Voici la suite de notre billet de la semaine dernière, qui vous offre un portrait jurisprudentiel (limité à 1 jugement par mois) du second semestre de 2024.
Juillet
C’est au mois de juillet qu’a été mis en lumière ce dossier dans lequel des jumelles ont intenté une poursuite en réclamation de dommages-intérêts contre leurs parents pour la violence psychologique, verbale, sexuelle et économique subie pendant leur enfance. Il y est notamment question du travail forcé de livraison de journaux auquel elles ont été astreintes dès l’âge de 8 ans.
Les mécanismes de contrôle coercitif par lesquels les 2 parents ont maintenu les demanderesses sous leur emprise constituent une faute civile et une contravention à l'article 39 de la Charte des droits et libertés de la personne.
Le juge a également conclu que les recours des demanderesses étaient imprescriptibles puisque leur préjudice corporel entendu au sens large résulte de la «violence subie pendant l'enfance» au sens de l'article 2926.1 du Code civil du Québec, en vigueur depuis 2020.
La condamnation totale des parents s’élève à 225 364 $.
Août
Ville de Saint-Constant c. Vachon
Dans ce dossier à saveur municipale, la Cour d’appel a déclaré que l’emprisonnement peut être envisagé pour une mesure coercitive en cas de violation d’une ordonnance de faire, mais aussi dans le cas d’une ordonnance de ne pas faire.
Le citoyen a donc été condamné à une peine d’emprisonnement de 30 jours puisqu’il a fait preuve de mépris à l'égard de l'autorité des tribunaux non seulement en contrevenant à plusieurs reprises à l'ordonnance de non-harcèlement, mais aussi en intensifiant la gravité de ses infractions lorsqu'il a agressé physiquement une employée de la municipalité appelante.
Septembre
Bergeron c. Assemblée parlementaire des étudiants du Québec inc.
Dans cette affaire, un étudiant en sciences politiques a porté en appel le jugement rendu par la Cour supérieure ayant déclaré son père, un avocat, inhabile à le représenter dans le cadre du litige qui l'opposait à la société intimée (Assemblée parlementaire des étudiants du Québec inc.) et aux personnes physiques qui étaient membres de son conseil d'administration. Les événements en litige sont survenus en janvier 2023 lors d'une activité de simulation de débats ayant eu lieu dans l'enceinte de l'Assemblée nationale du Québec, dont l'appelant a été expulsé.
La Cour d’appel a rappelé que, à moins de circonstances exceptionnelles, les liens familiaux entre l'avocat et la partie qu'il représente ne constituent pas en soi un motif d'inhabilité. Toutefois, dans ce dossier, selon la Cour d’appel, le manque de distanciation du père de l'appelant a été démontré à ce jour et est appréhendé pour la suite, ce qui permettait à la juge de le déclarer inhabile. En effet, un membre du public raisonnablement informé mettrait en doute sa capacité de distanciation dans le contexte où il doit représenter son fils dans cette délicate affaire. Au surplus, sa fille ainsi que la mère de ses enfants et lui-même, quoique dans une moindre mesure, ont aussi été impliqués.
Octobre
Procureur général du Québec c. Luamba
Dans cet arrêt, la Cour d’appel a déclaré que la règle de droit qui autorise les interceptions routières sans motif requis en dehors de tout programme structuré, édictée à l'article 636 du Code de la sécurité routière, entraîne le profilage racial. Elle viole les articles 9 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et ne peut se justifier au regard de l'article premier.
La Cour affirme que, bien qu'il soit en apparence neutre, l'article 636 crée, par son effet, une distinction fondée sur la race. Dans les faits, cette disposition a une incidence nettement disproportionnée sur les conducteurs noirs par rapport aux autres groupes de conducteurs. La preuve non contredite illustre la façon dont le profilage racial teinte les interventions policières. En outre, la preuve démontre que l'effet préjudiciable causé par l'article 636 du code renforce, perpétue et accentue le désavantage historique et systémique subi par les personnes noires. Le profilage racial a par ailleurs pour effet de perpétuer et de renforcer la discrimination à l'égard de celles-ci.
