La COVID-19 continue d’avoir une forte incidence dans divers domaines de droit et les relations du travail n’y échappent pas

Au menu aujourd’hui, 3 décisions récentes rendues dans le contexte de la pandémie; la première en matière de licenciement collectif, la deuxième présentant un cas d’insubordination, et la troisième soulevant des enjeux de santé et de sécurité du travail.

Licenciement collectif

Dans Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale du Québec, section locale 712 et Bombardier Aéronautique inc. (grief syndical), le syndicat reprochait à l’avionneur de ne pas avoir versé le préavis de licenciement collectif prévu à l’article 84.0.4 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) et d’avoir demandé le remboursement de la portion non écoulée du préavis individuel versé à des employés qui ont par la suite été rappelés au travail.

Concentrons-nous sur le premier grief, contre lequel l’employeur se défendait en soutenant que le préavis prescrit n’avait pu être versé en temps utile en raison des bouleversements causés par la pandémie, laquelle constituait selon lui un cas de «force majeure» ou un «événement imprévu» au sens de l’article 84.0.5 L.N.T.

L’arbitre lui a donné tort sur le premier moyen. Au moment où les licenciements ont été annoncés, soit au mois de juin 2020, la crise qui sévissait dans l’industrie de l’aéronautique ne pouvait vraisemblablement être prévue ou envisagée. Le critère de l’imprévisibilité était donc rempli.

L’arbitre a cependant estimé que la preuve administrée ne démontrait pas que l’employeur avait été dans l’impossibilité absolue de donner le préavis, de sorte que le critère de l’irrésistibilité n’était pas respecté:  

[64] Or, l’employeur n’a aucunement fait état qu’il lui était impossible de donner le préavis de licenciement prévu à compter du mois de juin 2020 ni que le paiement d’une indemnité de licenciement était de nature à mettre la viabilité de l’entreprise en jeu. C’est peut-être le cas, mais cette preuve n’a pas été faite.

[…]

[66] Avec égards, je ne vois pas ce qui aurait empêché l’employeur de conclure une nouvelle lettre d’entente avec le syndicat afin de maintenir le lien d’emploi des salariés aux mêmes conditions que les lettres d’entente précédentes, et ce, jusqu’à la fin du préavis de licenciement collectif. Le syndicat avait d’ailleurs manifesté son désir de poursuivre dans cette direction.

[67] Je conviens que le maintien des avantages sociaux pouvait être dispendieux. Toutefois, même si l’exécution de l’obligation est plus onéreuse, elle ne peut automatiquement être assimilée au critère d’irrésistibilité permettant de conclure à la force majeure. La preuve ne fait aucunement état qu’il était impossible pour l’employeur de procéder de la sorte. Je rappelle que le caractère d’irrésistibilité dont il est question ici implique une impossibilité absolue.

Cette approche soulève certains questionnements sur la démarche de l’arbitre. En effet, elle semble faire porter son analyse sur la capacité financière de l’employeur de verser l’indemnité requise ou de maintenir le lien d’emploi durant la durée du préavis. Toutefois, dans d’autres affaires, on semble plutôt mettre l’accent sur la possibilité pour l’employeur de déterminer si le licenciement durera plus de 6 mois et s’il a transmis l’avis au ministre dès que cette impossibilité était levée. Par exemple, voici l’analyse retenue dans Union des employés et employées de service, section locale 800 et Vallières et Pelletier inc. (grief collectif):

[71]           La preuve a démontré que c’est à cette dernière date et après une analyse de la situation que l’employeur a constaté son impossibilité d’effectuer un rappel au travail des salariés concernés et mis à pied le 16 mars 2020. D’ailleurs, l’avis transmis au ministre le 23septembre 2020 fait état de ses explications concernant cette situation. Il a envoyé l’avis dès qu’il a pu le faire.

[72]           Ainsi, le Tribunal en vient à la conclusion que l’employeur s’est déchargé de son fardeau de preuve quant à l’application de l’exception de force majeure ou d’évènement imprévu au sens de l’article 84.0.5 LNT. Il est donc relevé de son défaut d’avoir fait parvenir au ministre du Travail l’avis de licenciement collectif au sens de l’article 84.0.4 LNT dans le délai prescrit et de son obligation de verser l’indemnité prévue à l’article 84.0.13 LNT à tous les salariés visés par le grief collectif du syndicat.

