Le nombre de victimes de crimes sexuels déclarés a connu une forte hausse au cours des dernières années. D'après le Gouvernement du Québec, dans la province, depuis le début du mouvement #MoiAussi, le nombre de femmes victimes de crimes sexuels déclarés par la police a augmenté de façon importante, passant de 5 251 en 2016 à 10 334 en 2022 (soit une hausse de 97 %). Les femmes sont les principales victimes de cette criminalité. D'après le gouvernement du Québec, en 2022, 86,8 % des victimes étaient des femmes.
Voici une brève présentation de jugements récents qui discutent des peines imposées contre des délinquants reconnus coupables de crimes sexuels. Les peines, pour ce type d’infractions, connaissent depuis quelques années une tendance à la hausse, notamment depuis les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Friesen. Notre présentation portera principalement sur les agressions sexuelles.
R. c. Aubie
Cet arrêt de la Cour d'appel, rendu le 11 décembre dernier, illustre la difficulté qui peut exister quand il s'agit de déterminer s'il faut, dans certains cas, imposer à un délinquant ayant commis un crime sexuel une peine d'incarcération ou une peine à purger dans la collectivité.
Dans cette affaire, la poursuite contestait un jugement de la Cour du Québec ayant prononcé un sursis de peine assorti d'une probation de 3 ans, y compris l'exécution de 100 heures de travaux communautaires, après que l'accusé eut été déclaré coupable d'avoir agressé sexuellement sa conjointe. Au moment du crime, l'accusé, aux prises avec un problème de consommation d'alcool et de drogues, a fait des attouchements à la victime. Celle-ci, qui était enceinte, l'a repoussé en lui indiquant qu'elle ne souhaitait pas avoir de rapports sexuels. L'intimé a insisté. La victime a capitulé et, en pleurant, lui a dit de faire ce qu'il avait à faire. Durant l'agression, lors de laquelle il y a eu pénétration, il arrivait que l'accusé retienne fermement la victime avec ses mains alors qu'elle pleurait.
Les 3 juges de la Cour d'appel partageaient le constat que la peine, qui ne tenait pas adéquatement compte des objectifs de dénonciation et de dissuasion, était manifestement non indiquée.
Le désaccord entre les juges s'est cristallisé autour de la nature de la peine à imposer. Pour les juges Marcotte et Healy, il y avait lieu de considérer l'emprisonnement avec sursis en fonction des conclusions de fait retenues par le juge de première instance, à l'égard desquelles la Cour devait faire preuve de déférence. Le juge de première instance avait souligné les remords sincères exprimés par l'accusé relativement à ses gestes et aux conséquences pour la victime, le rapport présentenciel favorable, et le fait qu'il s'était, après l'infraction, résolument engagé sur le chemin de la réhabilitation. Par ailleurs, pour ces mêmes juges, il faut tenir compte du pardon offert par la victime sans qu’il soit opportun d’en atténuer le sens.
Pour la juge Marcotte: «l’emprisonnement avec sursis est susceptible de préserver l’espoir de réhabilitation de l’intimé et d’encourager sa réinsertion sociale, tout en imposant de sérieuses contraintes à sa liberté qui permettront de réaliser les objectifs correctifs de la peine. De telles contraintes auront, à mon avis, des effets dénonciateur et dissuasif suffisants» (paragr. 95). Ainsi, la Cour a annulé le sursis de peine et a condamné l'accusé à purger une période d'emprisonnement avec sursis de 24 mois moins 1 jour.
Pour le juge Bachand, il y avait plutôt lieu d'imposer une peine d'incarcération de 2 ans moins 1 jour. Par rapport à ses collègues, le juge a accordé un poids moins important aux facteurs favorables à la réhabilitation, soit les efforts effectués par l'accusé pour résoudre ses problèmes de consommation et sa volonté de s'investir dans une thérapie visant à résoudre ses problèmes relationnels. Quant au pardon de la victime, il ne s'agit pas, selon lui, d'un élément militant fortement en faveur d'un allégement de la peine. Selon le juge Bachand, les objectifs de dénonciation et de dissuasion étaient «particulièrement pressants» (paragr. 57) et les facteurs aggravants (dont la gravité de l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, la force employée durant l'agression, l'abus de confiance, la vulnérabilité de la victime et les séquelles importantes qu'elle a subies) dépassaient largement les circonstances atténuantes.
Casavant c. R.
