Pour faire suite au billet de ma collègue sur la violence au travail, voici 3 sentences arbitrales récentes mettant chacune en cause un salarié auquel l’employeur reproche d’avoir proféré des menaces de mort. Dans chacun des cas, le congédiement a été confirmé.

Menace de portée générale

Dans la première décision, Syndicat des salariés(es) de la fromagerie (CSD) et Agropur Coopérative (Daniel Deschênes), l’employeur reprochait au salarié d’avoir dit à un collègue: «Si jamais je perds ma job, je me suicide et je vais tuer quelqu’un à l’usine avant de le faire» (paragr. 50). Le syndicat a fait valoir de nombreux facteurs atténuants. De façon plus particulière, l’arbitre a estimé que l’absence d’intention de passer à l’acte n’était pas pertinent dans l’analyse du caractère raisonnable de la sanction. Quant au fait que les menaces n’étaient pas dirigées vers une personne en particulier, l’arbitre en a fait bien peu de cas:

[106]      L’absence d’identification ou des personnes visées: ce critère comme facteur atténuant est pour le moins aberrant, certes le fait de ne pas identifier des personnes en particulier peut causer moins d’appréhensions individuelles et personnelles, mais, à mon humble avis, ne peut constituer un facteur atténuant. Les menaces de mort sont en soi un facteur grave et aggravant, qu’elles visent un individu ou une collectivité.

Menace armée à l’endroit d’une supérieure hiérarchique

Dans la deuxième décision, Syndicat des salarié-es de la fromagerie (CSD) et Agropur Coopérative (Gérard Bolduc), l’employeur reprochait au salarié d’avoir menacé sa superviseure avec un couteau. Ayant retenu la version de l’employeur quant aux circonstances l’ayant mené à se retrouver avec un couteau à la main et à l’orientation de la lame, l’arbitre s’est ensuite penché sur l’à-propos du congédiement.

À ce sujet, vu la gravité intrinsèque de la faute, l’employeur n’était pas tenu de respecter le principe de la progression des sanctions. Le congédiement n’était pas automatique pour autant, l’arbitre demeurant tenu d’appliquer les critères élaborés par la jurisprudence en matière de violence verbale ou physique, qui sont essentiellement les suivants (paragr. 94):  

  1. l’identité de la personne attaquée;
  2. si l’assaut était le résultat d’une saute d’humeur ou constituait une attaque préméditée;
  3. la gravité de l’attaque;
  4. la présence ou l’absence de provocation;
  5. le dossier disciplinaire de l’employé;
  6. l’ancienneté de l’employé;
  7. les conséquences économiques du congédiement;
  8. la présence ou l’absence d’excuses de la part du plaignant;
  9. le risque de récidive.

(Voir Hôpital général juif et Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôpital général juif — Sir Mortimer B. Davis (CSN) (Jean-Philippe Lussier), (T.A., 2016-03-31), 2016 QCTA 249, SOQUIJ AZ-51282966, 2016EXPT-1116, D.T.E. 2016T-443, A.A.S. 2016A-14, paragr. 198).

Eu égard à l’identité de la personne attaquée, l’arbitre a souligné le fait que la victime était la supérieure du salarié, ce qui aggravait sa faute:

[96] Selon la jurisprudence arbitrale, menacer un représentant de l’employeur est une faute qui est considérée plus grave par les arbitres, que celle visant un collègue de travail salarié. En effet, c’est l’autorité légitime de l’employeur qui est alors défiée. […]

[…]

[98] En l’espèce, le plaignant a menacé sa supérieure immédiate avec un couteau à la main. Cette dernière est jeune et est une des rares femmes occupant de telles fonctions dans l’usine.

Quant à la gravité du geste, l’arbitre s’est attardé au caractère vraisemblable de la menace, non seulement du point de vue de la victime, laquelle s’était réellement sentie menacée, mais également de celui d’un des témoins:

[104] La preuve est on ne peut plus claire comme quoi Mme Guillemette s’est réellement sentie menacée. Même un collègue de travail […] a cru que le plaignant la poignarderait. Il a même fait référence à un féminicide. […]

Évocation d’une tuerie et invocation de la vengeance divine

La troisième décision, Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (AIMTA), section locale 1660 et ABB inc., illustre l’intensité du fardeau de preuve qui incombe à l’employeur en matière de menaces de mort.

Dans cette affaire, l’employeur reprochait au salarié de s’être emporté lors d’une rencontre disciplinaire et d’avoir proféré des menaces de mort en faisant notamment allusion à une tuerie survenue dans un autre établissement de l’employeur quelques années auparavant.

Selon l’arbitre, le plaignant avait bel et bien proféré des menaces envers son superviseur. Cependant, certains indices dans ses propos décousus et parfois difficiles à comprendre ont soulevé un doute dans son esprit quant à la portée des propos:

[66]           À l’audience, [le plaignant] a maintenu la même version des faits. Il a affirmé que s’il a fait référence à la tuerie survenue aux États-Unis, ce n’était pas pour faire une menace. Au contraire, il voulait signifier à M. Ricard qu’il ne menaçait personne et qu’il n’avait pas l’intention de tuer qui que ce soit. En d’autres termes, son propos était de dire qu’il ne ferait pas ce que le tueur américain avait fait.

[67] Nous sommes dans un cas limite. En effet, s’il est exact de dire que le plaignant ne menaçait pas directement l’intégrité physique de M. O’Brien, il le faisait quand même de façon indirecte, par l’entremise d’une vengeance divine (celui qui fait la justice). Crier à son supérieur «tu vas le payer» à de nombreuses reprises laisse présumer d’une intention de s’en prendre physiquement à M. O’Brien. Toutefois, est-ce que ces menaces vont jusqu’à vouloir causer la mort de ce dernier ou, à tout le moins, de lui infliger des blessures graves? Il y a un pas que la soussignée hésite à franchir. Je ne suis pas convaincue à cinquante plus un pour cent que c’était bien le cas […].

Cela n’a pas empêché l’arbitre de confirmer le congédiement en raison de la conduite du salarié et des propos inacceptables qu’il avait tenus lors de la rencontre disciplinaire:

[78]           Certes, le plaignant a le droit d’exprimer son point de vue. Il peut ne pas être d’accord avec son superviseur. Il peut même être irrité, fâché ou déçu de recevoir une lettre concernant sa performance. Cependant, son droit de s’exprimer ne lui permet pas de menacer quiconque ni de lancer des accusations concernant la réputation de M. O’Brien. Son droit de s’exprimer ne lui permet pas non plus d’interrompre sans arrêt son interlocuteur et d’imposer son propre ordre du jour à une rencontre disciplinaire.

En conclusion, si le congédiement n’est pas automatique en matière de violence au travail, il est difficile (avec raison) de voir le lien d’emploi survivre à des menaces, de mort ou non.

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