Le Tribunal administratif du Québec (TAQ) a rendu une décision intéressante récemment. Il y est question de 2 pères d’un enfant né d’une mère porteuse et du droit pour chacun d’eux de recevoir des prestations de paternité du Régime québécois d’assurance parentale.

Les faits

Le requérant n’a pas adopté son enfant. Celui-ci a été conçu dans le cadre d’un contrat de gestation conclu dans un État américain, où cela est légal. Le requérant est légalement le père de son enfant. Le Directeur de l’état civil a confirmé avoir inséré au registre de l’état civil du Québec l’acte de naissance de l’enfant. Les noms du requérant et de son conjoint sont inscrits à titre de pères de l’enfant.

Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale a accordé 20 semaines de prestations parentales au requérant. Toutefois, il a conclu que ce dernier n’avait pas le droit de recevoir 5 semaines de prestations de paternité au motif que le nombre maximum de semaines de prestations de paternité prévu à la Loi sur l’assurance parentale avait déjà été utilisé par l’autre parent.

Les arguments

Le requérant a soutenu que l’article 9 de la Loi sur l’assurance parentale, qui prévoit que «[l]e nombre maximal de semaines de prestations de paternité est de 5», doit être interprété de manière large et libérale ainsi que de façon logique et cohérente avec l’objectif législatif de favoriser la création de liens entre un enfant et un parent dès les premières semaines suivant sa naissance.

Pour sa part, le ministre a fait valoir que l’interprétation de l’article 9 de la loi signifie que les 5 semaines de prestations de paternité ne peuvent être versées en double, soit 5 semaines pour chacun des pères. Il a aussi invoqué l’article 541 du Code civil du Québec (C.C.Q.), selon lequel «[t]oute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle de nullité absolue». Selon le ministre, l’interprétation qu’il fait de l’article 9 de la loi est cohérente avec l’état actuel de la législation au Québec puisque le Code civil du Québec ne reconnaît pas de filiation aux parents qui choisissent la gestation pour autrui.

La décision

L’article 541 C.C.Q.

Le TAQ a jugé que la référence à l’article 541 C.C.Q. n’est d’aucune utilité dans le présent litige. Il a indiqué que le ministre accordait une portée trop large à cet article et faisait preuve d’un certain illogisme dans son argumentation puisqu’il a accordé des prestations parentales au requérant malgré cet article. De plus, le Directeur de l’état civil a inséré dans ses registres l’acte de naissance délivré par l’État américain où est né l’enfant. Malgré l’histoire de son arrivée au Québec, l’enfant a officiellement 2 pères, comme cela est possible au Québec depuis 2002.

L’objet de la loi

Le TAQ poursuit en soulignant que la loi a pour but d’assurer un remplacement du revenu à un parent afin de lui permettre d’être proche de son enfant au début de sa vie. Or, il s’agit d’un moment crucial pour nouer des liens affectifs. La position du ministre a pour résultat que, dans certains cas, des enfants seront privés de la présence de leur parent, qui devra travailler puisque ce ne sont pas tous les parents qui peuvent s’absenter pendant 5 semaines sans remplacement de leur revenu.

Le parallèle avec l’adoption

Pour les parents qui adoptent, la loi accorde à chaque parent 5 semaines de prestations exclusives. Le TAQ considère qu’il est difficile de comprendre pourquoi le législateur serait plus restrictif envers les familles qui ne sont pas passées par l’adoption.

Loi sociale

Le TAQ conclut que, dans le contexte d’une loi sociale qui s’interprète de manière large et libérale, de façon à assurer l’accomplissement de son objet, l’article 9 doit être interprété dans le sens que lui donne le requérant.

Conclusion

À noter que ce sujet était abordé pour la première fois par le TAQ. Parions que ce ne sera pas la dernière!

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