Il y a quelques années, l'une de mes consœurs a publié un billet sur ce que doit savoir un employeur afin d'être préparé à poser les bonnes questions lors de l'entrevue de préembauche, c'est-à-dire des questions qui ne sont pas discriminatoires en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne. En effet, il est important pour un employeur de connaître ses limites juridiques en la matière afin d'éviter de faire face à des condamnations pécuniaires en raison du caractère discriminatoire des questions qu'il pose lors du processus de sélection, comme il en a été fait état dans cet autre billet rédigé par une autre de mes consœurs.
Les décisions citées dans ces 2 billets provenaient en grande partie du Tribunal des droits de la personne. Dans le présent billet, il sera plutôt question de la position de la Section de surveillance de la Commission d'accès à l'information (CAI) en matière de protection des renseignements personnels obtenus dans un contexte de recrutement de personnel, et ce, au moyen d'une courte sélection de plaintes les plus récentes et intéressantes sur le sujet.
Plainte à l’endroit du Marché d’alimentation Marcanio et Fils inc.
Selon la plainte, l'entreprise recueillait, au moyen de différents formulaires, des renseignements tant personnels que financiers. À la suite de la plainte, un analyste-enquêteur a été chargé, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, de faire enquête auprès de l'entreprise.
Il a été constaté, au terme de l'enquête et à la lumière des éléments contenus au dossier, qu'au moment des faits l'entreprise recueillait, au moyen de 3 formulaires, le nom, l'adresse, la date de naissance, le numéro de téléphone, le numéro d'assurance sociale (NAS), le numéro d'assurance-maladie et le numéro de permis de conduire de la personne qui postulait un emploi. Ces renseignements sont personnels et certains d'entre eux sont sensibles, dont les NAS ainsi que les numéros d'assurance-maladie et de permis de conduire.
La CAI a considéré que la plainte était fondée. Or, puisque l'entreprise n'utilisait plus les formulaires à l'origine de la plainte et ne recueillait plus, au moment de la préembauche, les NAS ni les numéros d'assurance-maladie et de permis de conduire, le dossier a été fermé.
Plainte à l’égard de l’Office municipal d’habitation de Montréal
L'Office municipal d'habitation de Montréal (OMHM) collectait, à l'étape de la préembauche, le NAS de tous les candidats à un emploi. Il demandait aussi systématiquement à tous ceux-ci, peu importe la catégorie d'emploi, de consentir à faire l'objet d'une enquête de crédit. Les candidats devaient de plus consentir à ce que l'OMHM puisse contacter «toutes les entreprises, institutions, corporations, associations et anciens employeurs» pour obtenir de l'information à leur sujet.
En cours d'enquête, l'OMHM a indiqué ne plus collecter le NAS à l'étape de la préembauche et a reconnu que certains postes, comme le poste d'agent à la clientèle, ne justifiaient pas une enquête de crédit, car la perception d'argent ne faisait pas partie de leurs responsabilités. Toutefois, il n'a pas pour autant modifié le formulaire intitulé «Autorisation générale» remis aux candidats à l'étape de la préembauche.
La CAI a signifié un avis d'intention quant à la nécessité, à l'étape de la préembauche, de consigner la date de naissance des candidats, de vérifier leur dossier de crédit et de communiquer avec d’autres personnes ou organisations que les 2 références déjà fournies par les candidats. L'avis portait également sur la destruction des NAS recueillis à l'étape de la préembauche.
À la suite de cet avis, l'OMHM a fait parvenir 2 nouveaux formulaires à la CAI en indiquant que ceux-ci «seront signés par les candidats une fois la promesse d'embauche faite».
- L'un visait les emplois pour lesquels les candidats n'auront pas à percevoir d'argent, intitulé «Autorisation générale -- Anciens employeurs».
- L'autre visait les emplois pour lesquels les candidats auront à percevoir de l'argent, intitulé «Autorisation générale -- Anciens employeurs et enquête de crédit».
La CAI a pris acte du fait que l'OMHM soumette le second formulaire uniquement aux personnes postulant les postes de préposé à l'administration et d'agents de relation avec la clientèle, de sorte que ce seront uniquement les personnes recevant une promesse d'embauche pour ces 2 postes qui devront consentir à faire l'objet d'une vérification de crédit. En ce qui concerne la destruction des NAS recueillis en vertu de l'ancien formulaire, la CAI a pris acte du fait que l'OMHM donnera suite à la préoccupation qu'elle avait exprimée à ce sujet dans son avis d'intention.
