L’article 3155 du Code civil du Québec (C.C.Q.) prévoit quelles sont les conditions de reconnaissance et d’exécution par nos tribunaux des décisions rendues hors Québec. Pour sa part, l’article 3164 C.C.Q. prévoit que la compétence des autorités étrangères est établie suivant les règles de compétence applicables aux autorités québécoises, dans la mesure où le litige se rattache d’une façon importante à l’État dont l’autorité a été saisie. Ce billet se veut un retour sur quelques arrêts de la Cour suprême du Canada rendus au cours des 35 dernières années au sujet de la reconnaissance des jugements étrangers et de la compétence des autorités étrangères.

1990 – Morguard Investments Ltd. c. De Savoye

Les intimées, créancières hypothécaires de biens-fonds situés en Alberta, intentent des actions sur solde de compte dans cette province malgré le déménagement de l’appelant, le débiteur hypothécaire, en Colombie-Britannique. Des jugements sont rendus en leur faveur et elles cherchent à obtenir leur reconnaissance auprès des tribunaux de la Colombie-Britannique.

Il s’agit ici de déterminer quelle reconnaissance doit être accordée par les tribunaux d’une province à un jugement d’une autre province dans une action personnelle instituée dans cette dernière à un moment où le défendeur n’y vit plus.

Pour la Cour, en permettant de poursuivre à l’endroit qui a un lien réel et substantiel avec l’action, on établit un équilibre raisonnable entre les parties. En l’espèce, Il existait un tel lien. Le tribunal albertain avait compétence et son jugement devait être reconnu et exécuté en Colombie‑Britannique.

2003 – Beals c. Saldanha

Un tribunal de la Floride rend un jugement par défaut contre les appelants, qui résident en Ontario. Étant d’avis que ce jugement étranger était inexécutoire en Ontario, les appelants n’entreprennent aucune démarche visant à le faire annuler ou à le porter en appel en Floride. Les intimés demandent l’exécution du jugement étranger.

La Cour détermine que le critère du lien réel et substantiel devrait aussi s’appliquer à la reconnaissance et à l’exécution des jugements étrangers, à moins que les législatures n’adoptent des lois prescrivant une approche différente. Elle note que la courtoisie internationale et la prédominance de la circulation et des opérations transfrontalières internationales commandent une modernisation du droit international privé. Quant au dossier dont elle est saisie, la Cour estime que le critère est respecté, alors que les appelants ont conclu une opération immobilière en Floride, laquelle est à la source du litige.

2009 – Société canadienne des postes c. Lépine

Alors que des recours collectifs parallèles ont été intentés en Ontario et au Québec, un tribunal ontarien entérine une transaction liant notamment les résidants du Québec. L’appelante entreprend alors des démarches pour obtenir la reconnaissance du jugement ontarien au Québec. La Cour d’appel du Québec décide que le tribunal ontarien aurait dû décliner compétence quant aux résidants québécois en application de la doctrine du forum non conveniens.

La Cour suprême doit établir si le tribunal québécois saisi d’une demande de reconnaissance de jugements peut prendre en compte la doctrine du forum non conveniens pour établir la compétence de l’autorité étrangère.

Pour la Cour, le fait d’appliquer la doctrine du forum non conveniens est venu ajouter un élément non pertinent dans l’analyse de la Cour d’appel du Québec quant à la compétence du tribunal étranger. Lorsqu’il est question de la reconnaissance d’un jugement étranger, un tribunal québécois n’a pas à se demander comment la Cour d’une autre province ou d’un pays étranger aurait dû exercer sa compétence ni, en particulier, comment elle aurait pu utiliser un pouvoir discrétionnaire de ne pas se saisir de l’affaire ou de suspendre son intervention. En l’espèce, le tribunal ontarien était compétent.

2015 – Chevron Corp. c. Yaiguaje

L’appelante, qui a son siège social aux États-Unis, est condamnée par un tribunal étranger à verser 9,51 milliards de dollars aux intimés en lien avec la pollution environnementale causée par ses activités. Une demande de reconnaissance et d’exécution du jugement étranger est présentée en Ontario contre l’appelante et une filiale canadienne.

La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si l’établissement de la compétence du tribunal exige l’existence d’un lien réel et substantiel entre le défendeur ou le litige et le ressort d’exécution.

La Cour indique que, pour qu’il y ait reconnaissance et exécution d’un jugement étranger, la seule condition préalable est que le tribunal étranger ait eu un lien réel et substantiel avec les parties au litige ou avec l’objet du litige, ou que les fondements traditionnels de la compétence soient respectés. Il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence d’un lien réel et substantiel entre le différend ou le défendeur et le ressort d’exécution.

2019 – Barer c. Knight Brothers LLC

Un tribunal de l’État du Utah rend jugement par défaut contre l’appelant, un résidant du Québec poursuivi à titre personnel en Utah. L’intimée demande la reconnaissance du jugement au Québec.

La Cour doit déterminer si le tribunal de l’Utah était compétent à l’égard de l’appelant en vertu des règles québécoises sur la compétence internationale indirecte dans les actions personnelles à caractère patrimonial.

La Cour détermine que l’appelant a reconnu la compétence du tribunal de l’Utah lorsqu’il a présenté des arguments de fond dans sa requête en irrecevabilité, qui, s’ils avaient été retenus, auraient résolu le litige en tout ou en partie. Pour elle, cette reconnaissance suffit à établir la compétence du tribunal de l’Utah selon les principes du droit québécois en matière de compétence internationale indirecte. Il y a donc un rattachement important entre le litige et l’Utah, de sorte que la reconnaissance du jugement rendu est possible.

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