Que vous soyez propriétaire d’une unité de copropriété, locataire ou locateur d’un immeuble, la Loi sur le cannabis (le projet de loi C-45), dont l’adoption est prévue pour l’été 2018, risque d’entraîner des changements importants dans votre milieu de vie. À l’aide de décisions rendues par nos tribunaux, il sera question dans le présent billet des inconvénients que pourrait causer la consommation de cannabis dans un contexte de cohabitation d’un immeuble à unités multiples.

Immeuble locatif

Le 8 janvier dernier, le juge administratif Adam a rendu une décision dans laquelle il était question de consommation de marijuana (cannabis) à des fins médicales dans un logement. Relativement à l’argument du locataire selon lequel son droit à la vie privée lui permettait de fumer du cannabis dans son logement, le juge a fait référence à l’arrêt R. c. Clay, dans lequel la Cour suprême a statué que le fait de fumer de la marijuana à l’intérieur d’un logement relève d’une préférence quant à un mode de vie et ne saurait être un droit protégé. Cette cour a également reconnu que la protection de la population 

contre la fumée secondaire est un objectif légitime. Après avoir fait référence à ces principes juridiques, le juge Adam a tenu les propos suivants :

«[38]   En effet, depuis plusieurs années, le législateur a prohibé l’usage du tabac dans les endroits publics et même dans certains endroits privés tels que les garderies en résidences privées où des enfants sont sur les lieux et dans les automobiles lorsque des enfants y prennent place.

[39]   Si le législateur intervient régulièrement dans cet usage du tabac, c’est qu’il reconnaît les risques que l’exposition à la fumée du tabac fait courir aux non-fumeurs et la fumée de la marijuana n’y échappe pas, bien au contraire.

[40]   De plus, il est de connaissance judiciaire que l’odeur de la fumée de marijuana est plus prononcée et plus persistante que celle de la cigarette, ce qui permet de croire que celle-ci lorsqu’elle pénètre dans un logement peut affecter la jouissance de celui-ci surtout avec une récurrence de sept à huit fois par jour, voire même avoir des conséquences sur la santé des occupants de celui-ci.

[41]   La prépondérance de la preuve est à cet effet. Le Tribunal interprète la preuve soumise comme étant une importante source de tracasseries, de nuisance olfactive et d’inconvénients sérieux aux locateurs.

[42]   En effet, la preuve permet de conclure que le locataire, par l’inhalation de la fumée de marijuana de façon récurrente dans son logement, est une source d’ennuis et qu’il porte atteinte aux droits des autres occupants de l’immeuble et à leur jouissance paisible et normale des lieux. Le Tribunal estime donc que la nuisance causée par cette odeur de fumée de marijuana est assez répétitive et persistante pour constituer une source d’ennuis et d’inconvénients sérieux pour les locateurs lesquels sont voisins du locataire.»

[Caractères gras ajoutés.]

Cette décision est intéressante, car elle précise que ce n’est pas parce qu’une personne ne commet pas une infraction criminelle en possédant ou en consommant de la marijuana prescrite par un médecin que cela crée un droit d’indisposer les voisins en leur imposant ce que l’on appelle couramment la «fumée secondaire». Comme le locataire n’a pas démontré en l’espèce d’ouverture à d’autres solutions que la consommation de cannabis par inhalation pour soulager sa condition, le bail de ce dernier a été résilié par la Régie du logement. Le 19 avril dernier, la Cour du Québec a refusé d’entendre l’appel du locataire.

En 2016, dans Pochoshajew c. Luykshyna, une locataire se plaignait d’une odeur de marijuana dans les parties communes de son immeuble. Puisque la jurisprudence a établi que les odeurs de substances illicites sont de nature à troubler la jouissance normale d’un logement, ce qui comprend les aires communes, le locataire a eu droit à une diminution de loyer de 440 $ ainsi qu’à 1 000 $ à titre de dommages moraux. À cet égard, il y a lieu de citer l’article 1861 du Code civil du Québec (C.C.Q.), qui se lit comme suit :

1861.      Le locataire, troublé par un autre locataire ou par les personnes auxquelles ce dernier permet l’usage du bien ou l’accès à celui-ci, peut obtenir, suivant les circonstances, une diminution de loyer ou la résiliation du bail, s’il a dénoncé au locateur commun le trouble et que celui-ci persiste.

Il peut aussi obtenir des dommages-intérêts du locateur commun, à moins que celui-ci ne prouve qu’il a agi avec prudence et diligence; le locateur peut s’adresser au locataire fautif, afin d’être indemnisé pour le préjudice qu’il a subi.

En vue de l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis, certains locateurs voudront modifier les baux de leurs locataires afin d’interdire la consommation de cannabis dans leur logement. À ce sujet, je vous réfère à un document préparé par la Régie du logement qui décrit la marche à suivre.

Situation en condo

Dans le cas des copropriétés divises (les condos), le problème demeure entier notamment parce que l’article 1063 C.C.Q. énonce que: «Chaque copropriétaire dispose de sa fraction; il use et jouit librement de sa partie privative et des parties communes, à la condition de respecter le règlement de l’immeuble et de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble» (caractères gras ajoutés). Sur cette question, je vous renvoie à un article intitulé «Copropriété : Interdire le pot avant qu’il ne soit trop tard». Dans ce texte, on suggère aux syndicats de copropriétaires d’être proactifs en adoptant un règlement qui interdit la consommation de cannabis dans l’immeuble pendant que cette substance est toujours illégale.

Troubles de voisinage

Outre la possibilité de modifier les baux ou la déclaration de copropriété, il demeure que toute personne doit se conformer à l’article 976 C.C.Q., portant sur le trouble de voisinage. La mesure applicable est le caractère anormal et exorbitant des inconvénients. Le propriétaire devient responsable de plein droit, sans qu’il y ait faute, dès que l’utilisation de son droit a pour effet de causer à autrui un préjudice qui dépasse les inconvénients normaux que chacun est tenu de subir (Ciment du Saint-Laurent Inc. c. Barrette). La légalité de l’activité ne constitue pas une excuse légitime.

Dans Sidorov c. Thérien, le locateur a démontré que le fait pour le locataire de fumer ou de permettre à d’autres personnes de fumer dans son logement troublait la jouissance normale des lieux des autres occupants de l’immeuble en raison de la fumée persistante, envahissante et nauséabonde. Cette situation justifiait la résiliation du bail, et ce, même si celui-ci ne contenait aucune clause d’interdiction de fumer à l’intérieur du logement.

Aussi, dans McDonald c. Labrie, les demandeurs se plaignaient des odeurs nauséabondes qui provenaient de la propriété voisine. En effet, les défendeurs y cultivaient du cannabis au sous-sol et se servaient de ventilateurs pour évacuer l’odeur chez leurs voisins. La demanderesse a été fortement incommodée et a dû quitter sa maison avec son bébé. Comme les inconvénients subis dépassaient largement les inconvénients normaux du voisinage, les demandeurs ont eu droit à des dommages-intérêts de 2 131 $.

Par contre, dans Parent c. Filion, pour ce qui est des odeurs, il a été déterminé que cet inconvénient pouvait être considéré comme normal lorsque celles-ci s’infiltrent dans la copropriété voisine puisque les personnes ont le droit de fumer et de cuisiner à l’intérieur de leur unité.

Il reste à voir comment les gens habitant dans un immeuble à logements ou à unités multiples réagiront à l’entrée en vigueur de la loi. Chose certaine, ce sujet va faire couler encore beaucoup d’encre et créer des litiges qui permettront aux tribunaux de nous éclairer sur les droits de chacun dans un tel contexte. 

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