Néanmoins, cette question porte peu à conséquences dans notre affaire puisque l’arbitre a donné raison à l’employeur quant au moyen fondé sur l’«événement imprévu» (Bombardier Aéronautique inc.):

[77] Je suis d’avis qu’à cette époque, et pour les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment, il n’était pas possible pour l’employeur de prévoir qu’un licenciement collectif s’imposerait en juin. Une personne raisonnable ne pouvait en aucune façon anticiper qu’une crise de l’ampleur de celle que l’on a connue surviendrait quelques semaines plus tard. Rien ne laissait à l’époque [au printemps 2020] entrevoir que l’industrie aérienne subirait un impact de la sorte.

À noter que cette sentence arbitrale fait l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire.

Insubordination

La deuxième décision est moins complexe. En effet, l’affaire Syndicat international des travailleurs et travailleuses de la boulangerie, confiserie, tabac et meunerie (FAT-CAI-CTC-FTQ), section locale 235T et JTI-Macdonald Corp. (Maxime Jomphe) met en cause un salarié à qui l’employeur a imposé une suspension de 1 jour pour avoir refusé de se conformer à une directive de son supérieur de porter un masque chirurgical, comme l’exigeait les règles sanitaires de l’entreprise. Devant le plaidoyer du syndicat, selon lequel un avis écrit aurait suffi, vu le caractère isolé de l’incident et sa courte durée (15 minutes), l’arbitre s’est plutôt attardé au caractère délibéré de la faute et à la gravité du refus injustifié de se conformer aux règles sanitaires:

[77] Bien que la durée de l’incident soit effectivement courte, il n’en demeure pas moins qu’il y a eu refus d’obtempérer à un ordre légitime et que le non-respect des règles sur le port du masque chirurgical est un risque pour la santé et sécurité des employés en commençant par le plaignant lui-même.

[78] Donc, le plaignant a délibérément refusé de porter le masque dès que la demande lui a été faite. Il a commencé à discourir à titre de porte-parole sur des éléments, qu’ils soient légitimes ou non, qui n’avaient aucun lien avec la demande du superviseur. Il a commis une faute sérieuse qui justifie de passer outre le principe de gradation des sanctions, tel que prévu à la disposition pertinente de la convention collective. La sanction d’une journée de suspension imposée au plaignant est appropriée.

Discrimination

Dans la troisième décision, Services préhospitaliers Paraxion inc. et Fédération des employés des services préhospitaliers du Québec (FPHQ) (griefs individuels, Laurent Duranceau et autre), le syndicat contestait essentiellement la décision de l’employeur de retirer du travail, sans rémunération ni tentative de réaffectation, tous ses salariés immunodéprimés en réponse aux risques accrus que représentait pour eux la pandémie de la COVID-19. L’employeur aurait ainsi manqué à son obligation d’accommodement, aurait abusé de ses droits et aurait imposé l’équivalent d’une suspension sans solde alors que les critères jurisprudentiels applicables n’étaient pas remplis.

L’arbitre s’est rendu aux arguments de l’employeur. D’une part, il n’était pas exact que les salariés avaient été laissés sans rémunération, vu la prestation canadienne d’urgence et un léger supplément versé volontairement par l’employeur.

D’autre part, celui-ci n’offrait jamais d’affectations temporaires aux techniciens ambulanciers qui s’absentaient pour des motifs de santé (autres qu’une lésion professionnelle) parce qu’il ne disposait pas de travail ou de tâches importantes et rentables en quantité suffisante. Bref, pour accommoder le plaignant, l’employeur aurait été dans l’obligation de créer un poste de travail inutile.

Enfin, tout en reconnaissant que la décision de retirer les salariés du travail relevait du droit de direction de l’employeur, l’arbitre a estimé que cela n’était suffisant pour affirmer qu’il s’agissait d’une suspension administrative au sens où l’entend l’arrêt Cabiakman. Il s’agissait plutôt d’un retrait temporaire du travail, pour des motifs exclusivement liés à la santé et à la sécurité du travail.

Conclusion

Si cela termine le présent billet, ce n’est certainement pas le dernier portant sur l’interaction entre pandémie et droit du travail. À suivre!

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