Dans cette affaire, l'accusé, qui avait été déclaré coupable d'agression sexuelle, contestait la peine de 18 mois d'emprisonnement, suivie d'une ordonnance de probation de 24 mois, prononcée par le juge de première instance. L'agression était survenue à l'occasion d'une fête arrosée chez l'accusé. Celui-ci et la victime étaient âgés de 19 ans. L'appelant lui avait offert de dormir dans son lit alors qu'il dormirait ailleurs. Il avait ensuite rejoint la victime dans le lit. Pendant qu'elle dormait, il l'avait agressée sexuellement.
La Cour d'appel met en doute le fait qu'il y ait eu, en l'espèce, un abus de confiance. Cette circonstance aggravante ne s'applique pas à toutes les infractions commises à l'égard de personnes qui se connaissent ou qui font connaissance lors d'une seule occasion. Pour le juge Vauclair, une telle interprétation mènerait à la conclusion que seuls les crimes commis entre de parfaits étrangers n'impliquent aucun abus de confiance. Toutefois, tout en acceptant que le juge de première instance pouvait conclure à l'existence d'une certaine confiance implicite, puisque la victime avait accepté de dormir chez l'appelant après une fête arrosée, et plus particulièrement de s'installer dans son lit, on ne peut dire ici qu'il s'agit d'un «facteur extrêmement aggravant» (paragr. 79).
Il est vrai que, lorsque des personnes vulnérables sont victimes, la dissuasion et la dénonciation doivent recevoir une attention particulière. Si cela rend plus rares les cas où l'emprisonnement ne sera pas la réponse au crime, la possibilité d'une peine dans la collectivité ne peut être écartée. Dans le cas de l'espèce, les facteurs atténuants retenus par le juge (le très jeune âge de l'accusé, l’absence d’antécédents criminels, le risque de récidive presque inexistant, etc.) permettent l'emprisonnement dans la collectivité.
La Cour a donc substitué peine d'emprisonnement avec sursis de 18 mois à la peine prononcée en première instance.
R. c. Rais
Un autre jugement de la Cour du Québec, rendu en novembre, mérite notre attention. Comme l'arrêt précédant, il offre un éclairage intéressant sur la notion d'«abus de confiance». Le juge devait déterminer la peine à imposer à un chauffeur de taxi qui avait agressé sexuellement une étudiante de niveau collégial qui, après avoir passé la soirée dans un bar, était intoxiquée par l'alcool. Une fois arrivé à destination, le chauffeur (l’accusé) a raccompagné la victime à son appartement. Il y est entré et a profité de l'état d’intoxication de la victime pour se livrer à divers attouchements et actes sexuels envers elle. Durant l’agression, la victime communiquait par messages texte avec des proches pour les aviser de la situation. L'agression n'a cessé que lorsque les policiers, alertés, se sont rendus sur les lieux.
Le juge a pris en compte les facteurs aggravants, dont les conséquences psychologiques importantes sur la victime. Il a insisté sur le contexte d'abus de confiance, compte tenu de la position de confiance dans laquelle se trouvent les chauffeurs professionnels. Une agression commise dans ce contexte à des conséquences non seulement sur les victimes, mais aussi sur la collectivité. Comme l'écrit le juge: «C’est pour être reconduit en sécurité que l’on fait appel à un chauffeur. Il y a une attente du public.» (paragr. 59).
Le juge a aussi insisté sur un autre facteur aggravant: l’exploitation de la vulnérabilité de la victime considérant son niveau élevé d’intoxication. Ici, le crime était directement lié à l'état diminué de la victime qui, parce qu'elle était intoxiquée, ne pouvait repousser l'accusé. Le juge a aussi tenu compte des circonstances atténuantes (l’absence d’antécédents judiciaires, le fait que l’accusé est un actif pour la société, son faible risque de récidive et les excuses présentées à la victime qui démontrent une empathie à son égard).
Bien que le processus judiciaire puisse avoir eu un effet dissuasif sur l'accusé, et que son risque de récidive soit faible, pour le juge, la dénonciation et la dissuasion avaient un poids prépondérant en l'espèce. Le juge a écarté la suggestion de la défense d'imposer une peine à purger dans la collectivité:
«L’incarcération est la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement de l’accusé et pour décourager des comportements analogues dans le futur, particulièrement pour les chauffeurs de taxi qui œuvrent auprès d’une clientèle féminine intoxiquée à la sortie des bars.» (paragr. 173).
R. c. Riverin
Dans ce jugement de la Cour du Québec, rendu au mois de novembre de l'année dernière, le juge devait déterminer la peine juste à imposer à un homme de 22 ans (18 à 20 ans au moment des faits), qui avait été déclaré coupable de contacts sexuels commis à l'endroit de jeunes filles âgées de 13 et 14 ans, avec lesquelles il avait noué des liens d'amitié. Il s'agissait essentiellement d'attouchements commis dans l'automobile de l'accusé.
