Les articles 515.1 à 515.4 du Code de procédure civile (C.P.C.) sont entrés en vigueur le 4 juin 2025 avec l'adoption de la Loi visant à contrer le partage sans consentement d'images intimes et à améliorer la protection et le soutien en matière civile des personnes victimes de violence (le «projet de loi 73», sanctionné le 4 décembre 2024, et maintenant devenu loi (L.Q. 2024, c. 37)). Ces dispositions sont notamment venues élargir la portée de l'ordonnance de protection par rapport à ce qui était prévu à l'ancien article 509 C.P.C. et elles ont déjà été abordées dans quelques jugements au cours des derniers mois.
Le droit applicable
Avant le 4 juin 2025, l'article 509 C.P.C. se lisait ainsi:
509. L’injonction est une ordonnance de la Cour supérieure enjoignant à une personne […] de ne pas faire ou de cesser de faire quelque chose ou d’accomplir un acte déterminé.
Une telle injonction peut enjoindre à une personne physique de ne pas faire ou de cesser de faire quelque chose ou d’accomplir un acte déterminé en vue de protéger une autre personne physique dont la vie, la santé ou la sécurité est menacée. Une telle injonction, dite ordonnance de protection, peut être obtenue, notamment dans un contexte de violences, par exemple de violences basées sur une conception de l’honneur. L’ordonnance de protection ne peut être prononcée que pour le temps et aux conditions déterminés par le tribunal, et pour une durée qui ne peut excéder trois ans.
[…]
Le projet de loi 73 visait à élargir la portée d'une ordonnance de protection afin qu’elle puisse être utilisée en vue de protéger une personne craignant que sa vie, sa santé ou sa sécurité ne soit menacée, notamment à cause d’un contexte de violence, à simplifier la procédure applicable à une demande d'ordonnance de protection et à rendre inapplicables les dispositions concernant l'outrage au tribunal à l'ordonnance de protection afin que les sanctions du Code criminel s'appliquent à toute contravention à celle-ci.
L'article 515.1 C.P.C. se lit ainsi:
515.1 L’ordonnance de protection est une ordonnance enjoignant à une personne physique de ne pas faire ou de cesser de faire quelque chose ou d’accomplir un acte déterminé en vue de protéger une autre personne physique qui craint que sa vie, sa santé ou sa sécurité ne soit menacée, notamment en raison d’un contexte de violence basée sur une conception de l’honneur, de violence familiale, conjugale ou sexuelle, d’intimidation ou de harcèlement.
[…]
Une lecture des 2 dispositions permet de voir que le critère permettant de rendre une ordonnance de protection n'est plus celui plus exigeant de la menace à la vie, à la santé ou à la sécurité de la victime, mais plutôt celui de la crainte d'une menace, laquelle s'évalue en fonction d'un critère objectif et d'un autre, subjectif.
Jurisprudence
Dans Brassard-Roy c. Poirier, un locataire demande qu'une ordonnance de protection soit rendue contre son locateur dans un contexte où la relation entre les parties s'est détériorée à un point tel que des plaintes criminelles ont été déposées de part et d'autre pour harcèlement.
La juge Elif Oral conclut que le «demandeur a échoué à démontrer, de manière prépondérante, une crainte subjective pour sa vie, sa santé ou sa sécurité en raison des agissements du défendeur» (paragr. 60) [nos soulignements]. Entre autres choses, elle note que c'est généralement le demandeur qui a provoqué le défendeur, avec ses propos impulsifs, colériques et démesurés. Par ailleurs, depuis que les parties ont souscrit des promesses de ne pas communiquer l'une avec l'autre, il a été établi que leur relation s'est apaisée, de sorte que toute crainte momentanée qui aurait pu se manifester chez le demandeur au regard du comportement du défendeur est maintenant dissipée.
Dans Droit de la famille - 251279, une conjointe de fait qui a été victime de violence conjugale pendant la vie commune demande qu'une ordonnance de protection soit rendue.
Pour la juge Janick Perreault, la crainte de la demanderesse est flagrante. Elle vit dans la peur que le défendeur ne trouve sa nouvelle adresse et ne s'y présente pour s'en prendre à elle. Malgré son endettement, elle a acheté et fait installer des caméras partout autour de sa maison ainsi qu'un système d'alarme pour être certaine que la police sera rapidement avisée s'il arrive quelque chose. Dans ces circonstances, il y a lieu de rendre l'ordonnance recherchée — l'interdiction pour le défendeur d'obtenir l'adresse de la demanderesse, de se présenter chez elle à moins de 200 mètres, de la harceler, de l'importuner ou de tenter de la contacter — pour une période de 3 ans.
