L’article 542.24 du Code civil du Québec (C.C.Q.), entré en vigueur le 6 juin 2023, prévoit le droit de l’enfant issu de l’agression sexuelle de s’opposer à l’établissement d’un lien de filiation:
542.24 L’enfant issu d’une agression sexuelle peut s’opposer à ce qu’un lien de filiation soit établi entre lui et la personne qui a commis l’agression.
Son opposition ne l’empêche pas de réclamer un tel lien de filiation.
Cette disposition se retrouve au cœur d’un jugement rendu le mois dernier par le juge Carl Lachance, de la Cour supérieure, lequel a refusé à un agresseur la possibilité d’obtenir ou encore de solliciter le statut de père à l’égard de l’enfant né à la suite d’une agression sexuelle qu’il avait commise, le tenant par ailleurs au paiement d’une contribution alimentaire.
Le contexte
En 2019, le demandeur agresse sexuellement la mère et de cette agression naît un enfant, X, l’année suivante. En 2021, le demandeur introduit des procédures visant à faire reconnaître sa paternité. En 2023, après l’entrée en vigueur de l’article 542.24 C.C.Q., la mère manifeste son opposition à la demande, réclamant en outre une contribution alimentaire forfaitaire en vertu de l’article 542.33 C.C.Q. Le demandeur décide alors de se désister de sa demande.
Le dossier soulève 3 questions:
- Le désistement du demandeur est-il opposable à la mère?
- Les motifs d’opposition à la demande en reconnaissance de paternité sont-ils fondés?
- La demande de contribution alimentaire forfaitaire est-elle fondée?
Le désistement
Le désistement du demandeur n’est pas opposable à la mère.
D’entrée de jeu, le juge rappelle que le désistement n’est pas un droit absolu et que plusieurs décisions des tribunaux ont déclaré que les désistements qui causent un préjudice sont inopposables. Il exprime ensuite l’avis que le demandeur ne pouvait se désister valablement de sa demande, laquelle avait eu pour effet de conférer à l’enfant et à sa mère le droit de s’opposer à ce qu’un lien de filiation soit établi.
En se désistant de sa demande en reconnaissance de paternité, le demandeur, auteur de l’agression, cherchait de façon stratégique à éviter l'application de l'article 542.24 C.C.Q. et à se garder le droit de réclamer ultérieurement l'établissement d'un lien de filiation à son égard. Cela aurait laissé la mère et X dans l’incertitude et l’enfant se serait vu privé du droit de faire statuer immédiatement et définitivement sur le droit de l'agresseur de sa mère d'obtenir la reconnaissance de sa paternité. Or, l’enfant a droit à la quiétude et à la paix d’esprit, tout comme sa mère, et rien ne l’empêchera, s’il le désire et y voit des avantages, de faire établir la filiation ultérieurement.
L’opposition à la demande en reconnaissance de paternité
Le demandeur ne doit pas pouvoir obtenir ni même demander le statut de père de l’enfant. Cela tient compte des actes très graves et violents qu'il a commis et qui ont eu des répercussions sur X et la mère, de ses antécédents criminels, de sa délinquance, de son risque de récidive et de sa personnalité.
Dans son analyse, le juge note que, même si l’article 542.24 C.C.Q. ne précise pas les motifs permettant d'accueillir l'opposition, l'article 33 C.C.Q. fournit des pistes à cet égard:
33. Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.
Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial, incluant la présence de violence familiale, y compris conjugale, ou de violence sexuelle, ainsi que les autres aspects de sa situation.
Ainsi, cette disposition mentionne que le tribunal peut analyser la preuve de violence sexuelle afin de déterminer l'intérêt supérieur d'un enfant, lequel ne milite pas en faveur de la demande en reconnaissance de paternité. En outre, il est difficile d'envisager que l'agresseur de la mère puisse agir comme un modèle pour X, aider celui-ci à construire son identité et lui inculquer un bon système de valeurs.
La contribution alimentaire forfaitaire
Le demandeur est tenu de verser une contribution alimentaire forfaitaire de 155 483 $.
L’article 542.33 C.C.Q. énonce que celui qui commet une agression sexuelle doit payer à la victime une contribution alimentaire pour enfant sous la forme d'une somme forfaitaire.
