La période pour inscrire son enfant à une activité sportive ou à un camp de jour arrive à grands pas. Les organismes qui offrent ces services ne peuvent refuser d’intégrer un enfant sans justification. Dans quels cas sera-t-il question de discrimination? Le présent billet permettra de répondre à cette question.

Les principes applicables

Les dispositions pertinentes de la Charte des droits et libertés de la personne se lisent comme suit:

Article 10    Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

Article 12    Nul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public.

Suivant une jurisprudence constante, la preuve d’une discrimination requiert 3 éléments:

  1. Une distinction, une exclusion ou une préférence;
  2. qui est fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa de l’article 10 de la charte; et
  3. qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne.

Lorsque l’existence d’une discrimination est démontrée, le prestataire de services peut justifier sa décision ou sa conduite. Celui-ci doit alors établir que la mesure discriminatoire dont il est l’auteur:

  1. est rationnellement liée à la poursuite d’objectifs légitimes;
  2. est raisonnablement nécessaire à l’atteinte de ces objectifs en ce qu’il est impossible pour lui de composer avec les personnes ayant les mêmes caractéristiques que la victime sans subir de contrainte excessive.

Survol des décisions rendues par le Tribunal des droits de la personne

Activité sportive

Dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Bellemare) c. Club de soccer Les Braves d’Ahuntsic, la Commission invoquait l’existence d’une discrimination en raison de la séparation des enfants en fonction de leur sexe et du refus du club de soccer d’intégrer les filles de la plaignante dans le groupe des garçons.

Considérant les 3 conditions requises pour permettre de conclure à l’existence d’une discrimination, le Tribunal a constaté que la séparation des enfants en groupes de garçons et en groupes de filles constituait une distinction. Les participants qui s’inscrivent à l’activité offerte par le club de soccer ne sont pas tous traités de manière strictement identique. Selon qu’ils sont de sexe féminin ou de sexe masculin, ils sont dirigés vers des terrains différents et doivent s’y présenter à des heures différentes. En raison de cette distinction, les 2 enfants en cause ne pouvaient être intégrées aux groupes de garçons comme leurs parents le souhaitaient.

Quant à la deuxième condition, il est évident que la composition des groupes d’enfants est effectuée en fonction de leur sexe, soit l’une des caractéristiques énumérées à l’article 10 de la charte. Toutefois, en ce qui concerne le dernier critère, la Commission n’a démontré aucune violation de la part du club de soccer puisque celui-ci n’a pas refusé de conclure un acte juridique avec la plaignante. C’est plutôt cette dernière qui, apprenant que ses filles ne pourraient être intégrées dans le groupe des garçons, a pris la décision de ne pas les inscrire à l’activité de l’été 2016.

Par ailleurs, au-delà de quelques différences négligeables, le service offert par le club aux filles était en tout point comparable à celui offert aux garçons. Ainsi, les jeunes filles n’auraient été privées d’aucune facette de ce service en étant intégrées à un groupe féminin. De plus, il n’a pas été démontré qu’une intégration dans un tel groupe ne leur aurait pas permis d’exercer pleinement leur potentiel ou de bénéficier d’un niveau de jeu adapté à leurs capacités.

Le Tribunal a donc estimé que le club de soccer n’avait exercé aucune discrimination dans la prestation de ses services en refusant d’intégrer les 2 jeunes filles de la plaignante dans une équipe masculine. Cette décision a été portée en appel.

Camp de jour

En 2013, le Tribunal a conclu qu’un enfant autiste avait été privé de l’accès à un camp de jour en raison de la discrimination exercée par la Ville de Québec fondée sur son handicap. Celle-ci a jugé que l’enfant ne répondait pas au critère d’admission en vertu duquel un «enfant doit présenter ou démontrer une réelle capacité à intégrer les activités régulières des programmes d’animation estivaux» (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Dalir et autres), paragr. 8). Ce critère a été retenu afin de s’assurer que la Ville demeure à l’intérieur de son mandat d’offrir des services de loisirs plutôt que des services sociaux. Il poursuit aussi un objectif de sécurité pour les enfants et ses employés. L’adoption par la Ville d’une politique établissant des conditions d’admissibilité au Programme Vacances-Été (PVE) était donc rationnellement liée à la poursuite d’objectifs légitimes.

Or, l’obligation d’accommodement qui incombe aux employeurs ainsi qu’aux fournisseurs de biens et de services ordinairement offerts au public implique que chaque personne fasse l’objet d’une évaluation individuelle, selon une norme réaliste qui reflète ses capacités. L’omission de procéder à une telle évaluation rend particulièrement difficile la justification d’une mesure discriminatoire. D’autre part, il y a contrainte excessive lorsque les mesures d’accommodement recherchées dénaturent l’essence du contrat de services. Ainsi, le prestataire d’un service destiné au public n’est pas tenu de créer entièrement un service sur mesure pour un client ayant un handicap.

Pour l’année 2008, le personnel de la Ville s’est acquitté de son obligation d’entreprendre les démarches nécessaires pour connaître les besoins et les capacités de l’enfant. Il était alors légitime de conclure que celui-ci n’était pas en mesure de s’intégrer aux activités régulières du PVE. L’enfant en cause était incapable d’entrer en relation avec les autres enfants et de participer, de quelque façon que ce soit, à une activité de groupe. De plus, il lui était impossible de demeurer en présence d’autres enfants pendant une longue période. Dans ces circonstances, le service de loisirs recherché pour ce dernier ne correspondait pas, fondamentalement, à celui offert par la Ville et la mise en place d’un tel service aurait constitué une contrainte excessive.

Il en va autrement pour l’année 2009, alors que la Ville a refusé l’inscription du même enfant au PVE au motif qu’il lui avait été impossible d’obtenir un portrait suffisamment complet de la situation actuelle de l’enfant. Elle s’est campée dans une position intransigeante qui imposait aux parents de fournir une évaluation de leur enfant par un intervenant québécois, ce qui s’est révélé impossible à respecter. La Ville ne s’est pas alors déchargée de son fardeau de prendre toutes les mesures raisonnables pour procéder à une analyse individualisée des besoins et des capacités de l’enfant en cause et de composer avec ceux-ci, jusqu’à la limite de la contrainte excessive. La Ville a donc été condamnée à payer 3 000 $ en dommages moraux à chacun des parents et à l’enfant, ainsi que 820 $ à titre de dommages matériels.

En 2011, une situation similaire est survenue (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Falardeau)). Une enfant qui souffre d’un déficit intellectuel et d’autisme légers fréquentait depuis 2003 le camp de jour de la municipalité de cantons unis Stoneham-et-Tewkesbury. À partir de 2005, à la suite d’une nouvelle politique en vertu de laquelle les enfants nécessitant un accompagnement particulier étaient transférés au camp Cité-Joie, qui a pour vocation d’accueillir les personnes handicapées, l’enfant s’est vu refuser l’inscription à ce camp.

La municipalité ne pouvait adopter une politique qui avait pour effet de séparer automatiquement les enfants présentant un handicap des autres enfants inscrits au camp de jour, et ce, sur la seule base de leur handicap. Une telle politique est intrinsèquement discriminatoire. De plus, la municipalité a refusé de procéder à l’analyse individualisée que requiert la jurisprudence et de prendre en considération les besoins réels de l’enfant, lesquels entraînaient l’obligation de trouver un accommodement raisonnable, tel que fournir une accompagnatrice. Elle n’a pas démontré que l’intégration de l’enfant aurait entraîné une contrainte excessive. La municipalité a été condamnée à payer 8 500 $ en dommages moraux à l’enfant et 7 500 $ à sa mère.

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