Le juge a tenu compte des facteurs aggravants, dont le fait que l'infraction constitue un mauvais traitement à l'égard d'une personne de moins de 18 ans et un abus de la confiance des victimes, et l'effet important du crime sur ces dernières. Il a bien sûr aussi tenu compte des facteurs atténuants, dont le jeune âge de l'accusé et le rapport prédécisionnel globalement favorable.
Il a par ailleurs pris en compte les limites personnelles de l'accusé. Les diagnostics suivants avaient été établis à l'égard de celui-ci: trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité ainsi qu'avec opposition, impulsivité, trouble du langage, syndrome de Gilles de la Tourette et intelligence limite. Sur ce point, le juge a rappelé que la condition mentale d’un accusé peut constituer une circonstance atténuante en raison d’une culpabilité morale réduite; dans un tel cas, l'accent doit alors être mis sur la réhabilitation et le traitement plutôt que la punition. Il a aussi tenu compte de la couverture médiatique dans cette affaire. Il a par ailleurs estimé que la sentence devait être atténuée, compte tenu des conséquences indirectes découlant des messages négatifs concernant l'accusé qui avaient été publiés sur les médias sociaux.
Le juge a retenu la proposition de la défense d'infliger une peine dans la collectivité, tout en la fixant à 18 mois. Il a reconnu que la jurisprudence postérieure à l'arrêt R. c. Friesen, ne privilégie pas une telle punition pour les crimes sexuels, mais a rappelé que cette possibilité n'était pas exclue. Cette mesure comporte un aspect punitif qui permet l'atteinte des objectifs de dénonciation et de dissuasion. Quant au risque de récidive, même s'il n'est pas nul, il peut être, selon le juge, atténué par des mesures d'encadrement. Une ordonnance de probation d'une durée de 3 ans a également été rendue.
R. c. Potvin-Morin
Dans ce jugement rendu le 15 novembre dernier par la Cour du Québec, le juge devait se prononcer sur le cas d'un accusé qui, un peu plus de 1 mois après avoir atteint sa majorité, a eu des contacts de nature sexuelle (dont une relation non protégée comprenant la pénétration) avec la victime, laquelle était âgée de 13 ans. Le consentement de la victime aux gestes sexuels ne constituant pas une défense recevable, compte tenu de son âge (art. 150.1 du Code criminel (C.Cr.)), l'accusé a plaidé coupable à l'infraction d'agression sexuelle, celle-ci ayant été poursuivie par voie sommaire de culpabilité. Cette infraction prévoit une peine minimale de 6 mois de détention, compte tenu de l’âge de la victime, qui avait moins de 16 ans (art. 271 b) C.Cr.). L'accusé estimait que cette peine était cruelle et inusitée et qu'elle contrevenait ainsi à l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a demandé au tribunal de la déclarer inopérante à son égard et de lui imposer un sursis de peine, ou, à tout le moins, une peine de détention à purger dans la collectivité.
Le tribunal a tenu compte des facteurs aggravants, dont le caractère intrusif des gestes, en notant que la différence d'âge entre l'accusé et la victime était un facteur aggravant, mais dont la gravité était mitigée: si la victime avait eu quelques mois de plus et atteint l'âge de 14 ans, la loi aurait rendu recevable son consentement à l'égard des gestes commis par l'accusé (art. 150.1 (2.1) C.Cr.), ce qui aurait possiblement exclu une déclaration de culpabilité. Il a aussi pris en compte les facteurs atténuants: l'âge de l'accusé, son plaidoyer de culpabilité, l'absence d'antécédents judiciaires et son profil social.
Le juge a déterminé qu'une peine de 12 mois de détention à purger dans la collectivité, accompagnée de l'imposition de travaux communautaires, d'une probation d'une durée de 2 ans ainsi que d'autres ordonnances, constituait une peine appropriée.
