La Cour d’appel a récemment remis les pendules à l’heure relativement à l’exercice du droit de retour au travail d’un salarié syndiqué victime d’une lésion professionnelle ayant entraîné des limitations fonctionnelles permanentes qui l’empêchent de réintégrer son emploi prélésionnel (ou un emploi équivalent) dans le contexte où l’emploi convenable déterminé par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) n’est pas disponible chez l’employeur (Université McGill c. McGill University Non Academic Certified Association (MUCANA)).

Le régime d’indemnisation sans faute édicté à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) vise à indemniser les travailleurs victimes d’une lésion professionnelle ainsi qu’à assurer leur réadaptation et, si possible, leur retour au travail chez l’employeur ou, à défaut, ailleurs sur le marché. Ce régime est d’ordre public. Son administration et son application sont confiées, à quelques exceptions près, en exclusivité à la CSST et, lorsque les décisions de celle-ci sont contestées, à la Commission des lésions professionnelles (CLP).

L’article 4 LATMP permet cependant aux parties à une convention collective d’y prévoir des mesures plus favorables que ce qu’édicte la loi, notamment «en matière de retour au travail» (Université McGill, paragr. 58).

Lorsque la convention impose à l’employeur des obligations plus lourdes que celles prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en matière d’emploi convenable, tout désaccord sur l’interprétation et l’application de ces dispositions se résoudra par la voie du grief et celle de l’arbitrage, conformément aux articles 100 et ss. du Code du travail.

Un arbitre de griefs ne peut cependant remettre en cause les déterminations faites par la CSST ou la CLP (limitations fonctionnelles, capacité d’exercer l’emploi prélésionnel, emploi convenable, etc.). Il doit se préoccuper uniquement de la mise en œuvre de ces déterminations dans le contexte de l’exercice du droit au retour au travail régi par les articles 234 et ss. LATMP et dont les paramètres ont été établis par la CSST et la CLP.

Dans Université McGill, le débat tournait autour de l’interprétation et de l’application de la clause suivante : «Le salarié qui redevient capable de travailler, mais qui demeure avec une limitation fonctionnelle permanente l’empêchant d’occuper le poste qu’il occupait antérieurement est replacé, sans affichage, à un autre poste que son état de santé lui permet d’occuper, compte tenu des postes disponibles à combler».

Le syndicat a fait valoir que cette clause était plus avantageuse pour le plaignant que ce que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit pour un travailleur dans sa situation. En désaccord avec cette prétention, l’arbitre Bergeron a décliné compétence. Sa sentence arbitrale a été jugée déraisonnable tant par le juge Sansfaçon, de la Cour supérieure, que par les juges Bich, Pelletier et Émond, de la Cour d’appel.

  • La question de décider si la convention collective à l’étude contient une disposition plus avantageuse que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour le salarié et, le cas échéant, la mise en oeuvre de cette disposition relèvent de la compétence de l’arbitre. La norme de contrôle applicable à cet égard est celle de la décision raisonnable.
  • Le motif avancé par l’arbitre Bergeron au soutien de son interprétation de la clause à l’étude repose essentiellement sur une mauvaise conception de la notion d’«emploi convenable», conception que la norme de la raisonnabilité ne permet pas de tolérer.
  • Pour qualifier un emploi de «convenable» au sens de l’article 2 LATMP, il ne suffit pas que le travailleur soit en mesure d’exécuter les tâches rattachées à une fonction.
  • L’arbitre Bergeron n’a pas examiné la clause dans son contexte ni ne s’est interrogé sur l’intention des parties lorsqu’elles l’ont stipulée. Il a statué de manière péremptoire, sans procéder à l’exercice interprétatif qui s’imposait.
  • La clause précitée, «dont le libellé est fort large», est plus avantageuse que la loi (Université McGill, paragr. 114).

Comme l’avait conclu le juge Sansfaçon, la juge Bich a déterminé que, dans ce dossier, l’arbitre possédait la compétence requise pour entendre et trancher les griefs dont il était saisi et qu’il aurait simplement dû faire le constat que le régime que prévoit la clause précitée de la convention collective est plus généreux que le régime prévu à la loi.

Le dossier est retourné à l’arbitre afin qu’il se prononce sur le fond des griefs réclamant l’annulation du congédiement du plaignant ainsi que sa réintégration dans un emploi au sein de l’Université.

*À noter que dans Ville de Montréal-Est c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 et dans Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 c. Beaconsfield (Ville de), une autre formation de la Cour d’appel s’est récemment prononcée sur le même sujet.

Références

  • Université McGill c. McGill University Non Academic Certified Association (MUNACA), (C.A., 2015-11-24), 2015 QCCA 1943, SOQUIJ AZ-51232736. À la date de diffusion, la décision n’avait pas fait l’objet de pourvoi à la Cour suprême.
  • Université McGill et Munaca (Ron Zahorak), (T.A., 2011-06-08), SOQUIJ AZ-50780687, 2011EXPT-1642, D.T.E. 2011T-582.
  • McGill University Non Academic Certified Association (MUNACA) c. Bergeron (C.S., 2013-03-20), 2013 QCCS 1175, SOQUIJ AZ-50948629, 2013EXP-1268, 2013EXPT-725, J.E. 2013-692, D.T.E. 2013T-256.
  • Montréal-Est (Ville de) c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 (C.A., 2015-11-26), 2015 QCCA 1957, SOQUIJ AZ-51233863. À la date de diffusion, la décision n’avait pas fait l’objet de pourvoi à la Cour suprême.
  • Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 c. Beaconsfield (Ville de), (C.A., 2015-11-26), 2015 QCCA 1958, SOQUIJ AZ-51233864. À la date de diffusion, la décision n’avait pas fait l’objet de pourvoi à la Cour suprême.
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