On peut penser que, depuis la légalisation du cannabis à usage récréatif, le 17 octobre 2018, la perception autrefois négative des citoyens à l’égard de cette substance est en train de changer. Ce changement va-t-il jusqu’à influer à la baisse sur la sévérité des peines imposées pour des crimes mettant en cause le cannabis?

Pas de peines plus clémentes

Il est intéressant de constater que, dans la dernière année, il y a eu plusieurs décisions où l’accusé faisait valoir que, puisque la possession simple d’une petite quantité de cannabis était légalisée, le regard que la société posait sur la possession de cette substance avait évolué et que, conséquemment, la peine qui lui serait imposée devrait être moins sévère. Cet argument a toutefois été rejeté par les tribunaux. Voici quelques décisions intéressantes qui en témoignent.

Dans Bolduc, l’accusé a reconnu avoir produit du cannabis, en avoir possédé à des fins de trafic et avoir vécu des fruits de ses activités criminelles. Son avocat prétendait que, en raison de la légalisation de la possession de petites quantités de marijuana et du retrait de la peine minimale, le législateur semblait accorder moins d’importance à la dissuasion collective, ajoutant que les Tribunaux ne devraient donc plus fonder leur décision sur la jurisprudence antérieure. Le Tribunal a rejeté ces arguments en indiquant qu’il faut regarder la gravité objective du crime en analysant la peine maximale dont est passible le crime reproché (14 ans d’emprisonnement pour les 2 crimes reprochés). De plus, il a précisé que le législateur souhaitait que les sanctions demeurent sévères à l’égard de ce type d’infraction, souvent reliée au crime organisé, afin de décourager les personnes agissant en dehors du cadre légal. Résultat: l’accusé a été condamné à 12 mois d’emprisonnement ferme.

La Cour d’appel, dans Marin, a elle aussi tenu compte de la gravité objective de l’infraction pour conclure qu’il n’y avait pas lieu de prononcer une peine moins sévère. Dans ce dossier, l’appelant contestait la peine de 9 mois d’emprisonnement qui avait été rendue sous le chef d’accusation principal de production de cannabis. Son principal argument était que sa peine devrait être plus clémente puisque le cannabis avait été légalisé. La Cour d’appel a indiqué que la Loi sur le cannabis n’avait pas l’effet adoucissant que suggérait l’appelant et qu’il n’y avait pas lieu de retenir cet argument.

Dans la décision Simard, l’accusé, qui purgeait une peine de 14 ans d’emprisonnement, a reconnu avoir eu en sa possession dans le centre de détention un peu plus de 30 grammes de cannabis. Sa procureure a suggéré au Tribunal d’imposer une amende d’environ 750 $. Elle se basait notamment sur la Loi encadrant le cannabis, qui prévoit expressément une amende en cas de possession dans un centre de détention. Le Tribunal a refusé de réduire la peine et a prononcé une peine de 6 mois d’emprisonnement, consécutive à celle en cours :

  • […] Le Tribunal ne déduit pas de cette interdiction punissable par une amende que le législateur québécois souhaite indiquer aux tribunaux qu’il considère moins grave la possession de cannabis illégal en milieu carcéral. Les infractions réglementaires prévues dans la loi provinciale ne visent globalement qu’à interdire l’usage du cannabis dans les lieux où il est interdit de fumer du tabac.
  • […] Il [L’article 15 de la Loi sur le cannabis] ne précise pas que le fait de commettre l’infraction en milieu carcéral est une circonstance aggravante vraisemblablement parce que cela va de soi selon les principes généraux et jurisprudentiels. Personne ne conteste que dans un milieu carcéral, l’alcool, le tabac et les stupéfiants posent un défi à la sécurité qui est accentué par rapport à la vie en société. […]

Enfin, dans Quaraan, l’accusée avait brièvement travaillé dans un dispensaire de cannabis médical à Gatineau, qu’elle croyait légal. Elle a plaidé coupable sous des accusations de possession de cannabis et de haschisch en vue d’en faire le trafic et de possession d’une somme d’argent qu’elle savait être un produit de la criminalité. Le Tribunal lui a accordé une absolution conditionnelle en se basant sur des décisions similaires rendues en Ontario et en Colombie-Britannique. De plus, il a réitéré que le changement d’attitude de la société envers l’utilisation du cannabis et sa légalisation ne justifiaient pas une réduction de la peine, le législateur ayant choisi de maintenir les peines applicables pour les infractions comme la possession en vue d’en faire le trafic.

En somme, les peines ne sont pas plus légères à la suite de la légalisation du cannabis. Les activités à l’extérieur du cadre légal demeurent des infractions graves que le législateur veut dissuader en maintenant des peines sévères.

Empiétement sur la compétence de légiférer en matière criminelle

Par ailleurs, une autre question s’est posée depuis la légalisation du cannabis: jusqu’où une province peut-elle légiférer en ce qui concerne le cannabis? Une province peut-elle interdire des gestes décriminalisés par le fédéral? C’est la question qui a été soulevée en lien avec la culture de plants de cannabis à domicile. Bien que la loi fédérale (Loi sur le cannabis) permette la culture d’un maximum de 4 plants par ménage, le gouvernement du Québec a plutôt décidé de l’interdire complètement, aux articles 5 et 10 de la Loi encadrant le cannabis.

Cette ambiguïté a été portée devant la Cour supérieure, dans Murray Hall, qui a invalidé cette interdiction. En effet, la Cour a déclaré que les articles 5 et 10 de la Loi encadrant le cannabis empiétaient sur la compétence fédérale de légiférer en matière criminelle. Je vous invite d’ailleurs à lire un article de blogue de ma collègue Me Amélie Pilon qui résume bien la question du partage des compétences dans le dossier Murray Hall. Or, le débat n’est pas terminé puisque le jugement a été porté en appel.

En attendant de savoir si la Cour d’appel maintiendra l’invalidité des dispositions de la loi québécoise, SOQUIJ vous propose de connaître les dessous du dossier Murray Hall en assistant, le 19 février prochain, à la conférence donnée par Me Maxime Guérin, avocat pratiquant au cabinet Sarailis Avocats, qui représentait le demandeur dans ce dossier. Il abordera notamment les enjeux liés au partage des compétences dans ce dossier. Pour plus d’informations et pour vous inscrire, visitez le Centre de formation SOQUIJ.

Écrit avec la collaboration de Me Catherine Vaillancourt-Gauvreau, conseillère juridique en droit criminel et pénal, SOQUIJ.

Print Friendly, PDF & Email