le présent billet, je vais traiter de celles qui ont le plus retenu mon attention, notamment en matière de fiscalité municipale, de responsabilité, de manquement déontologique par un élu et de réglementation.

Fiscalité municipale

Droits sur les mutations immobilières

Le 18 mars dernier, la Cour d’appel a affirmé que, même si un immeuble est généralement constitué d’une seule et unique unité d’évaluation — laquelle est constituée du fonds de terre et des bâtiments permanents qui y sont érigés —, la scission de celle-ci est permise lorsque le fonds de terre est grevé d’un droit de superficie. Cette exception, prévue à l’article 39 de la Loi sur la fiscalité municipale, est toutefois assujettie à l’exigence que le droit de superficie soit inscrit au Bureau de la publicité des droits. À défaut d’inscription, l’unité d’évaluation conserve son unicité.

La Cour a donc conclu que la ville appelante avait eu raison d’établir la valeur marchande des terrains transférés en considérant tant les fonds de terre eux-mêmes que les bâtiments qui s’y trouvaient au moment où l’intimée les a achetés puisque, aux fins de la loi, ceux-ci ne forment qu’une seule unité d’évaluation.

Responsabilité civile

Expropriation déguisée

Dans l’arrêt Dupras c. Ville de Mascouche, la Cour d’appel a conclu que la modification du zonage du terrain boisé appartenant à l’appelante, qui fait en sorte que les usages résidentiels permis sont insuffisants pour constituer une utilisation raisonnable du terrain, avait entraîné une situation d’expropriation déguisée.

Le recours pour expropriation déguisée est soumis à la prescription triennale énoncée à l’article 2925 du Code civil du Québec. Sur la question du point de départ de la prescription, la Cour a estimé que, en entretenant un espoir raisonnable, voire une attente légitime, chez l’appelante quant à la modification du zonage visant son terrain ou à l’acquisition de celui-ci, la Ville a retardé la cristallisation même de sa cause d’action. Le recours de l’appelante n’était donc pas prescrit.

Quant au montant de l’indemnité, l’évaluation doit en principe se faire au moment où l’expropriation déguisée a lieu. Dans cette affaire, une difficulté s’est présentée du fait que, si le règlement restrictif dont découle l’expropriation déguisée date de 2006, la prescription n’a pu commencer à courir, en raison du comportement de la Ville, que le 8 février 2016. La Cour a estimé que la solution la plus logique était de fixer la valeur de l’indemnité à cette date. Il s’agit du moment où la cause d’action l’expropriation déguisée  s’est cristallisée. C’est aussi la solution qui paraît la plus équitable pour l’expropriée et la plus conforme au principe selon lequel l’indemnité doit tenir compte de l’entièreté de sa perte.

Discrimination

Le 29 mars, le Tribunal des droits de la personne a conclu que la résolution du conseil d’arrondissement d’Outremont ayant eu pour effet d’exclure Lussier à titre de membre du comité consultatif d’urbanisme en raison de ses convictions politiques, soit sa décision de se porter candidat à la mairie, avait compromis le droit de ce dernier d’exercer, en pleine légalité, ses droits garantis par les articles 3, 10 et 22 de la Charte des droits et libertés de la personne.

L’adoption de cette résolution a engagé la responsabilité de la Ville de Montréal. Quant aux membres du conseil d’arrondissement, la jurisprudence a reconnu à leur bénéfice une immunité de poursuite relative en ce qui a trait à leur participation aux décisions de la municipalité. Comme la décision contestée ne résultait pas d’une négligence grossière équivalant à une faute lourde, mais représentait plutôt un exercice à mauvais escient — en raison de son caractère discriminatoire — du pouvoir de révocation attribué au conseil d’arrondissement, la réclamation contre les élus défendeurs a été rejetée.

Quant au quantum, Lussier a eu droit à 7 000 $ à titre de dommages moraux. Par contre, en l’absence d’une atteinte illicite et intentionnelle à ses droits fondamentaux, la réclamation en dommages punitifs a été rejetée.

Conseil municipal

Manquement déontologie

Le 28 janvier, la Cour supérieure a annulé 2 décisions de la Commission municipale du Québec (CMQ); la première avait rejeté une demande en arrêt des procédures à l’égard d’une citation en déontologie dont Sue Montgomery faisait l’objet et la seconde avait retenu contre elle 11 manquements au code d’éthique et de conduite des membres du conseil de la Ville et des conseils d’arrondissement.

