En 2017, l’une de mes collègues révélait dans un billet de blogue certains cas jurisprudentiels dans lesquels un chauffeur d’autobus avait été agressé par un usager. Depuis les dernières années, les accidents du travail reliés à ces agressions sont malheureusement en hausse.

Selon la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) doit imputer au dossier financier de l’employeur les coûts reliés à tout accident du travail survenu alors que le travailleur était à son emploi.

Il existe toutefois des exceptions. À titre d’exemple, lorsque l’accident du travail est attribuable à un tiers et que cette imputation a pour effet de faire supporter injustement le coût des prestations à l’employeur, la CNESST peut transférer ce coût à tous les employeurs. À cet égard, l’employeur qui souhaite bénéficier d’un tel transfert doit démontrer qu’il a subi une injustice, c’est-à-dire une situation qui n’est pas reliée à ses activités. Les circonstances du fait accidentel peuvent également être analysées afin de déterminer si elles possèdent un caractère extraordinaire, inusité, rare ou exceptionnel.

Décisions intéressantes

Société de transport de l’Outaouais: demande de transfert d’imputation rejetée

Un chauffeur a subi une lésion professionnelle psychologique lorsque le conducteur qui a heurté l’autobus qu’il conduisait est sorti de son véhicule pour l’injurier.

Le Tribunal a d’abord déterminé que cet accident, attribuable à un automobiliste tiers, était relié aux risques de l’employeur.

Il a souligné que, bien que certaines décisions aient considéré que les risques inhérents aux activités de l’employeur ne s’étendaient pas aux non-usagers du transport en commun, il n’y avait pas lieu de faire une telle distinction en l’espèce. En effet, les tâches d’un chauffeur d’autobus relèvent autant des services à la clientèle que de la conduite de son autobus sur la voie publique, ce qui implique des interactions avec des tiers qui ne sont pas des usagers.

Quant aux circonstances de l’événement accidentel, il est certes déplorable qu’un automobiliste frustré invective un chauffeur d’autobus, mais le Tribunal a considéré que cette situation n’était pas exceptionnelle.

L’employeur n’a donc subi aucune injustice.

STM-Réseau des autobus Opération: demande de transfert d’imputation accueillie

Dans ce dossier, un chauffeur d’autobus avait été agressé par 3 usagers intoxiqués qui étaient montés à bord sans payer leur droit de passage, avaient dérangé d’autres passagers et avaient vociféré des injures et des menaces de mort à son égard. L’un de ces usagers récalcitrants a d’ailleurs été arrêté par les policiers, puis condamné pour cette infraction criminelle.

Le Tribunal a jugé que cette situation n’était pas reliée aux activités de l’employeur. En effet, même si la gestion des conflits avec les usagers mécontents fait partie des tâches du travailleur, les actes de violence et les menaces de mort constituent des situations exceptionnelles qui doivent être exclues des risques que doit supporter l’employeur.

L’employeur a donc subi une injustice.

STM-Réseau des autobus Opération: demande de transfert d’imputation accueillie

Un chauffeur d’autobus a subi une lésion professionnelle lorsqu’un usager l’a agressé et est demeuré violent après sa sortie du véhicule.

Selon la description des événements donnée par le travailleur, l’usager, qui semblait intoxiqué, est entré dans son autobus et a commencé à tenir des propos racistes. Après quelques avertissements, le travailleur l’a informé qu’il allait devoir appeler la police. L’usager s’est alors mis en colère et s’est jeté sur le travailleur pour l’attaquer. Il est par la suite sorti de l’autobus et, lorsqu’il a compris qu’il ne pourrait plus entrer dans le véhicule puisque la porte était fermée, il s’est notamment mis à crier et à frapper l’autobus. Le Tribunal a jugé que, pris séparément, ces éléments font partie des risques inhérents aux activités de l’employeur, mais que, considérés dans leur ensemble, ils dépassent le degré de mécontentement auquel les chauffeurs d’autobus doivent faire face dans le cadre de leur travail.

Le Tribunal a conclu que les circonstances particulières dans lesquelles était survenu l’événement étaient exceptionnelles et inusitées et que, en conséquence, l’imputation du coût des prestations au dossier de l’employeur était injuste.

Responsabilité de l’employeur

En somme, la gestion des conflits avec des tiers mécontents constitue un risque inhérent au métier de chauffeur d’autobus. Des circonstances exceptionnelles, notamment un comportement assimilable à une infraction criminelle, peuvent toutefois permettre à un employeur d’obtenir un transfert d’imputation.

Par ailleurs, au-delà de la question de l’imputation, il est important de rappeler l’importance de protéger les travailleurs et les travailleuses de toute cette violence.

À cet égard, la Loi sur la santé et la sécurité au travail prévoit l’obligation de l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection du travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique. Or, le délai à agir de l’employeur ou son laxisme à prendre en charge ses obligations légales pourrait-il servir d’argument afin de prétendre qu’il a lui-même contribué à la survenance de certains accidents du travail ? Un sujet à suivre…

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