En somme, la CAI a considéré que les modifications apportées par l'OMHM quant à la collecte de renseignements personnels dans le cadre du processus d'embauche respectaient les exigences de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et a donc fermé le dossier.
Enquête menée à l’égard de la Commission scolaire de Montréal
La CAI a mené, de sa propre initiative, une enquête sur la collecte de renseignements personnels au moyen de 3 formulaires de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), intitulés «Auto-déclaration de santé» et devant être remplis, à l'étape de la préembauche, par les candidats à l'une des catégories d'emploi suivantes:
- Gestionnaires, professionnels et personnel de soutien qui ne sont pas en service direct aux élèves; catégorie visant des postes de secrétaire, de technicien en bâtiment, de technicien transport scolaire ou encore de notaire;
- Enseignants, gestionnaires, professionnels et personnel de soutien en service direct aux élèves; catégorie visant des postes d'éducatrice de service de garde, de préposé aux élèves handicapés ou encore de technicien en écriture braille;
- Personnel de soutien manuel, d'entretien et de services; catégorie visant des postes de conducteur véhicule lourd, de concierge de nuit classe 1 ou encore d'aide générale de cuisine.
La CAI a constaté que les candidats à l'une des 3 catégories d'emploi recevaient par courriel, avec leur avis de convocation pour une première entrevue, un formulaire «Auto-déclaration de santé». Les candidats devaient ensuite le remplir, l'apporter avec eux à l'entrevue et sceller l'enveloppe qui le contenait au moment de remettre le tout au représentant de la CSDM qu'ils rencontraient, et ce, avant que ne débute l'entrevue. Elle a aussi constaté que la CSDM conservait les formulaires remplis par les candidats même s'ils n'étaient pas retenus pour l'emploi qu'ils avaient postulé.
Sur la mise en garde du formulaire, il était précisé que le candidat devait répondre à toutes les questions pour que sa candidature soit prise en considération, ou encore que «[le] questionnaire médical préemploi a[vait] pour objectif de s'assurer que [leur] état de santé est compatible d'une part, avec les exigences de l'emploi et d'autre part, avec une prestation normale et régulière de travail».
Au terme de son enquête, la CAI a transmis à la CSDM un avis d'intention l'informant qu'elle pourrait conclure que cette dernière ne respectait pas la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels en recueillant sur les formulaires en cause, à l'étape de la préembauche, des renseignements personnels qui ne sont pas nécessaires à l'exercice de ses attributions, au sens de l'article 64 de la loi. Elle l'a également informé des ordonnances qu'elle pourrait rendre, le cas échéant, à savoir:
- De cesser de collecter des renseignements personnels non nécessaires au sujet des personnes qui postulent un emploi, notamment au moyen des formulaires «Auto-déclaration de santé»;
- De détruire les renseignements personnels non nécessaires recueillis au moyen de ces formulaires au sujet des personnes qui ont postulé un emploi, que leur candidature ait été retenue ou non.
La CSDM a répondu à la CAI en faisant référence à un recours intenté contre elle par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). Celle-ci avait demandé à être autorisée à agir à titre de représentante afin d'exercer une action collective portant sur «l'utilisation systématique et automatique, par la CSDM, d'un questionnaire médical préembauche pour toutes les personnes qui posent leur candidature pour un emploi au sein de la CSDM». Le questionnaire en cause était le même que celui à l'origine de l'enquête menée par la CAI.
La CSDM ayant cessé d'utiliser les 3 formulaires visés par l'enquête de la CAI, l'analyse de cette dernière quant à la nécessité des renseignements personnels ainsi recueillis n'a plus eu lieu d'être. Par ailleurs, comme les formulaires étaient visés par le recours intenté par la CDPDJ et qu'ils devaient demeurer au dossier jusqu'à la fin de l'instance, la CAI n'a pas ordonné, dans ces circonstances, leur destruction. Toutefois, elle s'est réservé le doit de réexaminer la possibilité d'ordonner leur destruction au terme du recours.
Plainte à l'endroit de Revenu Québec
Un plaignant a reproché à l'organisme Revenu Québec notamment de colliger le NAS et la date de naissance auprès des candidats à un emploi au moment de la préembauche. Il importe de noter que l'organisme recueillait également les antécédents judiciaires de ceux-ci.
