Dans un jugement récent, la Cour supérieure a été appelée à se prononcer sur une demande d’ordonnance de sauvegarde en matière de filiation dans des circonstances plutôt singulières.
Le contexte
Les demandeurs forment un «triangle amoureux» depuis quelques années et ils décident d’avoir un enfant à l’égard duquel ils souhaitent tous avoir les droits et obligations d’un parent. C’est dans ce contexte que X naît en 2022.
Après la naissance de l’enfant, les demandeurs font parvenir au Directeur de l’état civil un acte de naissance dans lequel la mère biologique et l’épouse du père biologique sont désignées comme mères de l’enfant. Le père ne déclare pas sa paternité dans le formulaire, qui ne prévoit que la possibilité de mentionner 2 parents. Il est à noter que les demandeurs ont alors déjà introduit en 2021 des procédures visant notamment à faire déclarer que le Code civil du Québec permet à un enfant d’avoir plus de 2 parents.
Le Directeur de l'état civil refuse d’établir la filiation telle que demandée au motif que le père a démontré son intention d’établir sa paternité par la voie des procédures de 2021. Il ne dresse donc l’acte de naissance qu’avec la filiation de la mère biologique, tout en avisant les parties que, si elles le désirent, la paternité du père peut aussi être établie.
Les demandeurs, dans le cadre de leurs procédures introduites en 2021, présentent ensuite une demande d’ordonnance de sauvegarde. Ils veulent essentiellement que la maternité de l'épouse soit établie dès maintenant à l’égard de X, en plus de celle de la mère biologique, et que cette filiation soit inscrite au registre de l’état civil.
La décision
Pour avoir gain de cause, les demandeurs doivent démontrer que la question à trancher est sérieuse, qu’ils subiront un préjudice sérieux ou irréparable si l’ordonnance recherchée n’est pas accordée, que la prépondérance des inconvénients penche en leur faveur et qu’il y a urgence à ce que l’ordonnance recherchée soit rendue.
Le juge conclut premièrement que, même si la question à trancher est sérieuse, les demandeurs ne démontrent pas qu’ils bénéficient d’une forte apparence de droit. En effet, la filiation de l’enfant à l’égard de l'épouse ne peut être établie ni par le sang, ni par l’adoption, ni par la procréation assistée. Ce dernier scénario est exclu par l’absence de recours aux forces génétiques d’une personne qui n’est pas une partie au projet parental. En outre, les dispositions sur la reconnaissance volontaire, invoquées par les demandeurs, figurent dans le chapitre du Code civil du Québec qui traite de la filiation par le sang et ne trouvent donc pas application en l’espèce.
Le juge écarte ensuite l’idée que les demandeurs subiront un préjudice sérieux ou irréparable s’il rejette leur demande. Même si l'épouse ne bénéficiera pas de certains avantages liés à la parentalité, comme les prestations parentales, le juge estime que les demandeurs seraient financièrement capables de supporter le coût d’un congé sans traitement. Il note aussi qu’il aurait été possible d’obtenir ces prestations si le père avait choisi de déclarer sa paternité. Le juge fait par ailleurs valoir que l’absence d’un lien biologique, la décision du Directeur de l'état civil et l’impossibilité de bénéficier d’un congé ne font pas obstacle à l’établissement de liens affectifs entre l'épouse et l’enfant, et que ce dernier ne subira pas un préjudice irréparable si sa filiation n’est pas immédiatement établie à l’égard de l’épouse.
Sur la question de la prépondérance des inconvénients, le juge invoque la possibilité que l’acte de l’état civil établi par ordonnance de sauvegarde doive être modifié si les demandeurs n’ont pas gain de cause sur le fond. Cela donnerait au registre de l’état civil un caractère temporaire qui ne peut être accepté et qui n’est pas dans l’intérêt public.
Enfin, sur le critère de l’urgence, le juge rappelle que, dans la situation actuelle, l’établissement d’un lien affectif entre X et l'épouse demeure possible, tout comme l’obtention de prestations parentales par le père.
Bien que les demandeurs essuient un revers à ce stade, il reste à voir quelle sera l’issue finale du dossier.
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