542.33 Celui qui commet une agression sexuelle doit, en l’absence d’un lien de filiation avec l’enfant qui en est issu, payer à la personne qui en a été victime une contribution financière à titre d’aliments, sous forme d’une somme forfaitaire, pour satisfaire aux besoins de l’enfant de sa naissance jusqu’à l’atteinte d’une autonomie suffisante.
L’agression sexuelle peut notamment être prouvée par la production d’un jugement qui en reconnaît l’existence.
Le ministre de la Justice peut, par règlement, déterminer des normes suivant lesquelles la contribution est fixée, y compris le montant minimal de celle-ci.
Cette contribution est attribuée afin de satisfaire les besoins de l'enfant, et l'article n’indique pas qu'il faut prendre en compte la capacité financière de l'auteur de l'agression ni celle de la mère de l'enfant. Tout comme le démontrent les propos tenus par le ministre de la Justice lors des travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de l'article 542.33 C.C.Q., le législateur n'entrevoyait pas une utilisation des barèmes québécois pour fixer la contribution financière.
La somme accordée en l’espèce est établie pour la période demandée par la mère, soit à compter de la fin de la peine d’emprisonnement du père et jusqu’au moment où l’enfant atteindra sa majorité, et elle tient compte de frais annuels à engager pour un enfant comme X, soit 14 000 $, et d’un taux d’actualisation de 3,25 %. Le jugement prévoit par ailleurs que la somme accordée pourra être majorée si le ministre de la Justice adopte un règlement fixant les normes suivant lesquelles la contribution doit être fixée ou si un changement important survient en ce qui concerne les besoins de l'enfant.
Concernant la somme forfétaire il sera interessant de savoir si le gouvernement prévoit présenter des règles spécifiques à savoir si la somme portera intérêt et si elle elle peut être considéré comme paiement en capital du point de cue fiscal, peut être le sujet d’un prochain article.
Quel bel article! Soulagement pour le dénouement de cette cause après tout ce que cette mère a vécu. Justice a été rendue.
La conclusion du juge à savoir que la contribution alimentaire de l’agresseur doit être calculée uniquement sur la base des besoins de l’enfant me semble exacte en droit. En effet, l’article 542.33 C.c.Q. prévoit que la contribution doive « satisfaire aux besoins de l’enfant de sa naissance jusqu’à l’atteinte d’une autonomie suffisante » et non à une partie des besoins. Ainsi, les capacités financières de l’agresseur ou de la victime ne doivent pas être pris en considération.
Cependant, ce jugement soulève deux préoccupations.
Ma première préoccupation concerne le recours au concept d’intérêt de l’enfant dans ce jugement. En effet, le juge se demande si les motifs pour s’opposer à l’établissement d’un lien de filiation sont valides. Pour ce faire, il examine l’intérêt de l’enfant, relevant notamment « les actes très graves et violents commis ayant des répercussions sur la mère et l’enfant, ses antécédents criminels, sa délinquance, le risque de récidive et sa personnalité́ » (para 86). Or, l’article 542.24 C.c.Q. ne soumet pas le droit d’opposition de l’enfant à un examen de l’intérêt de l’enfant. En outre, l’article général qui commande le respect de l’intérêt de l’enfant pour toute décision, 33 C.c.Q., ne s’applique pas aux dispositions sur la filiation de naissance en raison de l’article 522.2 C.c.Q. Pourtant, ce jugement implique l’intérêt de l’enfant dans son analyse.
Ma seconde préoccupation concerne le droit à une réparation sous la base de la responsabilité civile. La preuve semble démontrer la faute (l’agresseur a plaidé coupable), le préjudice (la défenderesse a décrit le préjudice découlant de l’agression sexuelle) et le lien de causalité entre les deux. Or, la défenderesse ne réclame pas de dommages-intérêts dans le cadre de cette instance. Je me questionne donc sur les raisons de ce choix. Tout en étant conscient que des particularités de ce dossier expliquent peut-être ce choix, je crains que la possibilité d’obtenir une contribution financière substantielle, mais par ailleurs uniquement à l’avantage de l’enfant, ait éclipsé celle d’obtenir une réparation pour le préjudice subi.