Dans un billet publié en 2017, ma collègue Me Maude Normandin s’est intéressée à des situations où des professionnels agissant comme experts avaient vu leurs agissements à ce titre examinés par leurs conseils de discipline respectifs. Dans les lignes qui suivront, nous reviendrons sur un arrêt récent de la Cour d’appel où il était question de l’immunité d’un expert mandaté par un syndic dans le cadre d’une enquête en matière disciplinaire.

Les faits

Dans le contexte d’une enquête portant sur une plainte disciplinaire visant Houle, l’une de ses membres, le syndic ad hoc de l’Ordre des psychologues du Québec retient les services de Touchette à titre d’expert. Au bout du compte, le Conseil de discipline de l’Ordre rejette la plainte concernant Houle. Il souligne toutefois ce qu’il estime être certains manquements professionnels de la part de Touchette quant à sa compétence, à son objectivité et à son impartialité en sa qualité d’expert.

Houle dépose par la suite une plainte privée contre Touchette. Cette dernière invoque l’immunité prévue à l’article 116 alinéa 4 du Code des professions (C.prof.) comme moyen de non-recevabilité. Touchette fait valoir que les manquements déontologiques qui lui sont reprochés sont survenus dans l’exécution d’un mandat confié par le syndic ad hoc pour évaluer le travail de Houle, alors qu’elle exerçait une fonction prévue au code.

Les instances précédentes

Le Conseil de discipline détermine que la nature du mandat confié à Touchette ne peut être qualifié de fonction prévue au code et que l’immunité dont il est question à l’article 116 alinéa 4 ne trouve pas application. Pour lui, cette disposition ne s’applique que si le mandat confié est lui-même de la nature d’une enquête. Or, en l’espèce, on requérait l’opinion professionnelle de Touchette pour valider les conclusions de l’enquête sans indiquer expressément qu’on lui confiait des pouvoirs d’enquête.

Saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire, la Cour supérieure conclut au caractère raisonnable de la décision du Conseil, celle-ci étant justifiée, intelligible et transparente.

L’arrêt de la Cour d’appel

Pour la Cour d’appel, l’interprétation proposée par le Conseil à l’égard de l’article 116 alinéa 4 C.prof. est déraisonnable. Sa conclusion voulant qu’un expert mandaté par un syndic dans le cadre de son enquête n’exerce pas une fonction prévue au code, sauf s’il est expressément investi d’un pouvoir d’enquête aux termes de son mandat, ne tient pas compte des fonctions d’enquête du syndic et d’assistance de l’expert prévues dans cette loi. Un syndic qui requiert l’assistance d’un expert en vue de valider son enquête le fait nécessairement en vertu de l’article 121.2 C.prof. Dès lors, l’expert partage, entre autres choses, les mêmes pouvoirs à l’égard des dossiers professionnels prévus à l’article 192 C.prof. Il doit donc pouvoir jouir de la même immunité que le syndic.

Le Conseil commet donc une erreur lorsqu’il détermine que l’appelante n’exerçait pas de pouvoirs d’enquête parce que le syndic ad hoc lui aurait refusé l’accès à des documents, l’empêchant ainsi de mener l’enquête comme elle l’aurait souhaité. D’une part, il s’agit de déterminer si l’appelante assistait le syndic dans ses fonctions d’enquête. D’autre part, l’accès limité aux documents ne permet pas pour autant de conclure à une absence d’assistance. Au surplus, rien n’oblige la personne qui assiste le syndic à recourir au dossier tenu par un professionnel.

Quant au jugement de première instance, la Cour d’appel conclut que la Cour supérieure commet une erreur révisable en déterminant que la décision du Conseil et l’interprétation qu’il proposait de l’article 116 alinéa 4 C.prof. étaient raisonnables. Elle fait d’ailleurs une lecture erronée de la décision dans Agronomes (Ordre professionnel des) c. Bernier et, contrairement à ce qu’elle en retient, il n’y a pas lieu de faire preuve de prudence et de restreindre la portée de l’immunité prévue à la loi aux seules situations discutées lors de l’étude du projet de loi.

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