Depuis le début de l'année, plusieurs décisions intéressantes ont été rendues par les tribunaux en droit municipal. Dans le présent billet, je vais traiter de celles qui ont retenu mon attention ou qui ont été médiatisées.

Responsabilité

Action collective

Au début de l'année, j'ai rédigé un billet concernant les actions collectives exercées à l'encontre de municipalités à titre de commettantes pour la responsabilité extracontractuelle de leurs policiers. Le profilage racial a aussi fait l'objet d'un texte que j'ai publié en 2022.

Le 3 septembre dernier, dans le contexte d'un action collective exercée contre la Ville de Montréal, la juge Poulin, de la Cour supérieure, a conclu que le phénomène du profilage racial se manifestait au sein du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) depuis de nombreuses années. D'ailleurs, la Ville a reconnu sa responsabilité pour les dommages subis par les victimes de profilage racial commis par ses policiers dans l’exécution de leurs fonctions (art. 1463 du Code civil du Québec (C.C.Q.)).

Toutefois, la Ville a contesté vigoureusement sa responsabilité pour une faute qui lui serait propre. À cet égard, le juge a estimé que:

[11] […] la Ville contribue au phénomène du profilage racial en demandant à ses policiers de faire de la prévention et de procéder à des interpellations, dans un contexte de racisme systémique, où les prédictions des policiers sont nécessairement appelées à reposer sur des biais conscients et inconscients, en appliquant des pratiques susceptibles de cibler de façon particulière les membres de groupes racisés.

[Nos soulignements.]

La Ville a alors porté atteinte à la dignité des personnes racisées qui ont été victimes de profilage racial du fait d’interpellations policières. Ce faisant, elle a manqué au respect des règles de conduite qui s’imposent à elle de façon à ne pas causer de préjudice à autrui (art. 1457 C.C.Q.). Or, dans le contexte d’une intervention policière comportant une application fautive d’une pratique comme celle de l’interpellation, la Ville ne bénéficie d’aucune immunité.

Le tribunal a ordonné un recouvrement collectif pour les membres des groupes racisés qui avaient été interpellés entre le 11 juillet 2018 et le 11 janvier 2019 et dont l’interpellation avait été enregistrée, en excluant les enregistrements d’interpellations résultant d'une intervention de l’escouade Éclipse ou d'un appel au 9-1-1. Ceux-ci ont eu droit à 5 000 $ chacun à titre de dommages moraux.

Quant aux victimes de profilage racial lors d’arrestations, de détentions ou d’interpellations non enregistrées, différents sous-groupes ont été créés et chacune des personnes visées sera invitée à soumettre sa réclamation individuelle et à faire la démonstration qu’elle a été victime d’une intervention en lien avec son appartenance raciale.

Au moment d'écrire ces lignes, ce jugement n'a pas été porté en appel.

Responsabilité extracontractuelle: obligation d'assurer la sécurité du public

Le 15 mai, la Municipalité de Potton a été tenue solidairement responsable, avec un citoyen propriétaire de chiens, des dommages causés à une femme qui avait été mordue par ceux-ci.

Il a été démontré que, en raison de 3 incidents survenus en 2017 et en 2018, des représentants de la Municipalité savaient que les chiens du citoyen en cause étaient agressifs et dangereux et que, au surplus, en vertu de l'article 16 du règlement 2005-332 concernant les animaux, les chiens de type pitbull étaient alors interdits sur le territoire de la Municipalité. Selon le juge Provencher, de la Cour supérieure, il est inconcevable que cette dernière ait décidé de faire fi de ces circonstances et de ne prendre aucune mesure dans le but d'assurer la sécurité du public.

Quant au lien de causalité entre cette faute et les dommages subis, la preuve a révélé qu'une intervention à la suite des incidents survenus en 2017 aurait, selon toute probabilité, démontré que les chiens du citoyen visé étaient hautement agressifs et dangereux et que seules l'euthanasie ou des mesures rigoureuses de contrôle de ces animaux pouvaient permettre d'assurer la sécurité des personnes circulant sur le territoire.

Contrat municipal

Appels d'offres

Dans Municipalité de Mansfield-et-Pontefract c. Location Martin-Lalonde inc., la Cour d'appel a appliqué les principes relatifs à l’examen de la conformité d’une soumission à un appel d’offres d’un organisme public assujetti à la Loi sur les contrats des organismes publics. Cette analyse, qui doit se faire au cas par cas, s’effectue en 2 étapes. Il faut d’abord déterminer si la condition de l’appel d’offres à laquelle la soumission contrevient est une condition essentielle, et ce, en suivant la démarche énoncée dans Tapitec inc. c. Ville de Blainville. Si c’est le cas, il faut ensuite déterminer si l’irrégularité est mineure ou majeure, c’est-à-dire si elle porte atteinte à l’égalité entre les soumissionnaires et à l’intégrité du processus. Seule une soumission non conforme en raison d’une irrégularité majeure relative à une exigence essentielle devra obligatoirement être rejetée par l’organisme public.

