Depuis le début de l’année, le Tribunal des droits de la personne a rendu plusieurs décisions en matière de discrimination fondée notamment sur la race, la couleur et l’origine ethnique ou nationale d’une personne. Dans le présent billet, je ferai un survol de cette jurisprudence récente.

Tout d’abord, il est important de prendre connaissance de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne :

«Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit

(Caractères gras ajoutés par l’auteure.)

Quant à l’article 4 de la charte, il prévoit que: «Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.»

Acte juridique

L’article 12 de la charte énonce que: «Nul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public.»

Le mois dernier, dans Ma, le Tribunal a conclu que, en refusant de consentir une cession de bail à un homme cambodgien en raison de son origine ethnique ou nationale et en exprimant à cette occasion des propos discriminatoires à son endroit, le défendeur et son entreprise ont contrevenu aux articles 4, 10 et 12 de la Charte des droits et libertés de la personne. Ils ont été condamnés à payer 8 000 $ en dommages moraux et 3 000 $ en dommages punitifs.

Dans Sivanathan, la responsable d’une garderie en milieu familial a contrevenu aux droits d’une femme d’origine sri-lankaise garantis par les mêmes dispositions de la charte en refusant de considérer sa demande de service au motif qu’elle n’acceptait pas les enfants issus d’autres nationalités. Par ailleurs, le souci de la défenderesse relatif à l’hygiène s’inscrivait dans le prolongement du motif discriminatoire qu’elle a opposé à la demanderesse pour refuser d’inscrire son fils à la garderie puisqu’elle a expliqué que, à son avis, le manque d’hygiène reflétait une culture et des traditions différentes des siennes. Dans ces circonstances, la demanderesse a eu droit à 3 000 $ à titre de dommages moraux et à 2 000 $ en dommages punitifs.

Accès à un lieu public

D’autre part: «Nul ne peut, par discrimination, empêcher autrui d’avoir accès aux moyens de transport ou aux lieux publics, tels les établissements commerciaux, hôtels, restaurants, théâtres, cinémas, parcs, terrains de camping et de caravaning, et d’y obtenir les biens et les services qui y sont disponibles» (art. 15 de la charte).

Or, un homme d’origine haïtienne s’est vu refuser l’accès à un bar de danseuses, un lieu public, par le personnel sous l’autorité de la propriétaire, lequel exécutait des consignes que celle-ci lui avait données, à savoir refuser l’accès aux personnes noires. Le 13 août dernier, les exploitantes de cet établissement ont été condamnées à payer 6 000 $ à titre de dommages moraux et 3 000 $ en dommages punitifs. Le Tribunal a aussi estimé nécessaire, pour éliminer la discrimination et protéger l’intérêt public, d’ordonner à ces dernières de mettre fin à leur directive de refuser l’accès à l’établissement Les Déesses Bar Salon aux personnes à la peau noire.

Propos discriminatoires

Il est reconnu qu’une injure fondée sur une caractéristique énumérée à l’article 10 de la charte, telle que l’origine ethnique et nationale, peut constituer de la discrimination.

Dans Pena, la phrase du défendeur ayant intimé au demandeur, un homme d’origine salvadorienne, de «retourne[r] au Mexique» (paragr. 8) faisait référence à l’origine ethnique ou nationale de ce dernier. Il s’agissait de propos violents, dénigrants, blessants et racistes. De plus, en disant qu’il voulait une «facture propre» (paragr. 29), le défendeur a insinué que le demandeur était une personne sale et négligente.

La charte ne comporte pas de disposition précise en ce qui a trait à la responsabilité des employeurs en cas de violation par un employé d’un droit protégé. Dans cette affaire, le Tribunal s’est donc référé au droit commun afin de trancher cette question, soit à l’article 1463 du Code civil du Québec (C.C.Q.). Or, le défendeur a tenu des propos discriminatoires dans le contexte de l’exécution de ses fonctions, et ce, alors qu’il était le vice-président de la compagnie défenderesse. Dans ces circonstances, la responsabilité de cette dernière a été retenue. En raison de l’effet sur le demandeur des propos discriminatoires tenus à son endroit, les défendeurs ont été condamnés à payer, solidairement, 3 000 $ en dommages moraux (art. 1526 C.C.Q.). Comme la preuve ne permettait pas de conclure que le président de la défenderesse avait ratifié ou cautionné, de quelque façon que ce soit, les propos de son employé, seul ce dernier a été condamné à payer 800 $ à titre de dommages punitifs.

Récemment, une femme qui a proféré dans un restaurant des insultes à caractère à la fois ethnique et religieux à la demanderesse parce que celle-ci portait le hijab a été condamnée à verser 15 300 $ à titre dommages moraux et punitifs.

Harcèlement

L’article 10.1 de la charte prévoit qu’il est interdit de «harceler une personne en raison de l’un des motifs visés dans l’article 10». 

À la lumière de la jurisprudence, «il y a harcèlement en présence d’actes à caractère vexatoire et non désiré dont les effets sont continus dans le temps, soit en raison de la répétition de ces actes ou de la gravité de leurs effets préjudiciables sur la personne qui en est l’objet. Un comportement harcelant peut donc résulter d’un seul acte sérieux ou d’une série d’actes moins sérieux, mais dont le cumul a le même effet, soit celui de miner l’estime de la victime et de l’atteindre dans sa dignité» (paragr. 36).

Dans Audige, le voisin d’une femme d’origine haïtienne a commis des gestes et tenu des propos discriminatoires à l’endroit de cette dernière. La répétition des propos discriminatoires, à laquelle s’ajoute ce type de comportements, constitue du harcèlement discriminatoire. Lorsqu’il y a harcèlement discriminatoire, les effets pour la victime se prolongent dans le temps et la réparation doit être conséquente. Dans ces circonstances, celle-ci a eu droit à 5 000 $ en dommages moraux. De plus, étant donné que les propos et les gestes du défendeur étaient intentionnels et que celui-ci savait très bien que ses paroles et ses comportements à caractère raciste auraient pour effet de blesser et d’humilier sa voisine, il a été condamné à payer 1 000 $ à titre de dommages punitifs.

Profilage racial

Le profilage racial est un sujet complexe qui sera traité dans un deuxième temps pour faire suite à notre dernier billet publié sur le sujet. Toutefois, je désire porter à votre attention la décision Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe), dans laquelle le Tribunal a conclu qu’un homme noir avait été victime de discrimination sous la forme de profilage racial par des policiers de la Ville de Gatineau. Celui-ci a eu droit à 15 000 $ en dommages moraux et à 3 000 $ à titre de dommages punitifs.

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