Dans le contexte du processus qui a mené aux décisions visant Montgomery, la Direction du contentieux et des enquêtes (DCE) de la CMQ a manqué à son obligation d’indépendance en se comportant d’une manière qui amènerait un observateur raisonnable à conclure que la plaignante, la Ville de Montréal, avait exercé une influence sur la Commission et que celles-ci agissaient en étroite collaboration. Quant à la Commission, elle a violé le droit à une audience publique de Montgomery, lequel est prévu à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Dans Tassoni c. Ville de Laval, les conseillers municipaux demandeurs ont réclamé à la Ville de Laval le remboursement de leurs frais de représentation engagés dans le contexte d’une enquête effectuée par la DCE de la CMQ.

L’article 604.6 de la Loi sur les cités et villes prévoit qu’une municipalité doit assurer la défense ou la représentation d’un élu municipal lorsque celui-ci est un défendeur ou un accusé dans le contexte d’une procédure dont est saisi un tribunal, laquelle doit être fondée sur une allégation relative à un acte ou à une omission qui aurait été commis par l’élu dans l’exercice de ses fonctions à titre de membre du conseil. À la lumière de la jurisprudence, la personne qui recherche la protection juridique prévue à cet article doit se retrouver au cœur d’une procédure civile, administrative, pénale ou criminelle dont est saisi un tribunal.

Dans cette affaire, bien que les demandeurs aient supporté d’importants honoraires d’avocats en lien avec les avis juridiques obtenus et la préparation de leurs communications avec la DCE, leurs dossiers respectifs n’ont jamais été portés devant la CMQ afin que celle-ci fasse usage de ses pouvoirs quasi judiciaires.

Quant à l’article 35 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale, il accorde à tout membre d’un conseil municipal le droit de retenir les services d’un conseiller à l’éthique et à la déontologie inscrit sur une liste établie par la CMQ, et ce, afin d’obtenir un avis juridique sur toute question relative au code d’éthique et de déontologie. Cette disposition n’a pas pour objet de lui fournir les ressources permettant à l’élu municipal de déterminer, après le fait accompli, si un acte ou une omission commis dans le cadre de ses fonctions constitue un manquement déontologique. Puisque les demandeurs ont consulté le conseiller en éthique et en déontologie après avoir pris connaissance des allégations à leur endroit, la Ville n’était pas tenue de supporter les frais engagés. Ce jugement a été porté en appel.

Règlement

Constitutionnalité

Le mois dernier, la Cour supérieure a refusé de déclarer nul le règlement 2326, lequel limite la distribution des imprimés publicitaires, dont le Publisac, sur le territoire de la Ville de Mirabel aux citoyens qui apposeront dorénavant un autocollant vert sur leur porte d’entrée ou leur boîte aux lettres afin de signifier leur intention de les recevoir, selon la méthode «opt-in».

Tout d’abord, le tribunal a constaté que la Ville est habilitée à régir la distribution des imprimés publicitaires sur son territoire en vertu des articles 4, 6, 10 et 85 de la Loi sur les compétences municipales. Dans l’exercice de son pouvoir réglementaire, elle peut notamment prévoir «toutes prohibitions» (art. 6 paragr. 1 de la loi). Elle a donc agi à l’intérieur de sa compétence lorsqu’elle a adopté le règlement 2326. De plus, l’adoption de celui-ci est tout à fait proportionnelle aux enjeux environnementaux qui sont au cœur de la politique municipale préconisée par la Ville et dans l’ordre du plan de gestion des matières résiduelles.

Quant à la liberté d’expression, il s’agit d’un droit fondamental protégé par la Charte des droits et libertés de la personne et la Charte canadienne des droits et libertés qui englobe le discours commercial et la publicité. La garantie protège tant l’émetteur de la publicité que le destinataire. D’ailleurs, l’occupant d’une maison est réputé accorder l’autorisation à tout membre du public de s’approcher de sa porte et d’y frapper dans un but licite. Bien que le régime «opt-in» que préconise le règlement 2326, par ses effets, crée une présomption selon laquelle les citoyens qui n’apposent pas un autocollant vert refusent de recevoir le Publisac, il a été démontré que la substance de ce règlement ne porte pas atteinte de manière injustifiable à la liberté d’expression de la demanderesse, laquelle est propriétaire de Publisac.

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