Le 1er juillet, au Québec, on déménage! Depuis toujours? Non, il semblerait que l’idée d’une journée de déménagement ne date pas d’hier, mais qu’elle ait d’abord été fixée au 1er mai, une date peu pratique pour terminer l’année scolaire, d’où le fait que la date de fin des baux a été repoussée du 30 avril au 30 juin il y a quelques décennies. Il ne s’agit toutefois pas d’une obligation légale; aussi, selon ce que rapportaient des déménageurs l’été dernier, cette tradition serait portée à disparaître. Choisir de déménager pour se reloger dans un logement plus grand ou plus petit, selon ses besoins ou ses moyens, est une chose mais, lorsqu’il y a utilisation de différentes stratégies, rénoviction ou reprise de logement de mauvaise foi, c’est autre chose.
Dans un billet portant sur la reprise de logement rédigé en 2019, ma consœur, Me Julie Pomerleau, a mentionné que, dans le cas d’une reprise de mauvaise foi, un locateur pouvait notamment faire l’objet d’une condamnation pour des dommages punitifs s’élevant à quelques milliers de dollars. Au cours des dernières années, des locateurs ont été sanctionnés par le Tribunal administratif du logement (TAL) pour de tels agissements et il n’est plus rare de voir des condamnations s’élever jusqu’à quelques dizaines de milliers de dollars comme l’illustrent certaines des décisions mentionnées dans ce billet.
Rénoviction
Dans l’affaire Ainsworth c. IF Realties, la locataire, qui s’était retrouvée sans domicile fixe de juillet à novembre 2018, affirmait «avoir été victime de “rénoviction” car, après son départ, le logement, qu’elle chérissait tant, a été rénové, sans être agrandi, pour être reloué à un loyer nettement plus élevé» (paragr. 19). Le TAL a estimé que le fait que la locataire avait signé une entente de résiliation de bail ne rendait pas irrecevable sa demande en dommages-intérêts pour éviction de mauvaise foi. Après avoir conclu que la locatrice avait sciemment mis fin au droit au maintien dans les lieux de la locataire en lui transmettant un avis d'éviction qu'elle savait illégal, le TAL l’a notamment condamnée à lui verser la somme de 40 000 $ à titre de dommages punitifs.
Stratégie visant à provoquer le départ de la locataire
Dans une autre affaire, où les parties ont finalement conclu une entente résiliant le bail, le TAL a retenu que les agissements du locateur s'inscrivaient dans une stratégie visant à provoquer le départ de la locataire. Il a conclu que cela constituait du harcèlement au sens de l'article 1902 du Code civil du Québec et il a condamné le locateur à payer à cette dernière la somme de 4 000 $ à titre de dommages punitifs et de 2 500 $ en dommages moraux. Le TAL a notamment pris en considération le fait que le locateur avait créé des nuisances sonores excessives pour incommoder la locataire: «Alors que ce problème n'existait pas auparavant, le locateur a commencé à générer délibérément du bruit excessif, notamment en utilisant son chien» (paragr. 54).
Compte tenu du manquement du locateur à son obligation de garantir à la locataire la jouissance pleine et entière de son logement, celle-ci a également eu droit à une diminution totale de son loyer de 450 $
Évacuation temporaire
Dans un autre dossier, la locatrice a notamment été condamnée à verser une somme de 5 000 $ à titre de dommages moraux et de 15 000 $ en dommages punitifs. Le juge administratif a tenu à mentionner que:
«En se servant de l’évacuation temporaire de la locataire du logement pour tenter de l’expulser de façon permanente, la locatrice commet une faute grave.» (paragr. 92)
Et il a tenu à préciser l’importance de sensibiliser les acteurs du marché locatif au fait qu’il ne s’agissait pas d’une pratique acceptable et que les conséquences seraient sévères, dans le cadre d’un verdict relativement à ce type de geste. Il a souligné que: «Le prétexte de l’évacuation temporaire pour tenter d’obtenir l’expulsion permanente d’un locataire s’apparente à la pratique connue sous le terme de “rénoviction” […] qui doit être proscrite du milieu locatif» (paragr. 93).
Refus de réintégrer le locataire dans son logement
Plus récemment, dans une autre affaire, un locateur a été condamné à verser une somme de 15 000 $ en dommages moraux et de 40 000 $ en dommages punitifs. Le TAL a retenu que le locateur n’avait pas permis le retour du locataire au logement et qu’il avait exigé une augmentation de plus du double en loyer. Il a conclu que le locateur avait manqué à son «obligation de se conduire de bonne foi en utilisant un recours factice pour obtenir le départ du locataire et en ne respectant pas l’entente intervenue pour ensuite lui nier un retour au logement» (paragr. 30).
Spéculation immobilière
Dans une autre décision, le TAL a donné gain de cause à la locataire, qui alléguait que le père de la locatrice n'avait pas habité le logement et qu'elle avait plutôt été victime d'une éviction justifiée par la spéculation immobilière des locateurs. Le TAL a retenu que la preuve provenant notamment du compte Instagram des locateurs démontrait que ceux-ci n'avaient pas l'intention de reprendre le logement aux fins annoncées et que cela révélait plutôt une négligence et une insouciance à l'égard des droits d'autrui assimilables à de la mauvaise foi. Les locateurs ont, en conséquence, été condamnés à verser 14 438 $ à la locataire à titre de dommages matériels, de dommages moraux et de dommages punitifs.
Immeuble converti en copropriété divise (condominums)
Dans 2 dossiers réunis, le TAL a retenu que, à la suite du processus de reprise des logements, l’immeuble en cause avait fait l’objet de ventes multiples de parts indivises et qu’il avait, par la suite, été converti en copropriété divise au bénéfice de nouveaux acheteurs par la simple publication d’une déclaration de copropriété divise au registre foncier, sans avoir au préalable obtenu l’autorisation du TAL. Tout en relevant qu’il était mentionné à l’acte publié que «l’immeuble n’[avait] pas été loué au cours des dix (10) dernières années contrairement à la réalité» (paragr. 53). Après avoir rappelé que le locateur devait «procéder à la reprise du logement en personne responsable et soucieuse de respecter les normes de conduite généralement admises et agir, ainsi, tout au long du processus de reprise» (paragr. 84), le TAL a conclu que la reprise des logements avait été exercée «pour d’autres fins que celles annoncées aux locataires et conséquemment, la mauvaise foi du locateur [était] établie» (paragr. 110) et que le locateur avait engagé «sa responsabilité en agissant de façon intentionnelle et illicite pour obtenir le départ des locataires, bafouant ainsi leur droit au maintien dans les lieux» (paragr. 111). Il a notamment été condamné à verser une somme de 50 000 $ aux locataires touchés à titre de dommages punitifs.
Conclusion
Pour trouver d’autres illustrations jurisprudentielles en matière de logement, je vous invite à consulter le site du Tribunal administratif du logement, qui présente de courts résumés de décisions, notamment sur la fin et le renouvellement du bail. Par ailleurs, si le sujet vous intéresse en tant que locataire, vous pourriez également trouver des informations pertinentes sur JuridiQC.
Merci..