Dans Carrier c. Hébert, le demandeur est accusé par la défenderesse de l'avoir agressée sexuellement ou d'avoir participé à une telle agression et d'être impliqué dans un réseau de trafic sexuel de mineures dont elle aurait été victime alors qu'elle était adolescente. Les publications en ligne de la défenderesse ont été partagées par des milliers d'utilisateurs et ses vidéos ont été visionnées à des dizaines de milliers de reprises. En outre, la défenderesse n'a pas respecté les ordonnances qui lui enjoignaient de retirer et de cesser ses publications. Le demandeur demande qu'une ordonnance de protection soit rendue à son bénéfice et à celui de ses avocats.
La juge Katheryne A. Desfossés retient tout d'abord que, à la lumière de la preuve sommaire soumise, les propos et publications de la défenderesse sont manifestement diffamatoires et impossibles à justifier. Elle note ensuite que les personnes à protéger craignent que leur vie, leur santé ou leur sécurité ne soient menacées. En effet, le demandeur et ses avocats reçoivent des menaces directes ou sous-entendues par des propos imprévisibles de tiers, et leur crainte dépasse la simple inquiétude ou le sentiment d'inconfort. Toute personne raisonnable placée dans la même situation craindrait pour sa vie ou sa sécurité. Le fait que la présence de la défenderesse et des nombreuses personnes qui l'accompagnent systématiquement au tribunal oblige la mise en place de mesures de sécurité accrues au palais de justice en est l'illustration. La juge conclut aussi que la défenderesse est l'auteure du contexte de violence en cause, alors que ses multiples publications et propos visent à porter atteinte à l'honneur du demandeur, de ses avocats ou du système judiciaire et que ses attaques répétées suscitent chez ses abonnés et certains membres du public de la haine et de la violence. Au stade provisoire, la juge ordonne que, pour une période de 10 jours, la défenderesse devra retirer et cesser ses publications concernant le demandeur et ses avocats, elle ne devra pas se présenter aux bureaux ou aux domiciles du demandeur ou de ses avocats ni demander à un tiers de le faire à sa place et elle ne devra pas se trouver à moins de 50 mètres du demandeur ou de ses avocats ni demander à un tiers de le faire à sa place.
Dans Takacsy c. Cushing, les demandeurs, qui ont fait construire une résidence sur un terrain voisin de celui du défendeur, qui est aussi l'oncle de la demanderesse, invoquent le comportement harcelant et intrusif de ce dernier pour demander une ordonnance de protection.
La juge Lysanne Cree se dit convaincue que les craintes des demandeurs pour leur sécurité, de même que pour celle de leurs enfants et de leur chien, sont justifiées. Elle note que le défendeur fait preuve d’un mépris total et d’un manque de respect absolu envers leur vie privée et leur propriété, que ce comportement s’est poursuivi et intensifié malgré les demandes répétées de les arrêter et que le harcèlement permanent subi par les demandeurs doit cesser. Elle rend donc une ordonnance de protection de ces derniers, de leurs 3 enfants et elle y inclura le chien de la famille.
Enfin, dans Droit de la famille - 251674, une ex-épouse, qui a fait l'objet de violence physique, sexuelle, verbale et psychologique ainsi que de contrôle coercitif pendant son mariage, réclame qu'une ordonnance de protection soit rendue.
Pour la juge Janick Perrault, les faits exposés par la demanderesse et l'ensemble de la preuve administrée militent en faveur d'une ordonnance de protection pour elle et ses enfants mineurs. Sans cette ordonnance de protection civile, ceux-ci «continueront à vivre dans un état de crainte qui les empêchera de panser leurs blessures et d'éventuellement vivre sereinement» (paragr. 177). Étant donné l'âge des enfants mineurs, l'ordonnance sera rendue pour une période de 5 ans, soit la durée maximale permise. Ce délai donnera à la fille de 14 ans des parties le temps d'atteindre la majorité et permettra à leur fils de 9 ans de gagner en maturité.