Récemment, la Commission des normes, de l'équité, et de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a publié un document intitulé Portrait des jeunes travailleuses et travailleurs de 24 ans et moins (2023). On y trouve, entre autres choses, des données démographiques et de l'information sur les lésions, les décès et les demandes déposées concernant les normes du travail. Dans l'introduction de ce même document, on peut lire le passage suivant:
«En tant qu'organisme responsable de l'administration des lois du travail, la Commission […] est consciente des enjeux propres aux jeunes travailleuses et travailleurs et multiplie les actions d'information et de sensibilisation afin de s'assurer que ces derniers puissent évoluer dans des environnements de travail sains, sécuritaires et respectueux des normes du travail et de l'équité salariale.
Les jeunes de 24 ans et moins sont une clientèle prioritaire pour la CNESST. Ces jeunes sont particulièrement à risque d'avoir un accident du travail, notamment parce qu'ils présentent une mobilité élevée en emploi et qu'ils se retrouvent souvent dans une position de "nouveau travailleur". Ce faisant, ils sont moins familiers avec les méthodes et l'environnement de travail, tout comme les risques qu'ils comportent.» (page 2)
Dans une décision récente, le Tribunal administratif du travail (TAT) a mis en lumière l'importance d'une bonne communication entre la CNESST et les jeunes travailleurs.
Les faits
Une jeune travailleuse produit une réclamation à la CNESST, alléguant s'être blessée dans le cadre de son travail dans un dépanneur. La CNESST refuse sa réclamation. La travailleuse demande la révision de cette décision, mais à l'extérieur du délai de 30 jours prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Sa demande de révision ayant été rejetée, la travailleuse se tourne donc vers le TAT.
Dans un premier temps, le TAT rappelle qu'il est important de tenir compte de l'âge de la travailleuse au moment de l'événement. En effet, celle-ci vient tout juste d'avoir 17 ans. Dans un second temps, le TAT effectue un bref survol des faits. Il constate que, lors de la première consultation médicale, la médecin avise la travailleuse qu'elle va s'occuper de transmettre les informations à la CNESST pour ouvrir son dossier. Elle l'informe également que, si sa réclamation est acceptée, elle sera indemnisée, alors que, dans le cas contraire, elle ne recevra rien. La travailleuse ne remplit pas de formulaire de réclamation. Tout ce que la CNESST reçoit, c'est le formulaire d'attestation médicale rempli par la médecin. Même si elle ne travaille plus au dépanneur, la travailleuse constate qu'elle reçoit toujours des sommes de son employeur. Elle pense alors que ces sommes sont en lien avec sa réclamation à la CNESST. Elle croit que sa réclamation a été acceptée et qu'elle n'a plus besoin d'effectuer d'autres démarches. Quelque temps après, la travailleuse reçoit une lettre de la CNESST lui réclamant la somme de 427,39 $. Il s’agit de la première lettre qu’elle reçoit de l'organisme depuis l'événement survenu à son travail. Après avoir rapidement pris contact avec la CNESST, la travailleuse finit par comprendre que la CNESST a refusé sa réclamation, mais qu'elle n'a jamais reçu la lettre de refus. À la suite de la réception d'une copie de la décision, elle en demande la révision, laquelle demande sera rejetée puisqu'elle est hors délai. Tenant pour acquis que la demande de la travailleuse ne respecte pas le délai, le TAT va se pencher sur l'existence d'un motif raisonnable qui pourrait expliquer le retard de la travailleuse.
La conclusion
Après une analyse des faits, le TAT va retenir que la version de la travailleuse démontre l'absence de démarche proactive de la CNESST auprès de celle-ci, malgré le fait qu'elle soit d'âge mineur. Il constate que la CNESST ne la contacte pas afin d'obtenir sa version de l'événement accidentel, se fondant plutôt sur la version écrite et détaillée de l'employeur pour refuser la réclamation. Il remarque également que la CNESST n'avise pas la travailleuse qu'une décision de refus va être rendue, pas plus qu'elle ne communique avec les parents de celle-ci. Pour le TAT, la démarche de la CNESST pose problème:
[26] Cette absence d’assistance par la Commission ne serait pas problématique chez un adulte habitué à interagir avec l’organisation gouvernementale, mais il faut tenir compte qu’il s’agit d’une étudiante âgée de 17 ans qui n’a pas encore complété son secondaire 5 lorsque ces événements surviennent.
[nos soulignements]
Par ailleurs, le juge reconnaît également que la situation familiale de la travailleuse a pu jouer un rôle dans le fait qu'elle n'a jamais reçu la lettre de refus de la CNESST:
[28] Le Tribunal retient que la travailleuse ne bénéficiait pas du support parental attendu dans la gestion d’une telle situation. Plusieurs situations personnelles de la vie familiale de la travailleuse, impliquant ses parents et ses sœurs, ont certainement affecté la travailleuse ainsi que l’aide familiale attendue pour une adolescente de 17 ans. Ses éléments ont même encouragé la travailleuse à quitter la maison familiale à l’été 2023, alors qu’elle est toujours mineure.
[nos soulignements]
De l'avis du TAT, la situation de la travailleuse prise dans son ensemble constitue un motif raisonnable qui permet d'expliquer son retard à demander la révision de la décision de la CNESST. De plus, le TAT souligne que celle-ci a toujours démontré son intention de contester la décision et que son comportement ne peut être qualifié de négligent. Il ajoute que la CNESST a manqué à ses obligations procédurales prévues à la Loi sur la justice administrative, notamment à celle que l'on trouve à son article 6:
6. L’autorité administrative qui, en matière d’indemnité ou de prestation, s’apprête à prendre une décision défavorable à l’administré, est tenue de s’assurer que celui-ci a eu l’information appropriée pour communiquer avec elle et que son dossier contient les renseignements utiles à la prise de décision. Si elle constate que tel n’est pas le cas ou que le dossier est incomplet, elle retarde sa décision le temps nécessaire pour communiquer avec l’administré et lui donner l’occasion de fournir les renseignements ou les documents pertinents pour compléter son dossier.
Elle doit aussi, lorsqu’elle communique la décision, informer, le cas échéant, l’administré de son droit d’obtenir, dans le délai indiqué, que la décision soit révisée par l’autorité administrative.
[nos soulignements]
Le TAT déclare donc la demande de révision de la travailleuse recevable, laquelle demande pourra être entendue sur le fond de sa contestation.