La réparation appropriée est une déclaration d'invalidité fondée sur l'article 52 (1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
Novembre
Autorité des marchés financiers c. Ordre des comptables professionnels agréés du Québec
L'Autorité des marchés financiers (AMF) et le procureur général du Québec (PGQ) ont porté en appel un jugement ayant déclaré l'article 17.0.1 de la Loi sur l'encadrement du secteur financier inapplicable aux membres de l'Ordre professionnel des comptables professionnels agréés du Québec (CPA). Le juge de première instance a retenu que le troisième alinéa de cet article constituait, au sens de l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne, une «disposition expresse de la loi» autorisant la levée de leur secret professionnel et il a ensuite conclu que cette disposition portait atteinte au droit au respect de la vie privée reconnu aux clients des CPA par l'article 5 de la charte et que le PGQ n'avait pas démontré que cette atteinte était justifiée suivant son article 9.1.
La Cour d’appel conclut que le libellé de l'article 17.0.1 de la loi n'est pas imprécis: il autorise tout professionnel, sauf l'avocat et le notaire, à communiquer à l'AMF, malgré le secret auquel il est tenu, un renseignement pouvant, à son avis, démontrer qu'un manquement à l'une des lois énoncées à l'article 7 de cette loi a été commis ou est sur le point de l'être ou encore qu'il lui a été demandé de commettre un tel manquement. Il s'agit certes d'une «disposition expresse de la loi» au sens de l'article 9 de la charte, laquelle est néanmoins assujettie au test de justification énoncé à l'article 9.1.
Le nouveau mécanisme de protection des dénonciateurs instauré par les articles 17.0.1 à 17.0.5 de la Loi sur l'encadrement du secteur financier s'inscrit dans un régime législatif plus large qui prévoit notamment la surveillance par l'AMF de plusieurs aspects du domaine des services financiers et entraîne nécessairement une diminution importante des attentes raisonnables en matière de respect de la vie privée des personnes et des sociétés qui font le choix d'y exercer leurs activités.
Décembre
Le dernier arrêt de la Cour suprême du Canada de l’année 2024 était un dossier du Québec en matière de protection de la jeunesse.
Dans cette affaire, une adolescente et ses parents avaient déposé devant la Cour du Québec une demande en déclaration de lésion de droits en vertu de l'article 91 alinéa 4 de la Loi sur la protection de la jeunesse.
La Cour supérieure a conclu que les 4 ordonnances contestées de la Cour du Québec outrepassaient les pouvoirs confiés au tribunal par le législateur puisqu'elles visaient d'autres enfants que celle en cause dans le dossier dont le tribunal était saisi. À l'instar du juge de la Cour supérieure, la Cour d'appel a conclu que les ordonnances en question allaient au-delà de la situation de l'enfant visé par les procédures et devaient donc être restreintes.
La Cour suprême affirme que l'analyse de l'économie de la loi tend à démontrer que le législateur n'a pas voulu que le tribunal puisse ordonner des mesures correctrices visant, en tout ou en partie, à protéger les droits et l'intérêt d'enfants en cause dans des dossiers dont il n'est pas saisi, mais qui pourraient se trouver dans la même situation lésionnaire que l'enfant devant lui. Le mandat du tribunal est de rendre justice de manière individualisée et particularisée en fonction de l'intérêt et des droits de l'enfant en cause dans l’affaire dont il est saisi.
Le fait que le tribunal est appelé à rendre justice de manière individualisée et particularisée en fonction de la situation de 1 seul enfant ressort aussi de l'ensemble des dispositions liées à la saisine du tribunal.
Selon la Cour, rien n’indique que le mandat du tribunal a été élargi dans le cadre de la réforme de la loi afin qu'il puisse poser un regard critique sur les enjeux systémiques de la protection de l'enfance et ordonner des mesures correctrices pour réformer le système au bénéfice d'enfants dont les dossiers ne sont pas devant lui.
Voilà qui fait le tour de l’année 2024; nous vous souhaitons de belles découvertes jurisprudentielles en 2025!
Les auteurs du Blogue ne peuvent donner d'opinion ni de conseil juridique relativement aux situations personnelles des lecteurs.
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