Dans cette affaire, l'une des clauses générales de l'appel d'offres public exigeait qu'un soumissionnaire transmette, avec sa soumission: 1) une garantie de soumission de 5 000 $ sous la forme d'un chèque visé, d'une lettre de garantie bancaire ou d'un cautionnement; et 2) une lettre d'engagement garantissant la délivrance par une compagnie d'assurance d'un cautionnement d'exécution de 5 000 $.

La Cour a conclu que, à la lecture des clauses de l’appel d’offres, l’exigence d’une garantie d’exécution était certes essentielle, mais que le soumissionnaire ne devait pas la fournir immédiatement. Puisque, au moment du dépôt de la soumission, seule une lettre d'engagement était requise relativement à la garantie d'exécution, l'omission du soumissionnaire de fournir une lettre disant que la municipalité pourrait conserver le chèque visé à titre de garantie d'exécution si le contrat lui était finalement adjugé était une irrégularité mineure.

La Cour a aussi précisé que, lorsqu'il est démontré que le contrat aurait, selon toute probabilité, été attribué au soumissionnaire disqualifié, les dommages s'évaluent sur la base du profit espéré. Le juge de première instance n'a donc pas erré en concluant que la perte du soumissionnaire correspondait au montant d'un contrat accordé pour une période de 5 ans.

Dans J.F. Sabourin et Associés inc. c. Ville de Gatineau, la Cour supérieure a estimé que, dans le contexte où la Ville de Gatineau n'avait reçu qu'une seule soumission conforme à l'issue d'un appel d'offres public, elle pouvait utiliser le pouvoir prévu à l'article 573.3.3 de la Loi sur les cités et villes pour négocier avec le soumissionnaire la conclusion d'un contrat à prix moindre que celui proposé dans sa soumission.

Vente d'immeuble

Dans le contexte de la vente d'un terrain pour la construction d'une clinique médicale, le juge Ouellet, de la Cour supérieure, a conclu que la Ville de Gatineau n'avait aucune obligation de procéder au moyen d'un appel d'offres. De plus, aucune disposition n'impose à la Ville l'obligation de vendre un bien à sa juste valeur marchande. Il va de soi qu'une vente à vil prix pourrait soulever certaines questions, mais il n'était pas question de cela dans cette affaire.

Selon le juge, la décision de la Ville de vendre le terrain en litige de gré à gré à une somme inférieure à sa juste valeur marchande était une décision de politique générale et, en l'absence de mauvaise foi, cette dernière bénéficiait d'une immunité relative.

Fiscalité

En 2018, la Municipalité de L'Ange-Gardien s’est prévalue des nouvelles dispositions de l’article 1000.1 du Code municipal du Québec pour adopter le règlement 2019-04 sur la taxation des immeubles vacants. Ce règlement a été abrogé et remplacé par le règlement 2021-004, lequel a été lui-même été abrogé et remplacé par le règlement 2021-005. L’objectif de ces 3 règlements était d’imposer une taxe exclusivement sur les immeubles vacants de 10 acres ou plus situés dans les zones visées. Par ailleurs, ces règlements exemptaient les propriétaires d’immeubles vacants de plus de 10 acres utilisés à des fins de carrières ou de sablières de même que les immeubles visés situés en zone agricole.

La Cour d'appel a estimé que la Municipalité était habilitée à imposer une taxe sur une partie de son territoire seulement. Le paragraphe 1 de l'alinéa 5 de l'article 1000.1 du Code municipal du Québec lui permettait de prévoir que des terrains vacants situés dans certains secteurs de son territoire seraient exemptés de cette taxe. Les exonérations réglementaires s'inscrivaient dans un éventail d'issues raisonnables. En effet, elles reposent sur la volonté que les terrains vacants situés dans les zones d’extraction soient exploités sans qu'un fardeau fiscal supplémentaire soit imposé aux carrières et aux sablières, lesquelles sont déjà assujetties à une redevance qui s’ajoute à la taxe foncière. De plus, la Municipalité s’est souciée de la volonté de revitaliser les terres agricoles vacantes et, à cette fin, de ne pas accroître le fardeau fiscal des agriculteurs, de façon à favoriser la redynamisation de ce secteur économique.

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