La CAI a procédé à une enquête qui lui a permis de constater notamment les éléments suivants:
- Lorsqu'un candidat est sélectionné et retenu pour l'emploi et qu'il n'a jamais été employé par Revenu Québec, il doit indiquer son NAS et sa date de naissance sur le formulaire de demande de main-d'œuvre approprié;
- L'organisme possède des politiques et des directives internes sur la confidentialité et d'autres qui prévoient la tenue d'une enquête préemploi pour les candidats qui sont sélectionnés par le gestionnaire à l'embauche. Cela concerne tous les types d'emplois qui nécessitent l'application de l'article 47 de la Loi sur l'Agence du revenu du Québec;
- L'organisme recueille le NAS afin d'effectuer une enquête sur un candidat sélectionné pour effectuer des recherches dans ses systèmes et vérifier si celui-ci a commis, entre autres choses, une infraction fiscale qui serait incompatible avec l'emploi.
Après analyse, la CAI a conclu que Revenu Québec avait démontré que la collecte du NAS et de la date de naissance des candidats sélectionnés pour un emploi était nécessaire pour vérifier les antécédents en application de l'article de loi précité. Ainsi, la plainte a été jugée non fondée.
Plainte à l'endroit de la Société de transport de Montréal
La plainte portait sur la collecte de renseignements médicaux dans le processus d'embauche par l'organisme Société de transport de Montréal (STM). Le plaignant a soutenu que la collecte de tels renseignements, auprès de son médecin, en lien avec sa dépression et son trouble d'anxiété n'était pas nécessaire à l'évaluation de sa candidature à titre de chauffeur d'autobus.
L'enquête de la CAI a porté sur la plainte, mais aussi sur les pratiques de la STM en lien avec la collecte et la gestion des renseignements personnels dans un contexte de préembauche. La CAI a pu faire les constatations suivantes:
- Les candidats présélectionnés en entrevue d'embauche devaient se présenter au Bureau de santé pour remplir un questionnaire médical et rencontrer une infirmière ou un médecin, le cas échéant;
- Les renseignements de santé étaient recueillis directement auprès du candidat et, si d'autres renseignements médicaux étaient requis par le médecin, le consentement du candidat était obtenu sur un formulaire à cet effet;
- Pour un emploi de chauffeur d'autobus, l'organisme devait évaluer si le candidat possédait certaines aptitudes et qualités requises pour ce poste, dont, notamment, les suivantes:
- capacité auditive et visuelle;
- stabilité émotive;
- vigilance, capacité de concentration, capacité de s'adapter au stress;
- coordination des mouvements et précision dans les gestes.
Il est ressorti de l'enquête qu'une maladie impliquant un arrêt de travail pour anxiété est une condition médicale dont la stabilité des symptômes actuels doit être évaluée pour que quelqu'un soit jugé apte à conduire un autobus. Ainsi, l'organisme se devait de vérifier si le problème était récurrent et si la situation était stabilisée, ainsi que l'exige le Règlement relatif à la santé des conducteurs, adopté en vertu du Code de la sécurité routière, et auquel est assujettie la STM.
La CAI a donc fermé le dossier puisque l'enquête a démontré que seuls les renseignements médicaux nécessaires à l'évaluation d'un candidat à un poste de chauffeur d'autobus avaient été recueillis, et ce, dans le respect de la réglementation applicable à cet égard.
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À la lecture de ces quelques plaintes, on peut constater que ce qui guide souvent la Section de surveillance de la CAI dans le traitement de plaintes en matière de protection de renseignements personnels dans un contexte de préembauche est le critère de la nécessité de la cueillette de ces renseignements, lequel est prévu à l'article 64 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et à l'article 5 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Dans un tel contexte, ce critère vise à minimiser l'atteinte à la vie privée en limitant la collecte de renseignements personnels aux seuls renseignements nécessaires à l'évaluation des aptitudes d'un candidat pour un emploi.
Il arrive aussi à la CAI de faire référence, entre autres choses, à la notion de «renseignements sensibles», prévue à l'article 59 alinéa 3 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et à l'article 12 alinéa 4 paragraphe 2 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Or, il est facile de constater que ses positions dépendent beaucoup du contexte factuel et que d'autres dispositions législatives peuvent entrer en jeu.
À la lumière de cette brève revue de récentes plaintes traitées par la Section de surveillance de la CAI, il reste à savoir si celle-ci saisira l’occasion, le moment venu, d'énoncer des balises juridiques plus claires et structurées en matière de collecte responsable de renseignements personnels dans le cadre du recrutement de personnel. Il faudra suivre avec attention les prochaines interventions de la CAI sur le sujet…
Pour en savoir plus:
Recrutement de personnel et respect de la vie privée | Commission d’accès à l’information du Québec
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