Pour le juge, la peine minimale de 6 mois correspondait à une peine «‘‘simplement excessive’’ et non pas ‘‘totalement’’ […] disproportionnée» (paragr. 145). Cependant, la défense a soumis un cas hypothétique:
«Imaginons le cas d’un accusé de 18 ans, sans antécédent judiciaire, qui n’a jamais été en relation amoureuse et qui rencontre un jeune homme de 13 ans. Une relation débute après un certain temps entre les deux individus. L’accusé est un jeune homme plutôt renfermé de type introverti. Ce dernier a récemment fait part à ses amis et à sa famille de son homosexualité. Un soir, il embrasse son copain. La situation est dénoncée par un membre de la famille du jeune homme de 13 ans puisque l’homosexualité n’est pas acceptée au sein de la famille. Une accusation d’agression sexuelle est déposée contre le jeune homme […]» (paragr. 150 c))
Dans une telle situation, une peine de détention de 6 mois paraît exagérément disproportionnée; un sursis de peine incluant un suivi probatoire serait une peine appropriée. Puisqu’une telle situation hypothétique comportait une similarité avec le cas devant lui, le juge a déterminé que la peine minimale de 6 mois violait l'article 12 de la charte. Il l'a donc déclarée inopérante à l'égard de l'accusé. Il a finalement prononcé une peine de 12 mois à purger dans la collectivité.
Les 2 affaires suivantes concernent des gestes autrement plus graves, impliquant nécessairement une peine moins clémente:
R. c. J.C.
Ce jugement, rendu il y a quelques semaines, concernait un père déclaré coupable d’agression sexuelle causant des lésions corporelles et d’agression sexuelle. À l'occasion de l'application d'une crème protectrice sur les parties génitales de sa fille, qui souffrait d'infections urinaires, l'accusé s'est adonné à des agressions sexuelles envers elle. Elle avait alors de 6 à 8 ans. L'accusé lui a ainsi transmis l’herpès.
Les circonstances aggravantes relevées par le juge étaient nombreuses: le mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans, l'abus de confiance et d’autorité ‑ ceux-ci étant ici de la plus grande intensité ‑, l’âge de la victime, le fait que l’infraction a eu un effet important sur celle-ci en raison de sa situation personnelle (étant la fille de l'accusé, la victime est dans un état d'anxiété constant à l’idée de croiser son père), la répétition des gestes, l'importance des lésions corporelles (la victime étant condamnée à vivre avec l'herpès pour le reste de ses jours), etc. Les circonstances atténuantes étaient, quant à elles, peu nombreuses.
Après avoir tenu compte de la fourchette des peines, le juge a conclu que la peine devait être de 10 ans sous le chef d’agression sexuelle causant des lésions corporelles. Une peine concurrente de 5 ans a été imposée pour les agressions sexuelles simples. Au final, l'accusé ayant aussi plaidé coupable d’avoir intercepté des communications privées de son ex-conjointe et d’avoir possédé de la pornographie juvénile, c'est une peine totale de 11 ans d'incarcération qui a été prononcée contre lui.
R. c. Moderie
Finalement, il y a lieu d'aborder un jugement très récent de la Cour du Québec, qui concernait un délinquant ayant reconnu sa culpabilité sous des chefs d'accusation d'agression sexuelle (commises à l'endroit de 9 femmes), de voyeurisme à l'égard des mêmes femmes en plus de 2 autres, et d’administration de soporifiques pour vaincre la résistance. Les faits sont uniques par leur gravité: l'accusé rencontrait les victimes au moyen d’applications de rencontre, les droguait aux benzodiazépines afin de les rendre inconscientes, puis les agressait sexuellement de manière particulièrement dégradante, en leur infligeant des sévices. La plupart des agressions étaient filmées. Le juge, après avoir souligné les dangers extraordinaires de la soumission chimique, a relevé plusieurs facteurs aggravants, dont le nombre de victimes, le fait que l'accusé avait érigé la soumission chimique en système, les conséquences colossales pour les victimes, le mépris de la sécurité physique de celles-ci et, dans certains cas, de leurs enfants, la prédation, le fait que certaines agressions comportaient un degré de violence transcendant la violence inhérente à l’infraction elle-même. La preuve démontrait par ailleurs que le risque de récidive de l'accusé était élevé.
La poursuite a suggéré des peines totalisant 36 ans de détention; compte tenu du principe de la globalité, elle proposait de ramener la peine globale à 25 ans. La défense a plutôt suggéré une peine globale de 15 ans. Le juge a estimé que la suggestion de la poursuite paraissait raisonnable. Le juge a ramené la peine globale imposée à 25 années de détention. Le tribunal a également déclaré l'accusé délinquant à contrôler et a fixé la période de surveillance à 10 années.
Ces quelques jugements permettent de constater la variété des sanctions prononcées par les tribunaux à l'égard des délinquants ayant commis des infractions de nature sexuelle, variété de peines qui est toujours le reflet de la variété des circonstances infractionnelles et des profils des délinquants. On remarque que la question de savoir s’il convient d’infliger une peine d’incarcération ou une peine à purger dans la collectivité à l’égard de certains délinquants demeure souvent épineuse et continue de faire couler beaucoup d’encre.
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